Suite de A notre enfance de banlieue la plage
Cette lettre je n’sais pas si je l’écrirai car au fond y a tellement de choses que je comprends et que je partage dans ce silence qui est aussi celui d’Ariane Mnouchkine au fil de son blog dans Libération et celui de tant d’autres personnes qui ont pas cessé depuis des années… depuis nos rêves et nos utopies des sixties de tenir bon et d’faire perdurer le lien avec ce qui nous vient de la rue… Ce lien on l’a créé dans le printemps de 68 et alors il faisait notre force et notre invention partagées…
La rencontre entre les ouvriers de l’automobile… les Billancourt les Simca et tant d’autres… les paysans du Larzac et tant d’autres… avec les étudiants les lycéens les profs et les intellectuels les artistes… et tant d’autres… Les portes enfin ouvertes de notre société fragmentée en classes… en communautés… notre société tellement hiérarchisée qu’les gens de la rue de Mai avaient rendue à sa solidarité en refusant de rester seulement entre eux…
On venait juste de rentrer nous les mômes d’la banlieue de nos moments fabuleux sur la plage quand les paroles de “ La chasse à l’enfant ” de Prévert nous sont tombées dessus et moi qui d’ordinaire vous met au parfum des p’tites histoires au quotidien de notre cité d’Epinay je m’suis dit qu’heureusement… heureusement que tout ça ne s’passe pas dans nos escaliers dans nos halls sur nos parkings parc’que peut-être qu’on ne pourrait plus écrire ni dessiner… non on n’pourrait plus c’est sûr… déjà que parfois nous aussi comme A. Mnouchkine on a envie de garder le silence…
On vient juste de rentrer et on sait que la chasse aux gamins d’immigrés n’a pas cessé… que les jeunes Blacks ont dû continuer de s’défendre des patrouilles… et que les p’tits d’la banlieue n’ont rien d’autre pour s’amuser que les trottoirs de Blues Bunker… En regardant les tags le long des rails sur les entrepôts de la Gare du Nord j’ai une pensée pour Mickaël le jeune taggeur mort noyé en essayant d’échapper aux flics qui le poursuivaient… et j’y repense encore dans l’train de banlieue avec l’ami Louis le lendemain en allant voir le film de Barbet Schroeder sur Jacques Vergès L’avocat de la terreur qui me touche pas qu’un peu vu que Vergès pour moi c’est d’abord l’Algérie mon pays d’adoption…
Les massacres de Sétif en 1945… Djamila Bouhired Zohra Driff durant la bataille d’Alger en 1962 et toutes celles et tous ceux parmi les combattants algériens qui ont mené leur pays vers l’Indépendance… Leur lutte pour que leurs gamins grandissent dans un pays libre et qu’ils n’aient pas honte de leur histoire… C’est Jean Sénac et son émission à
Ouais… Vergès c’est le défenseur des deux femmes accusées de “ terrorisme ” déjà ! alors qu’elles sont des résistantes face à un Etat colonial : le “ nôtre ”… à un pays colonial le “ nôtre ”… à une violence d’Etat qui est la pire des violences… Vergès enfant d’un couple métis vietnamien et réunionnais qui sait ce que c’est qu’l’humiliation… qui sait c’que c’est qu’la misère comme le savent les gamins des banlieues aussi…
Vergès qui va prendre fait et cause pour les parents du petit Ivan qui s’est jeté par la fenêtre poursuivi par les flics lui aussi… comme Mickaël… les flics qui voulaient le chasser d’sa maison…
La police de l’Etat français la même qui a poursuivi arrêté expulsé les enfants juifs il y a… poursuit arrête expulse et tue les enfants d’immigrés dans c’pays aujourd’hui… c’pays qui est le “ nôtre ”… Honte sur nous enfants d’la banlieue si on laisse faire ça !
Vergès un homme seul et debout qui n’laisse pas un Etat adorateur du veau d’or servi par la géante bêtise ordinaire sans quelqu’un en face de lui qui fasse résistance…
On vient à peine de rentrer et le film de Mehdi Charef Cartouches gauloises me renvoie à celui tourné en 1962 " Les oliviers de la justice " pendant la guerre d’Algérie à Alger et dans la Plaine de la Mitidja par mon ami écrivain pied-noir Jean Pélégri mort il y a juste quatre ans…
L’enfance dans l’Algérie coloniale qui se soucie peu des bonnes raisons qu’ont les adultes pour détruire un rêve… les rêves qui sont toujours les mêmes qu’on empêche… les rêves que font les gens de vivre ensemble dans la chaleur et la lumière bleue des étés du Sud…
Cette enfance-là a veillé longtemps… toujours sur son idéal d’une utopie solidaire éparpillée loin des orangeraies et des oliviers du paysage de l’origine… elle a préservé des valeurs d’échange et d’existences mises en commun héritage d’une société d’ouvriers et d’paysans compagnons de labeur de souffrance et de luttes pour leur dignité… Un très joli article de Tahar Ben Jelloun dans Le Monde diplomatique de septembre sur Cartouches gauloises qui est un vrai regard d’enfance avec un temps complètement différent de celui des adultes… des bouts d’images et d’histoire qui reviennent à la mémoire après et racontent… c’est magique !
Ces idéaux… les nôtres… je les retrouve à chaque fois que je regarde le film Aubervilliers tourné par Eli Lotar en 1945 avec les commentaires de Jacques Prévert et la musique de Kosma ainsi que la chanson “ Gentils enfants d’Aubervilliers ”… Et l’ami Louis me voit étonné pleurer en regardant c’qu’a été notre enfance au milieu des cabanes des pavés d’la boue des talus et des terrains vagues… notre insouciance féroce et illusoire bleue comme la brûlure des étincelles de soudure sur les chantiers immenses des banlieues au milieu d’la misère des vieux ouvriers sans maison que les baraques en tôle ramassant l’eau des caniveaux avec un broc pour s’laver et cuire la soupe…
Quoi de surprenant si dans les années 70 nous avons cru inventer un monde où la vie serait bonne pour tous… où le mot “ Interdit ” ferait rire les gamins et si notre idéal était de mettre en chantier des sociétés où le bonheur serait d’offrir à chacun l’humanité l’intelligence et la liberté de croire en de fabuleuses utopies universelles…
J’ai lu quelque part que la génération qui a succédé à la nôtre et qui n’a fréquenté ni la misère et l’engagement ouvriers ni notre farouche espoir de simple grandeur humaine se fiche bien de la beauté d’un rêve qui a fait découvrir à notre enfance de banlieue la plage… Ah ouais ? Voilà pourquoi je m’sens depuis des lustres vraiment loin très loin des gus de 35 berges et que j’me sens vraiment bien avec les gamins d’la banlieue qui p’t’être un de ces jours auront envie de lire ça… qui sait ?…