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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

30 décembre 2005 5 30 /12 /décembre /2005 00:42

      C’était un beau jour d’été… et Meudon je n’sais pas si vous connaissez mais c’est un endroit de nos banlieues où Macadam city blues relève un peu ses jupes de bitume pour tremper ses pieds entre les coques de bois pansues des péniches aux couleurs vives dans l’eau de la Seine qu’on voit depuis le Pont Mirabeau venir vers nous comme un grand foulard tout déplié…
      Meudon pour sûr c’est un endroit à n’pas perdre de vue avec le ventre du fleuve qui bouillonne tranquille des deux côtés de l’Ile de Saint-Germain qu’est une drôle de courtisane vis-à-vis de l’Ile Seguin où y a plus personne maintenant pour faire ronfler la mécanique… Vroum ! boum ! vroum ! ratatata boum !… Vous vous souvenez ?
      Et pourtant il en est sorti des autos de c’t’endroit-là et des mains devenues fossiles des ouvriers qui emboutissaient la tôle et ça gémissait ça haletait ça grinçait de partout jusqu’à l’ivresse de la grande machination des choses qu’on lâche ensuite parmi les humains et qui broient le verre du sablier avec le peu de temps qui leur reste quelques grains de sable au creux de leurs paumes. Pfuitt… pfuitt… vous entendez ?
      C’était ces gens-là qu’il avait bien aimé soigner le docteur Destouches Céline si vous préférez dans son temps à lui de la banlieue. Jamais il se perdait en bourlingues au long des quartiers bucoliques sagement frimés où habitent les dames emperlousées qui venaient peut-être juste pour voir faire un tour au creux de l’odeur âcre du gaz du Passage Choiseul qui vous bourrait l’en dedans où il avait attendu que ça se passe l’enfance et c’était long…
      Heureusement qu’y avait déjà les navires et les ports dont il n’savait rien à l’époque mais qui l’ont toujours fait rêver cornichon qu’il était comme nous tous les mômes de la banlieue à croire qu’on aura un destin de corsaires fabuleux et rafleurs des trésors des perles et des diamants qui sont rien qu’à nous au fond un petit peu puisque les autres les cousus de fil d’or brodés et rebrodés de partout ils ont déjà tout.
      Oui… heureusement qu’il y avait le bateau-mouche pour faire prendre l’air aux petites tronches blafardes des mômes qui créchaient et grouillaient à l’intérieur de la coulée noire des murs et qui auraient de la campagne et de ses piafs et des bestioles ravies d’espace que les images des livres.
      Le Bateau-mouche qui faisait l’aller-retour jusqu’à Suresnes sur le grand foulard déplié vert de la Seine qui clapotait copine entre ses rives et qu’on pouvait drôlement en profiter même si on avait pas grand-chose. Flaouch !… flaouch !… vous vous souvenez le gigantesque remous autour de l’hélice… Flaouch !… flaouch !…


      Oui… c’étaient ces gens-là… les petits morveux de ceux qui fracassaient leurs poings sur les tôles de l’Ile Seguin qu’il allait voir à pieds en descendant et en remontant les raidillons zig-zag et tournicoton et les ruelles du côté de Clichy et d’Asnières le docteur Destouches… des banlieues comme les nôtres avec leurs odeurs d’épices et d’oignons frits nichées aux recoins sombres des escaliers comme à la saignée d’un bras replié au cœur du sommeil.
      Et pour sûr qu’à l’ami Louis ça lui causait vraiment ce voyage qu’on faisait incognitos et tout innocents de ce qu’on allait trouver là-bas de l’autre bord du décor… de l’autre bord de la vie avec dans le tire-bouchons des oreilles la voix qui racontait il y a longtemps et qui lui avait ouvert un monde au bout de la nuit.

      C’était un beau jour d’été… et la première fois comme je vous disais on avait débarqué avec dans la tête les histoires qui se passaient là à l’intérieur de la maison au bout du chemin qui embouche en plein au milieu de la côte de la Route des Gardes après le retour de Céline de sa prison danoise où il avait bien failli laisser sa peau de vieux corsaire breton qui avait sacrément baroudé pourtant…
      Sa prison… la Vestre Faengsel… son cauchemar à Céline… le médecin qui hésitait pas à soigner ceux que tant d’autres se complaisaient à laisser crever dans les recoins noirs mouillés de Macadam city blues… son infini désarroi à Céline qui écoutait au cœur des hululements crachements grognements à l’intérieur de ses oreilles de cent mille trains fantômes traversant l’Allemagne ravagée par des rivières de feu vroum !… broum !… taratata boum !… la plus délicate et grelotant aux vents verts d’écume des petites musiques d’un siècle aux cruautés démesurées.
      Oui… c’est bien ça… la première fois l’ami Louis et moi on avait débarqué par méconnaissance du terrain vu que Meudon c’est plutôt loin de notre banlieue à nous… Nord… très Nord alors… et trépidante sifflante gémissante des pas des gens sur elle sur sa peau stridente d’écailles de pavés et des vieux rails bleus rouillés que les petits trains faisaient couiner en emportant jadis leur cargaison d’ouvriers d’une usine l’autre… on avait débarqué à la gare du Hat-Meudon tout ignorants l’ami Louis et moi et nous tenant bien fort la main.
      C’était pour apporter un signe d’amitié et d’océan trois ou quatre galets doux et ronds légers météores rose-gris couleur des cendres dispersées dans nos souvenirs de ceux qu’on a aimés et ramassés cet été sur la plage de Saint Malo à calui qui aimait tant s’y promener.
Ça avait pas été compliqué de le trouver le cimetière arrimé qu’il était à ses gargouilles de nuages de très jolies couleurs ce jour-là… la montgolfière suspendue bien au-delà des sentiers raidillons qui tourbillonnaient depuis la grande coulée de la Seine tout en bas et crapahutaient jusqu’à la cathédrale du ciel avec de nonchalantes embardées de droite et puis de gauche et puis de droite à nouveau…
      Non... ça avait pas été compliqué et en poussant la petite porte grise qui grinçait entrebâillée on avait cru d’abord que c’était une terrasse pour mâter tout autour et sans rien pour gêner l’étendue pas croyable de la banlieue qu’on voit jamais de si haut et ses collines du bleu nacré et du vert des ailes des libellules qui faisaient un collier autour du cou gracieux de la Seine courtisane.

 
      Et comme on n’savait pas ou presque rien on s’était dit l’ami Louis et moi en plongeant nos mirettes au creux de ces lieux familiers terrains vagues et fouillis de ronces aux éclats de verre multicolores qui avaient accueillis nos cavalcades d’enfance… chantiers abandonnés couverts de coquelicots sang aux pylônes miradors offrant leur déchéance à nos jeux d’Indiens parmi des réserves décadentes… on s’était dit qu’il l’avait choisi admirable Céline le grand navigateur son dernier port en pleins ciels.

      C’était un beau jour d’été… et quand on est entrés personne ne nous attendait c’était visible… Personne sauf le soleil qui cuisait les vivants et nous deux par le fait à l’intérieur de la marmite infernale des murailles ardentes de la banlieue chauffées rouge. Personne et pas même le gardien de la Vestre Faengsel qui ne savait peut-être pas quel était ce prisonnier étrange dont le regard au lavis bleu ne s’éclairait que lorsqu’un chat tigré sortait son museau du sac que portait la femme qui venait le visiter chaque lundi depuis des mois…
      Personne et pas même Caron avec sa gigantesque rame entre les mains qui aurait pu pourtant guetter qu’on se pointe et nous en balancer un énorme coup pour qu’on s’acquitte… Vrang !… brang !… vous entendez ?
      Et heureusement qu’il était pas là Caron vu que nous deux on venait juste rendre visite pas plus… Oui… heureusement… vous comprenez ?

      Naïfs comme vous êtes vous imaginez sans doute qu’ils avaient mis une plaque quelque chose à l’entrée de ce cimetière qui était vraiment de petite taille pour indiquer que Louis-Ferdinand Céline… le docteur… l’écrivain… leur faisait beaucoup d’honneur…
      Eh bien non ! Y’avait rien du tout et on s’est regardés tous les deux un peu désemparés l’ami Louis et moi mais pour sûr qu’on allait pas repartir avec nos cailloux doux et ronds d’océan au fond de nos poches c’était pas notre genre d’abandonner les amis et de pas tenir nos promesses… Surtout une promesse faite à l’océan vous pensez…
Alors on a pris chacun le petit cimetière rafiot égaré qui espérait que la Seine vienne lui faire la cour par un bout et on s’est promenés comme des chats discrets entre les tombes lisant un à un les noms pour la plupart effacés quand on se rapprochait d’un des murs où la pierre devenait du sable sous nos pas.
      A part nous et le soleil y avait vraiment personne à l’intérieur de ce cimetière arrimé au ciel par cet après-midi commençant d’un beau jour d’été et même le gardien avait dû aller boire une bière dans un café pas trop loin… y’avait vraiment personne pour nous donner l’indication… Alors on a marché… marché sans faire de bruit parmi les pierres qui devenaient sable sous nos pieds la sueur nous coulant doucement dans le creux du dos sous la chemise et les paumes de nos poings qu’on serrait au fond de nos poches d’émotion et de crainte de pas la trouver la lente voile de granit tendue toujours vers d’autres voyages.
      Faut dire que c’était pas la nuit et que ça nous aurait aidés de hanter les lieux au milieu des feux follets complices des étoiles des noctuelles et des chats fantômes familiers. C’est certain que Bébert aurait été là pour nous montrer l’endroit celui juste qu’on avait pas remarqué… là… au bord… là… devant nous… à deux pas… Au lieu de ça y avait que le soleil agaçant et vénéneux qui se moquait de nous en faisant craquer des pépites de lumière dans nos yeux.
      Ça éblouissait scintillait pétillait des tas de petites lucioles de marbre blanc et de micas doré qu’on pouvait plus lire les noms… Et dans les oreilles c’étaient les milliers de voitures sorties des mains fossiles des ouvriers de l’Ile Seguin qui fonçaient miaulaient arrivaient sur moi leurs phares allumés pour rendre tout ça encore plus épouvantable… Vroum !… boum !… ratata boum !… vous entendez ?

 

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6 décembre 2005 2 06 /12 /décembre /2005 01:36
 
 
Une fille qui écrit sans papier
Des livres de sable
 
      Gare du Nord… Gare du Nord… les rats ils pointent leur museau rose fendu de sous les rails où ils crèchent à cette heure justement… les rats anthracite au cœur de la savane rouge d’où partent tous les rails et les trains de nuit qui vont toujours quelque part…
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
 
      Elle s’enfonçait Marion sa frimousse au rire de lin bleu et le chien Sentinelle à ses côtés le long des rails de la Gare du Nord la nuit avec ses vêtements trop légers à ce moment qui était déjà plus que l’automne et que ça tourbillonnait presque les premiers flocons au goût sucré au-dessus des braseros à la lueur orange comme des papillons.
      Neige carbonique…
      Je savais que c’était la nuit qu’elle taggait Marion sur les murs gris béton et rose usé des briques plâtrières où ça s’effrite semblable aux murs des cases des villages d’Afrique que les femmes peignent avec des terres de couleurs et leurs paumes nues…
      Je savais que c’était la nuit qu’elle taggait Marion et les autres aussi tout comme elle qui bariolent joli les façades trop sinistres le long des rails qui s’en vont jusqu ‘au bout de la périphérie… ouais c’était la nuit et même si ça peut paraître étrange à ceux qui la nuit dorment dans leurs lits aux draps de tiédeur et d’oubli… la nuit y’a des gens qui font des choses incroyables… Pfuitt… Pfuitt…
      Mais c’était pas tout ça… moi il fallait que je la retrouve Marion à cause de cette histoire de la paire de baskets rouges que j’avais achetée pour elle dans un super marché ou je n’mettais jamais les pieds d’ordinaire… des baskets d’une marque qu’elle avait pas pu avoir auparavant vu qu’chez elle on n’se payait pas des trucs comme ça et je savais que ça lui plairait à Marion et qu’avec ces godasses-là elle volerait semblable aux oiseaux du vent bien plus loin que les murs de verre qui la retenaient prisonnière.
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
 
      Non pour sûr des baskets comme ça ni elle ni moi on n’en avait eues entre les mains et pour les admirer pareil à un jouet du Père Noël je les avais sorties de leur boîte et posées chez moi à côté de la bibliothèque au milieu des bouquins éparpillés partout par terre la grande étendue de sable blanc de leurs pages qui me faisait mes dunes d’océan à l’intérieur de la pièce où je travaillais et où je dormais à la fois dans ma cité périféerique.
      Imaginez des livres de sable… une folle quantité de grains de sable autant que de mots qui se faufilaient entre les doigts comme si on avait été là au cœur d’un géant désert et qu’une bibliothèque sans murs et sans portes s’étalait grimpait enjambait de formidables dunes où glissait la parure ocre et fauve des histoires amoncelées sous le fastueux pétillement des étoiles bleues…
      Imaginez des milliers de livres de sable dont les pages s’immobilisaient soudain entre les mains des créatures qui les ouvraient avec une curiosité et une tendresse amicale et se couvraient de traces d’encre…
      Imaginez ensuite à l’aube la bibliothèque mirage redevenant dunes et se couvrant de météorites calcinés qui marquaient le lieu de la rencontre… le lieu des pierres où prendrait fin un jour notre errance… vous comprenez ?
 
      Je les avais posées chez moi les baskets rouges au pied de la bibliothèque et chaque nuit après mes heures d’écriture à la lueur de mon petit fanal je m’endormais en les regardant et en songeant à Marion et au chien Sentinelle qui devait traverser dans le froid violet aiguisé de cette heure-là de monstrueux tas de feuilles mortes pour rentrer enfin à l’intérieur d’un des squatts où ils sommeillaient parfois tous les deux serrés sous la couverture orange aux losanges vert pomme.
      Ouais… je les regardais les baskets rouges et je me disais qu’à son âge si j’avais osé je les aurais piquées dans un de ces super marchés où je n’mets jamais les pieds d’ordinaire… et Hop ! Hop !       Alors chaque matin avant de partir direction Gare du Nord pour porter mes chroniques au journal dans lequel je travaillais je les fourrais au fond de mon sac à dos râpé vieillot malmené de pluies amères et de soleils insensés pour elle Marion… Marion au rire bleu de lin vous comprenez ?…
 
      Gare du Nord.
 
      Quand on arrive le matin sous la verrière qui pleut sa lumière gris-rose on les voit pas les vigiles blacks au visage bleu-noir avec leurs chiens noirs-noirs d’ennui… ils sont devenus comme transparents lavés léchés gommés par le regard mouillé des gens aux yeux gris-cendres et mauve avec des cernes en dessous encore tout endormi… un regard qui boit la gare entièrement et les rails les quais macadam blues les trottoirs goudron et les rues aussi pour finir.
      Un regard qui n’voit ni les rats et leur museau rose fendu qui guettent éparpillés frileux assis sur leur derrière les premiers morceaux de croissants jetés à côté des sacs poubelles ni les SDF accroupis contre leur barda sacs bouteilles à moitié vides couvertures godasses défaites pantalon trop grand autour de la luciole orange qui chauffe un instant leurs doigts de givre…
 
 Gare du Nord vous connaissez ?
 
Comment ça lui a pris à Marion cette idée de suivre les rails d’acier bleuâtre la nuit pour tagger sur les murs béton gris et ocre rouge des briques plâtrières avec le chien Sentinelle dans ses pas elle ne sait plus trop…
Imaginez ensuite à l’aube la bibliothèque mirage redevenant dunes et se couvrant de météorites calcinés qui marquaient le lieu de la rencontre… le lieu des pierres où prendrait fin un jour notre errance… vous comprenez ?
      D’abord y a le fait que la nuit quand tu vis dehors avec ton chien tu n’peux dormir nulle part sauf dans un squatt par hasard et même c’est pas tel’ment r’commandé pour une fille de son âge… Alors souvent tu marches… tu marches et t’attends qu’le matin y vienne et si t’as un peu d’monnaie t’avales un’ tasse de café… la grande si tu peux… ou alors l’extra c’t’un chocolat avec plein d’mousse par-dessus…
      Et puis tu t’installes au creux d’un coin qu’tu connais avec le chien Sentinelle pour garder et tu pionces si t’as la chance qu’on t’dérange pas…
      Sûr qu’la nuit jamais tu dors alors vaut mieux avoir des choses à faire elle s’était dit Marion en r’montant la première fois le long des murs des entrepôts ses pieds dans les rails givrés qui filaient sous les semelles vite vite… hop ! hop ! en écoutant qu’y ait pas un train qui les fasse carpettes elle et le chien Sentinelle pour de bon…
      C’était la fille qu’écrivait qui lui avait donné l’idée d’faire un truc qui lui plaisait sacrément à Marion et ça n’lui était pas arrivé avant… elle se disait ça en sautillant d’un rail bleu givré à l’autre hop ! hop ! et en respirant pas facile derrière le foulard noir que lui avait passé un vieux qui travaillait dans les dépôts d’récupération en échange d’un coup d’main pour décharger des cartons avec le bazar dedans.
      Y vaut mieux s’cacher l’museau sous un foulard noir quand tu tagges la nuit le long des rails où les vigiles blacks au visage bleu-noir n’vont pas avec leurs chiens noirs-noirs d’ennui mais on n’sait pas…
      Ouais… y valait mieux… c’était un des types veilleur de nuit des entrepôts qui lui avait dit à Marion quand elle l’avait croisé les premiers soirs avec le chien Sentinelle qui le reniflait et qui aboyait pas… Il connaissait bien les taggeurs le bonhomme qui avait une patte plus courte que l’autre et il était tout silence et complice avec…
      Il lui avait dit ça à Marion et elle avait senti qu’lui aussi comme la fille journaliste il avait d’la bienveillance pour elle et le chien Sentinelle l’avait senti pareil pour sûr…
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
 
      Hop ! Hop ! Les pieds sur les rails bleus givrés ils glissent légers et aussi ils manquent de la faire tomber Marion avec ces godasses de quand elle créchait chez ses vieux c’est pas gagné de s’faufiler à travers les poussières de sable qui chutent des réverbères autour des entrepôts…
      Hop ! Hop ! Marion plus ça va plus elle fréquente ces coins-là autour de la Gare du Nord et de plus en plus loin direction de la banlieue elles trouve des endroits où les autres ont déjà écrit leur nom.
      L’avantage des gares le long du balast ou des lieux d’ce genre c’est qu’une fois que tu as quitté l’espace où les gens ordinaires ils attendent fourmis autour du fanal orange et les vigiles blacks et les chiens le museau ficelé et les rats assis sur leur derrière c’est qu’y a pas lerche de passants pour te déranger et qu’y a de la lumière.
      Les entrepôts des gares la nuit y sont plus lumineux blafards que la neige carbonique qui t’mousse dans les mirettes en paillettes d’argent.
      On l’croirait pas mais c’est vrai et Marion avec le chien Sentinelle ça l’arrange bien vu qu’pour l’instant elle a pas d’quoi s’payer la lampe qui éclaire projecteur et qui pèse dans la musette que les autres taggeurs y s’débrouillent en l’ayant à plusieurs… Non… elle peut pas Marion et pas plus les bombes de toutes les couleurs…
      Hop ! Hop ! Ouais… pour l’instant les bombes qu’elle a planquées au fond d’la musette militaire Marion c’est seulement du rouge du noir et du blanc…
      - Tu commences avec ça et t’apprends à faire les formes avec les bombes… et quand tu sauras corretc j’tâcherai de t’en avoir d’autres des couleurs…
      Ça c’est Banou un jeune black qui lui avait parlé vite fait une nuit où ça commençait à geler le bout des doigts… Elle l’avait pas entendu venir sautant bondissant volant sur ses baskets diaboliques pendant qu’elle dessinait son nom à la craie par-dessus le tag d’un autre qu’avait fait là l’outremer et l’émeraude d’Océan profond profond avec tout au bout le troupeau d’éléphants blancs qui attendaient l’aube.
      Elle l’avait pas entendu Marion parc’qu’elle avait pas l’habitude des oreilles toujours ouvertes coquillages pour se prévenir de l’arrivée des trains de nuit bien avant et Sentinelle non plus qui vagabondait farouche à l’aventure.
      Non… elle l’avait pas entendu Marion… hop ! hop !…
      - Eh ! fais attention cousine… si t’entends pas un mec qui t’approche derrière m’étonne que tu r’pères l’Amsterdam avant qui t’ait raplatie…
      Ça l’avait fait sursauter Marion c’te voix presque dans son cou et en s’retournant elle a vu que du noir c’qui était encore plus incroyable. Banou c’était une grande silhouette black avec la cagoule du sweet et l’foulars on aurait dit qu’c’était aussi sa peau…
      - Pas d’risque qu’y m’voient dans la nuit les vigiles si jamais y z’avaient l’courage… il a dit à Marion quand il lui a passé les bombes… j’suis plus noir qu’leur âme de cirage…
      Et en reluquant la signature que Marion elle avait tracée par-dessus l’outremer océan il a écarquillé le blanc d’ses yeux qui pétillaient allumaient toutes les allumettes brûlées de l’obscurité. Il a fouillé à l’intérieur de son sac à dos et il lui a donné juste de quoi mettre la main au monde étrange des taggeurs. Alors  il a ajouté en sifflant un p’tit coup joyeux :
      - Eh la cousine !… c’est trop l’pseudo qu’t’as là… neij carbonik… j’vais t’le piquer moi ça m’ira terrible !…
 
      D’abord il lui a refilé rien qu’les deux bombes… une de noir et une de blanc à Marion qui savait pas comment faire avec ça dans les mains. Et puis il a sorti une bombe de rouge aérosol d’la couleur d’la savane écarlate autour des éléphants blancs dans la nuit d’la banlieue.
      - Tiens cousine !… le rouge c’est l’sang des taggeurs ! Et fais gaffe à l’Amsterdam hein ! Y va pas tarder…
      Et comme le chien Sentinelle était v’nu voir si y avait pas un croûton d’sandwich h jambon beurre dans l’sac à dos il a ajouté en riant avant d’filer sans bruit sur ses baskets pas croyables :
      -Eh ! l’chien toi t’es un super bon gardien alors !   
Hop ! Hop ! Neij carbonik !… Neij carbonic !…
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
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2 décembre 2005 5 02 /12 /décembre /2005 23:41
Les Mille et une nuits des cités
 
Texte écrit à la demande de Christiane Chaulet Achour, professeur de littératures comparées à l’Université de Cergy-Pontoise.
 
 
L’origine des contes des « Nuits » dans la Cité et la naissance des histoires dans la mémoire d’une petite fille des banlieues au milieu des années 60.
 
      Je crois qu’il est important de préciser qu’au contraire de la plupart de celles et de ceux qui ont lu puis étudié Les mille et une nuits d’abord au cours de leur enfance et de leur adolescence, et ensuite de lectures destinées à creuser cet univers imaginaire et contique qui n’a pas fini de nous éblouir et de nous fournir des sujets d’écriture par sa richesse poétique au niveau de la langue et des histoires, et par les multiples cultures qu’il nous donne à découvrir, mon voyage au cœur de ce territoire qui a énormément marqué mon propre imaginaire est à l’origine tout à fait fortuit, improvisé et le fruit d’une avencture qui a commencé avant que je sois capable d’accéder par moi-même au monde merveilleux des livres de l’enfance.
      L’histoire des Nuits telle qu’elle m’est parvenue essentiellement fragmentée et hors de tout contexte qui m’aurait permis plus tard de la situer précisément, m’a été contée, dite, transmise telle que Scheherazade la disait au Sultan au travers de mille et une paroles que la situation métisse de la Cité dans ces années 60 rendait tout à fait authentique.
      Je ne sais pas au juste quand mon histoire d’enfance avec Les Nuits a commencé. Il ne m’est plus possible aujourd’hui de dissocier précisément les contes que me lisait mon grand-père piochés à l’intérieur des pages d’un très gros livre de prix à la couverture rouge cartonnée imprimée de filets et de lettres d’or et d’ombre, où était écrit en caractères géants qui ressemblaient pour moi à des insectes d’encre voluptueusement étirés et inquiétants : Les contes des Mille et une Nuits pour les enfants, et les mots des histoires venus à mes oreilles au cœur de la Cité où je vivais mon enfance partagée avec celle des petits Maghrébins chez qui les livres de ce genre n’avaient aucune réalité.
      D’un côté comme de l’autre, par la parole d’un vieil homme qui m’entraînait au sein d’un univers dont il ignorait tout et qu’il n’a jamais approché que grâce aux contes, ou par celle des femmes et des hommes venus du Maghreb pour servir d’ouvrières et d’ouvriers dans notre univers industriel, le monde des histoires que contait Scheherazade s’est installé au cœur de ma vie d’enfant tal un monde parallèle à celui de la Cité, qu’il alimentait en rêves et rendait supportable.
 
      Non, des livres, ni ceux des Nuits ni d’autres d’ailleurs, mes compagnons de la banlieue périphérique – que personne n’appelait alors « peériféerique » - n’en avaient dans les maisons de tôles et de planches qui voisinaient encore les bâtiments de la Cité, reste du bidonville d’Aubervilliers où certains continuaient d’habiter comme dans de vieux gourbis de paille sèche et d’argile.
      Pas de livres non plus entre les murs étroits et nus des appartements qui s’alignaient telles des cages à l’intérieur d’un cirque grotesque où la société et son spectacle triste parquaient nos rêves de jeunes Indiens nourris par les mots des histoires sauvés de l’exil à l’insu de toutes et de tous grâce à une mémoire migratoire.
      Dès l’âge de trois ans environ je suis donc entrée dans l’univers des Nuits au travers des deux moyens de raconter et d’imprégner un monde enfantin mis à la portée des êtres qui ne savent pas séparer le quotidien des rêves. J’y suis entrée au moyen des mots tracés sur les pages des livres que la parole transformait aussitôt pour mon plaisir en images merveilleuses, et des mots des contes dits surtout par les femmes qui, à chaque fois que je les suscitais me livraient avec un sourire gourmand et rusé ce que le quotidien de leur vie avait gardé précieusement des histoires jadis répétées par leurs mères et leurs grands-mères au cours de leurs enfances à elles, dans un de ces pays justement où tout cela s’était passé.
      C’est la coïncidence aventureuse des deux mondes, celui du livre des Nuits offert à l’enfance et celui de la mémoire des femmes conteuses, au gré de mon inconscient et de mon imaginaire enfantins, qui a donné naissance bien des années plus tard à l’émergence de mon propre désir de conter, d’écrire mes récits sous forme de ces « récits-contes » qui commencent ainsi : « Ecoute… écoute… je voudrais te raconter une histoire… »
      Mais pour en revenir à l’origine de cette façon de dire les contes qui m’a marquée, ces livres qu’il n’y avait pas chez les enfants maghrébins de la Cité, pas plus d’ailleurs que chez les filles et les fils d’ouvriers pour qui l’oralité était la seule courroie de transmission d’une culture populaire qu’on n’écrit pas, étaient remplacés par cette culture orale qui avait bin été quêter son imaginaire quelque part.
     
      Afin de comprendre l’atmosphère particulière des cités de ces années 60 dont on a si peu parlé de manière poétique et dont on a occulté la formidable qualité onirique et la force créatrice peu reconnue au travers du métissage qui commençait, il faut bien dire que si les hommes vendaient leurs mains et leur cerveau pour deux sous aux machines outils géantes qui les engloutissaient – ce qui ne les empêchait pas toujours tel le grutier algérien Lakhdar de mon premier récit Par la queue des diables de raconter des histoires – les femmes elles, du moins celles que j’ai connues alors, étaient dévolues aux travaux ménagers et notamment au marché où elles allaient en bandes multicolores vêtues de leurs longues robes scintillantes de couleurs pastel à la Dinet parsemées de paillettes dorées et argentées avec aux pieds des babouches qui me les faisait croire tout droit sorties des contes.
      C’est ainsi que je les voyais sous l’anorak beaucoup trop léger l’hiver lorsqu’elles revenaient lourdement chargées, leur couffin débordant de nourriture car elles ne fermaient pas la porte des appartements d’où jaillissaient des fous rires et des mots de cette langue qui m’intriguait tant qu’à peine sortie de l’école j’allais avec cette curiosité de l’enfance et son innocence joueuse parmi mes compagnons venus d’ailleurs me mêler à cette ambiance familiale si différente de la nôtre.
 
      Je ne sais plus au juste ce qui se passait alors ni à quel rituel étrange j’étais conviée mais ce dont je me souviens, car c’est ainsi que je suis entrée vraiment dans la magie des Nuits sans le savoir – et ce qui compte pour moi aujourd’hui quand j’écris c’est de ne pas l’avoir su alors – ce dont je me souviens c’est que lorsqu’elles épluchaient les légumes pour la chorba elles contaient, lorsqu’elles roulaient les grains légers du couscous entre leurs doigts ou de petites étoiles tatouées bleu m’intriguaient elles contaient, lorsqu’elles attendaient que le linge sorte tiède et lourd des premières machines des laveries où ma mère n’allait pas, elles contaient…
      Ou plutôt non, elles ne contaient pas ainsi que j’ai décrit la cérémonie du contage au cours de Par la queue des diables lorsque Loula la conteuse allume les lampes à huile.
Elles au fil de leur existence qu’elles avaient dû se rebâtir à l’intérieur de la Cité comme une nouvelle naissance à un monde dur et dont les automates d’acier les laissaient perplexes, elles disaient…
A ..suivre.
 
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25 novembre 2005 5 25 /11 /novembre /2005 12:17
J’ai eu envie de publier à nouveau la fin de cet article écrit il y a quelques temps à partir du livre Des filles et des garçons pour répondre à une amie qui me disait après avoir lu mes textes récents sur les cités de banlieue, qu’il ne fallait pas idéaliser ces lieux de vie souvent assez difficiles. Afin de montrer qu’on peut être à la fois lucide quant à certaines réalités quotidiennes et à la fois aimer vivre parmi les gens des cités de banlieue qui sont tout simplement des gens et affirmer que les cités sont nos territoires rayonnants et beaux.
 
 
Des filles et des garçons
suite
Aux jeunes filles et aux jeunes garçons des cités
Cet article a été écrit peut de temps après la mort de Sohanne à Ivry.
 
Article écrit à partir du livre collectif des filles et des garçons, préface de Fadéla Amara, présidente du mouvement Ni putes ni soumises, Ed. Thierry Magnier, 2004 que m’a envoyé Leïla Sebbar.
11 nouvelles de : Jeanne Benameur, Shaïne Cassim, Kathleen Evin, Guillaume Guéraud, Véronique M. Le Normand, Susie Morgenstern, Jean-Paul Nozière, Thomas Scotto, Leïla Sebbar, Frank Secka.
 
Pour Samia           Kathleen Evin
 
“ J’ai promis de répondre aux questions de cette journaliste qui me tanne depuis des semaines. Et je sais que je dois le faire. Pour Samia, d’abord. C’est ce qu’elle voulait. Que son histoire serve, pour que d’autres filles ne vivent pas la même horreur. ”
 
      Samia est semblable à Sohanne à Samira bien que Samira ait eu l’énergie et la chance de se tirer de là. Semblable à chacune de ces filles qui vivant dans un pays dit moderne dit laïque et démocratique sont sacrifiées sur l’autel de la déesse Ordure. C’est le nom qu’ils leur donnent dans leur langue à eux. Leur langue de mecs apprise au fond des ghettos de la haine et de la peur où ils sont mis à mijoter sans soupçonner à quoi ni a qui ils servent.
      A quoi ni à qui eux-mêmes sont sacrifiés. Eu, les garçons des cités des banlieues crasses. Eux les garçons auxquels les pères ne parlent pas… ne parlent plus. Ordure ou charogne c’est ainsi qu’ils les nomment les filles les garçons dans ce monde-là.
      Ce monde que des administrateurs fous ont commencé à inventer il y a quarante ans et qui s’appelle lui puisque tout au fond n’est qu’une histoire de mots : Périphérie. Périphérie de la vie.
 
“ …J’habite ici depuis sept ans. Dans la tour Léonard-de-Vinci, la plus haute des dix qui composent la cité des Artistes… ”
 
      Marie-Gazelle et Samia vivent dans la cité des Artistes et Samia trouve que c’est quand même mieux que ce qu’elle a pu voir de l’autre côté là-bas à Alger. “ … La violence des cousins, moqueurs et brutaux, envers elle et les autres filles… ” Samia et Marie-Gazelle venue de Madagascar. Deux fillettes dans la tour Léonard-de-Vinci de la cité des Artistes majuscules. Deux amies… deux sœurs “ à la vie à la mort ”.
      Deux filles qui finiront forcément par avoir un corps de femme et ça dans la Périphérie ça signifie danger !
      Comment imaginer qu’à l’intérieur de certains territoires, au sein d’un pays moderne où il y a certaines lois qui parlent d’égalité et de liberté, exister seulement c’est risquer sa peau ?
 
“ J’avais pris des rondeurs féminines qui faisaient sourire ma mère, et qui, moi, me poussaient à m’enfouir sous des pulls de trois tailles trop grands et des pantalons dans lesquels deux comme moi auraient pu tenir à l’aise. ”
 
      Elle a des raisons Marie-Gazelle pour cacher son corps. C’est que le mari de sa mère la convoite en douceur.
      Que peuvent faire les filles contre la violence du désir des hommes ? Que peuvent faire les filles si ce n’est se sauver fuir ou se cacher sous l’obscur des tissus noirs. Résister… braver leurs mots orduriers “ putes ” “ salopes ” en bas de la tour Mozart ?
      Mais les garçons à Paris à Lyon ou à Marseille aujourd’hui ne s’en tiennent pas aux insultes et aux mots orduriers. Les garçons aujourd’hui sont passés à l’acte. Ils savent que c’est devenu possible. Pire ils savent que c’est licite.
      Que peuvent faire les filles sinon écrire… raconter leur histoire. C’est ce qu’elles font Samira… Samia… Marie-Gazelle. Des mots contre des coups. De l’encre contre du sang. Des feuilles de papier contre des lames aiguisées.
      Pour Samia c’est Farid le frère aîné retourné en religion lors de son séjour en prison qui a pris la place du père. “ … Farid a décidé de reprendre mon éducation en main et de faire de moi une bonne musulmane… ”
      Violence sur l’esprit “ … Je ne peux plus lire ce que je veux… ” Violence sur le corps “ …D’abord en tentant de me persuader, puis en me frappant, il m’a interdit tout ce qui était ma vie… ” Le corps muet, le corps masqué passe des mains d’un homme à celles d’un autre. “ … L’oncle d’Alger avait rappelé à Farid la promesse “ formelle ” de son père envers lui : sa fille aînée était promise à son fils. Il était temps de la tenir… ” Objet. Monnaie d’échange. Produit consommable. Produit consommé. Emballé. Pesé. Livré.
 
“ … Le lendemain, c’était un samedi, Samia a enjambé le balcon (…) Dans l’enveloppe de Samia, il y avait, écrit serré, toute son histoire. Abdoulaye en a fait beaucoup de copies, pour la presse et la police, comme elle le voulait. ”
 
      Ecrire pour cesser de mourir.
 Les trois sœurs et les filles des cités       Leïla Sebbar
 
“ Les trois sœurs, on les attend. (…) Les cheveux fous des trois sœurs, comme Safia l’orpheline on l’appelle “ la folle ” ses cheveux en l’air, elle a pas un père ni une mère pour lui dire : “ Ton foulard, n’oublie pas ton cardoun ”, le tissu qui s’enroule autour des cheveux de mes sœurs, ça fait une longue queue dans le dos, Safia elle a pas de sarouel et elle tape dans le ballon avec nous sur le stade. ”
 
      Le jeune garçon qui regarde passer les trois sœurs les trois filles du maître de l’école des garçons arabes. Il vit là-bas en Algérie même si alors l’Algérie ne porte pas encore ce nom-là. Ce sont des années un peu avant celles de nos enfances à nous dans les cités de ce côté-ci de la Méditerranée.
      Nos enfances à nous vingt ans après avec d’autres garçons algériens mêlés aux frères aux cousins et aux garçons de toutes les origines qu’on veut… Des fils d’immigrés ou pas en bas des blocks avec nous les filles sur le macadam terrain de jeu obligé entre les poubelles.
 
      “ … Safia l’orpheline on l’appelle “ la folle ”… parce qu’elle joue comme les garçons dehors. Elle fait ce qu’elle veut sans la famille pour lui interdire ci ou ça. Parce qu’elle a senti alors que la liberté c’est d’être du côté des garçons et pas de celui des filles.
      Ici aussi les filles des cités portent des jupes plissées à l’époque où je me souviens “ … les plis des jupes découvrent la cuisse, elles ont les cuisses blanches… ” Et les garçons en bas à côté des poubelles qui débordent et qu’on laisse entre le parking des voitures où ils jouent à se cacher et à hurler si jamais on approche… et le bac à sable des petits où ils vont pisser quand personne ne les voit… Ils n’ont pas plus de neuf ans et peu importe l’origine alors tous ensemble ils s’appellent “ les Indiens ” et ils organisent la guerre contre les filles qui habitent pourtant le même escalier qu’eux.
 
      Je me souviens, 1960-70, pas encore la haine distillée dans le compte‑gouttes habile du religieux mais déjà sous nos jupes trop courtes pour nous mêler à leurs expéditions dans le terrain vague où le chiffonnier surveillait de grandes collines de détritus fumant nuit et jour qui menait aux petits chemins boueux des jardins ouvriers, et de l’autre côté plus loin aux cabanes où survivaient des gens dont on ne parlait pas à la maison nous sentions la brûlure.
      Nos mollets et nos cuisses surtout la pliure du genou derrière ils les visaient avec les lance-pierres où ils mettaient de gros boulons d’acier… des bouts de ferraille rouillés volés au stock du chiffonnier et des billes de plomb. Cela nous faisait de petites étoiles violettes sur la peau et déjà je me demandais sans jamais me plaindre pourquoi ?
      Pourquoi nous étions des êtres différents qui n’avions ni lance-pierres ni rien qui nous permette de jouer avec eux à armes égales alors que cette “ mixité ” n’allait pas tarder à nous tomber dessus et qu’on nous ferait croire que nous étions semblables. Pourquoi alors que leurs culottes courtes les autorisaient à exhiber leurs jambes grêles et sans cesse éraflées oui pourquoi les nôtres étaient-elles la cible de       leurs quolibets et de leur cruauté innocente ?
Je me souviens que je devinais que quelque chose d’essentiel nous séparait. Quelque chose qu’on me cachait. Et qu’à force de ne pas pouvoir puis de ne pas vouloir y mettre des mots il y aurait une sorte de “ folie ” qui s’emparerait de moi. De nous.
 
“ Elles ont peur, je suis sûr, parce qu’on crie aussi fort que les cavaliers, on tire pas des coups de fusil, mais les mots les frappent, même si elles comprennent pas, les petites “ Roumiate ”, elles entendent nos insultes et même si elles nous regardent pas, elles voient nos gestes vers elles. ”
 
      Lui il vit là-bas. L’interdit qui souligne la différence il le connaît. Il le partage avec les hommes dans la brutalité de la séparation d’avec la mère lorsqu’il est devenu trop grand pour l’accompagner au hammam des femmes.
      Ce qu’il ne doit plus ni regarder ni toucher il le devine, toujours sans qu’il n’y ait de mots pour désigner… pour nommer l’autre… sa réalité, sa présence alors que rien n’explique qui “ elle ” est. Cet inconnu demeure à l’intérieur de lui prisonnier d’un espace fusionnel perdu qu’il nourrit de légendes de croyances de superstitions.
En ne s’éveillant pas à la femme en tant qu’être dissemblable mais fraternel égal à lui-même il alimente sa peur et son désir toujours refoulé… enfoui… honteux… haineux.
 
  “ … Ce qu’on pense, nous les garçons, (…) qu’elles sont peut-être des filles, nos sœurs aussi, même si on voit rien, mais qu’elles sont filles à moitié et l’autre moitié des “ Djiniate ”, des génies, bons ou mauvais, mais on pense aussi que les “ Djiniate ” sont belles… ”
 
      Lui maintenant il vit ici “ … Je suis vieux, c’est pas l’âge, c’est le travail… ” dans une des cités où les garçons continuent sur la même lancée à n’avoir aucun mot pour parler aux filles avec lesquelles ils vivent chaque jour… l’escalier… le hall… le parking… la rue… l’école… mais que fait-il pour leur expliquer… pour leur imposer la différence qui fait le sel de l’amour, le respect ? “ … Nous, les pères, qu’est-ce qu’on fait, qu’est-ce qu’on dit ? Rien… ”
 
      Peut-être qu’il sait au fond de lui-même en repensant à son enfance et aux trois filles du maître qu’elles ont raison les filles des cités. Qu’elles ont raison de dire aujourd’hui ce que nous n’avons pas dit hier.
      Ecrire pour dire qu’il n’y a pas de vie vraie et bonne sans la liberté.
 
 “ … Mais nos filles, les filles de la cité, les filles des cités résistent. Elles étaient belles, j’étais fier… ”
  
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17 novembre 2005 4 17 /11 /novembre /2005 17:47

J'ai mis cet article en ligne deux fois de suite hier, mais comme il n'est toujours pas inscrit dans le blog, alors je recommence... espérons que...

Journal d’une fille de banlieue
Une fille qui écrit sans papier
 
      Gare du Nord Gare du Nord… toujours plus vers le Nord dans la banlieue sur Macadam city blues vous connaissez ?
 
      Gare du Nord.
      Y a des heures de la nuit où on les croise beaucoup moins les vigiles bleu-noir avec leurs chiens noir-noir d’ennui la tête dans leur muselière muselée comme à l’intérieur de la cagoule noire rebelle et guerrière des jeunes de la cité ou aussi la capuche du jogging et le bonnet qui tient bien les dread locks en dessous mais c’est pas vraiment le même désastre vu que les humains eux ils ont pas envie qu’on les traite comme des chiens justement.
      Ouais… y’a des heures de la nuit rousse son vieux mégot fatigue au bec… et pourtant c’est la fête au-dedans de ses tripes macadam le samedi soir au long des trottoirs blues qui virent au rouge savane des histoires et des coups de poing sur l’épaule où on oublie les machines suceuses lâpeuses frotteuses astiqueuses qui zigzaguent entre les bandes de rats assis sur leur derrière museau fendu rose au vent froid de ce bout d’automne s’traînant par ici…
      Ouais… y’a des heures où seuls les rats anthracite au poil hirsute en ont encore le goût de l’atmosphère de Macadam city blues et de sa Gare du Nord…
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
 
      Y’a des nuits et des jours où on aimerait bien se tirer de là… S’arrimer à un immense rafiot aux voiles très mitées trouées et la prendre en pleines dents l’odeur âpre douce d’Océan et se faire corsaire avec des batailles d’écume et des extincteurs d’eau de mer à en plus finir nos feux qui couvent flammes géantes sous les braises de nos impuissances marines calcinées.
      Ça crame drôlement par ces temps et c’est pas ce qu’on croit… alors on serait naufrageurs peut-être des navires bourrés de baskets rouges noires blanches et de souliers venus d’ailleurs qui n’valent pas un rond leurs semelles pneus de camions qui ont roulé leurs carrosses d’éléphants blancs tirés sur des sentiers de brousse empoussiérés rouges et sans fin…
      Y’a des nuits et des jours où on n’croise vraiment que le regard fuyant fou de peur des rats qui se ruent sous les tas de fils tombés au pied des poteaux d’électricité pour se cacher s’dénicher un refuge une maison et là devant nos yeux ils meurent en hurlant et rouge leur sang pointillé au bout de leurs oreilles tandis que les trains qui s’en vont toujours quelque part font un bruit d’enfer. Traderidera…
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
 
      Quand donc elle est arrivée là Marion avec le chien Sentinelle dans ses pas et la musette militaire où elle a dessiné des choses que la pluie à bien léchées depuis et juste dedans les affaires que le SAMSOC lui a refilé elle sait plus trop… Mais maintenant y a la couverture orange avec des losanges vert pomme qu’elle a troqué chez les récupérateurs contre un peu d’la monnaie que la fille du train a mis au creux d’sa main…
      Y’a la couverture pour le chien Sentinelle et pour elle dans l’courant d’l’hiver qui a pas l’air d’une saison mais d’un coup de neige d’extincteur dans le dos… Y’a la couverture et ça c’est chouette !…
      Y’a la couverture orange et les losanges vert pomme pour une fois qu’elle peut avoir une affaire avec d’la couleur qui lui va c’est miracle et pas cher encore…
      Y’a la couverture et puis y’a autre chose que Marion a pas su expliquer au chien Sentinelle son confident qui comprend sans les mots.
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
 
      - T’es journaliste alors ?… Ses yeux de ce bleu-là qui te submerge et que tu n’peux rien contre… du bleu pirouettes galipettes au milieu des fleurs de lin et des lavandes petites mais le parfum grand comme l’odeur des lessives des lavandières qui te prend toute la peau et te la retourne… un parfum de rivière et de terre frottée par le soleil du même coup…
      Ses yeux ils me faisaient basculer dans les remous d’Océan hier… ses yeux d’enfance pas encore brûlée au petit feu de l’agonie de vivre… dedans y avait tout… il y a longtemps… quelque part…
      - Ouais… si tu veux… j’écris pour des revues… la vie des gens quoi… enfin quand ils veulent bien me raconter… Et puis sur des livres aussi… enfin tu vois…
      - Ah ! sur des livres… Elle a fait la moue comme quelqu’un qui a le sentiment d’une chose drôlement ennuyeuse et elle l’a chassée en éclatant de rire devant l’air agacé du type de la guitoune d’où le parfum café ne sortait plus que par petits morceaux cassés qui venait voir quand on allait finir par dégager de là et lui laisser la place au milieu des sacs poubelles plastique bleu remplis de toutes les odeurs de sa vie.
      - Ouais des livres… mais ce que j’aime bien c’est écrire des histoires…
      On marchait sous la lueur noir-mauve de la verrière avec au-dessus très loin les champs de lin obscurs des étoiles qui éclairaient un peu et je songeais en la regardant comme ça pendant qu’elle réfléchissait à des choses à elle que si j’avais eu une fille j’aurais voulu qu’elle soit comme elle et que ça m’aurait mis des tas de soleils bleus ébouriffés dans ma vie.
 
      Gare du Nord.
 
      Les rats ils pointent leur museau rose fendu de sous les rails où ils crèchent à cette heure justement… Les rats anthracite partout où on vit on les retrouve discrets silencieux au cœur de la nuit rouge de la savane ils savent avant nous ce qui se trâme et ils secouent la cendre orangée des cauchemars anciens pour venir à la rescousse sur Macadam city blues.
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
      Brutale elle s’est arrêtée juste avant qu’on soit embarquées par le courant d’air qui emporte les musiciens et leurs petits singes faisant la manche dans une casquette black pailletée de rouge rouge pour pas que les vigiles les chassent vers les porches sombres où ils disparaissent comme derrière des rideaux de scène.
      - Eh ! ma jolie… par là c’est plus mon quartier… j’m’aventure pas quand j’connais pas… de l’autre côté y m’laissent alors j’vais retrouver Sentinelle… Faut qu’on s’chauffe un peu les pattes à l’électrique avant qu’y n’ferment…
      Je la regardais… jeune tellement jeune… seize ans pas plus… quand j’étais ado comme elle dans les années… 70… faut dire que ça fait un moment… les copines erraient à la recherche d’une piaule où dormir un soir après avoir quitté la maison vu qu’on n’les y retenait pas… Quand j’étais ado comme elle… y’avait… 30 ans au moins… c’était tout pareil aujourd’hui alors ?…
      Où donc le wagon rempli de rêves nous a-t-il filé entre les doigts ? Ouais… où donc ?…
      Ses yeux bleus de lin me fixaient encore une fois avant de disparaître dans la nuit alors j’ai dit très vite les mots qui me passaient par la tête même si c’étaient des mots pour rien…
      - Eh Marion ! toi aussi tu devrais la raconter ton histoire… L’écrire à la craie de couleur sur les trottoirs… Pas besoin de papier Marion !… Regarde les murs des entrepôts le long des rails…
      Elle m’a fait un grand signe de la main en se retournant vu qu’elle était déjà loin parmi les gens qui avaient des allures de gros animaux endormis et elle a crié pour que j’entende malgré le bruit de la machine suceuse qui avalait tout…
      - Eh ! merci pour la couverture ma jolie…
       Gare du Nord vous connaissez ?
      Une fille qui écrit sur Macadam black goudron ça vous dit quelque chose… quai 36 ou bien comme ça vous l’avez p’t’être vue y’a de ça… quelques temps quand vous rentriez de vos heures de nuit… sacs poubelles serpillières balais et seaux… Pfuitt… Pfuitt… juste une petite coulée d’eau savonneuse pas plus… les doigts frottés rincés usés…
      D’abord il avait fallu faucher les craies de couleur à la papeterie du Faubourg… des craies de couleur bien entendu… des craies de couleur pour des mots de couleur pas moins !
      Des mots de couleur sur Macadam black très black alors… mais Marion les mots ça lui disait pas et aux gens qui essuyaient leurs pieds sur la peau de Macadam black non plus… On leur en avait tant mis des mots sur les papiers qui promettaient des choses… des choses de vents et de poussières…
      Sauf deux qu’elle aimait bien par’que c’était joli et que ça faisait de l’imagination… elle les avait vu écrits en gras dans un journal après un très énorme incendie de voitures quelque part vous comprenez ?
      Alors elle avait commencé avec ça vu que c’était leur histoire à Sentinelle et à elle aussi… une histoire de feu en dedans et de froid tout blanc pour finir…
      Neige carbonique…
      Elle l’avait écrit partout sur les quais de la Gare du Nord Marion avec les craies de couleur et la neige qui éteint les incendies dans le cœur des gens avait pris la couleur rouge de la savane rouge et sang pour finir…
      Neige carbonique…
      Effacer le feu… effacer la vie… effacer les gens… mais rouge alors la neige elle peut plus rien effacer du tout vous comprenez ?
 
      C’est comme ça sûrement que ça lui est venu à Marion l’envie d’une chose qui va beaucoup plus loin que les mots… les mots pour rien… l’envie des images qu’on dessine rouge rouge et sang sur les murs de papier…
      L’envie des images et des bombes vous comprenez ?
 
      Gare du Nord Gare du Nord… toujours plus vers le Nord dans la banlieue sur Macadam city blues…
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