Limaille des jours
A Louis
Dimanche, 31 août 2014
quand je vois ta moue triste et angoissée d’enfant
ton menton tremblant je me souviens de ces heures
écrasées de bruit de chaleur de doigts courant
de pieds tapant de cris de puanteur les corps
traqués par le métronome des instants morts
où bat le sang des vies que le turbin leur vole
quand je vois tes yeux déchiffrant la trajectoire
de l’oiseau buveur de matin chimères mûres
je me souviens de Sylvain journalier des champs
qui n’a jamais vu bleuets ni coquelicots
et le rire édenté d’une ancienne gamine
de sept ans accroupie parmi les araignées
les fils de couleur hurlant lui tissant leur toile
je revois les oncles sortant de l’atelier
polissage tournage peinturage fiers
leurs visages emmaillés d’or d’argent de fer
imbibés d’oubli dedans leurs boyaux ardents
dans les filatures du Nord le torse noir
et nu des hommes qui halètent et qui cherchent
en vain le ciel à travers la buée des cuves
de teinture s’égouttant fièvre de rosée
leur peau semblable à celle criblée au fouet
des esclaves du coton o ténèbres bleues
hier nous sommes partis pour réenchanter
un monde de mangroves nocturnes et douces
aux jeune pêcheurs partis pour les empêcher
de faire de nous et des enfants de demain
les compteurs fous de minutes interminables
pour les empêcher de passer nos rêves graves
dans le tamis étroit de leur vision d’insectes
et de retenir l’eau insouciante des sources
sous les replis voyous de leurs costumes gris
mais nous n’avons rien empêché du tout enfants
nous sommes restés au bord d’un désir en friche
et la machine a mangé ceux que nous aimions
quand je vois ton visage triste et las je songe
aux minutes usées au coin des salles sombres
dessous nos paupières poursuivant les empreintes
des chats hautains sur la neige des jardins roux
tout en haut d’une cité de lune turquoise
à la baleine qui va plonger plus profond
jusqu’au palais secret d’anémones obscur
riant au nez des fabricants de rouge à lèvres
retenus pas le peur des guerriers de corail
je songe aux soirs saignant de cent plaies d’horizon
et à l’armure légère des voyageurs
vêtus de parfums rares ceux qui ont laissé
au vestiaire la cote rouillée de sueur
des soupirails d’enfance où pétille toujours
en frisson buissonnier la limaille des jours