Jeune monde
A Zacharie
Samedi, 9 août 2014
il y a dix ans quand j’écrivais ça Zacharie venait de naître et personne ne pouvait se douter à la cité d’Orgemont où j’habite avec Louis que dix ans plus tard le petit gamin ferait son unique voyage pour le Mali dans un cercueil.
en arrivant tout à l’heure à la porte du hall je vois un mot affiché écrit à la main avec la photo du visage joyeux et rieur d’un petit lascard black je me dis que c’est l’anniversaire on nous prévient c’est la coutume mais c’est la photo qui me surprend… distraite je lis la page chaque cage d’escalier a la sienne de la rue on la devine à l’écart des formulaires habituels
le mot sur le papier scotché est trop long presque la page entière ici quand on fait des phrases c’est toujours qu’on annonce du malheur une page entière vous pensez si ça arrête ceux qui montent descendent avec les commissions et vu que comme partout dans la banlieue on est mêlés les voyageurs des pays d’ailleurs tout le monde toute la terre quasi alors nombreux sont ceux qui ne savent pas lire la langue des administrations mais les administrations elles n’écrivent pas à la main un samedi…
non une feuille comme ça avec la photo dessus on pige tout de suite que c’est de l’intérieur que ça vient… il s’agit d’une cérémonie pour soutenir les parents de Zacharie qui avait dix ans et qui est mort d’une manière violente aux urgences d’un hôpital de St Denis parce qu’il n’y a eu personne pour l’emmener à temps et du coup lui sauver la peau... en regardant la bouille bourrée de pêche de vie du petit je me dis que sa life n’a tenu qu’à un trajet d’à peine cinq kilomètres…
l’hôpital Delafontaine avec notre autobus des brousses le 154 qui rejoint le tram de Noisy‑le‑Sec Genevilliers Les Courtilles à la station du Marché de St Denis il faut compter trois-quarts d’heure si on attend beaucoup et encore… alors quoi hein ? c’est un fait d’hiver au cœur de l’été et mes mains sont givrées sur la poignée de la porte j’ai du mal à les retirer… en montant les escaliers de songe au cauchemar de cette femme suppliant quelqu’un des tas de quelqu’un qu’elle ne connaît pas de ne pas l’abandonner à la nuit d’une cité de banlieue et à l’enfant malade seul à leur course dans la rue en bas à 3 heures du mat et au taxi qui veut bien s’arrêter unique être humain de l’histoire à la Nyama de bonté qui aurait pu…
je songe en ouvrant la porte au Roi des Aulnes Erlkönig et à la chevauchée du père tenant dans ses bras l’enfant en train de mourir qui appelle… la suite ça n’est même pas la peine tout le monde se défile tout le monde est dans son rôle c’est un monde sans conscience un pays d’hommes sans âme une histoire déjà écrite et déjà jouée cent fois mille fois les commentaires suivent ignorants haineux pitoyables indifférents
à toi Zacharie que ton âme rejoigne celle des griots dans la forêt des grands baobabs loin des hommes sans âme et que tous les jeli du pays manding te content l’épopée de Soundjata au son joyeux et fier des tambours tabalé
Lundi, 2 août 2004
Jeune monde et jeune désir
Pourquoi faut-il que vous fuyiez
A travers mon âme blessée
Pourquoi faut-il vous voir partir
Vous n’avez jamais osé croire
Que vous étiez comme des torches
Embrasés de fougueux espoirs
Vous évadant au creux des porches
Vous exaltiez saoule jeunesse
Dans les bas fonds et les quartiers
Avec vos gerbes de promesses
Vous mûrissiez des champs entiers
Au gré de vous j’ai vu grandir
Un art des rues trouble chantier
Des palissades reverdir
Des pavots à fleur d’escaliers
Vos noms étaient de fiers poèmes
Graffés sur l’écorce d’acier
Des corridors des HLM
Cernant vos rêves suppliciés
Jeune monde et jeune désir
Pourquoi faut-il que vous fuyiez
A travers mon âme blessée
Pourquoi faut-il vous voir partir
Jeune peuple jeune semence
Pourquoi nous faut-il voir pourrir
Les fruits sucrés de nos enfances
Pourquoi n’avez-vous pu choisir
Vous êtes passés sans savoir
Sur l’autre rive de la vie
Celle où on écrit son histoire
Dans le rouge des incendies
Qu’aurais-je dû pour vous surprendre
Parmi mes trésors vous offrir
Je n’ai même pas su vous dire
Combien votre force était tendre
Vous m’avez nourrie de vos rages
De la détresse de vos corps
Qui dérivaient clameur mirages
Au bord du blanc des miradors
Combien j’ai aimé vous connaître
Sans vous comment la joie écrire
Vous étiez mon âme peut-être
Ma chaleur mon vert élixir
Jeune monde et jeune désir
Pourquoi faut-il que vous fuyiez
A travers mon âme blessée
Pourquoi faut-il vous voir partir
Fils du voyage vous rêviez
O héritiers de mille empires
Beaux nuages aux noms mouillés
Rouges affiches ou bien pire
Ce que j’écris c’est grain de sable
Par la dune multiplié
Que vos joutes déraisonnables
Auront ravies aux sabliers
Si Caligula se pointait
Vous iriez lui chercher la lune
Et pour finir on vous noierait
Comme des tristesses nocturnes
Scipion est trop bon pour vous plaire
Vous avez la chaleur du feu
Vous avez le tranchant du fer
Hélicon vous prend à son jeu
Jeune monde et jeune désir
Pourquoi faut-il que vous fuyiez
A travers mon âme blessée
Pourquoi faut-il vous voir partir
Vous êtes la seule lumière
Qu’on ait envie de protéger
Debout à ce festin de pierres
Et vous allez vous en charger
Déjà mûrissent les outrages
A la place des champs de blé
Qu’on a semés dans le sillage
De vos récoltes annoncées
Jeune peuple jeune semence
Les armes qu’on vous a données
Pour apaiser votre arrogance
Bientôt vont nous défigurer
J’ai tant aimé votre innocence
De nos désirs l’âpre clarté
Que du poème enfin l’errance
Console notre âme blessée.
http://enfants-d-afrique.skynetblogs.be/archive/2008/10/31/exceptionnel-a-voir-les-enfants-omo.html