C’était un beau jour d’été… et Meudon je n’sais pas si vous connaissez mais c’est un endroit de nos banlieues où Macadam city blues relève un peu ses jupes de bitume pour tremper ses pieds entre les coques de bois pansues des péniches aux couleurs vives dans l’eau de la Seine qu’on voit depuis le Pont Mirabeau venir vers nous comme un grand foulard tout déplié…
Meudon pour sûr c’est un endroit à n’pas perdre de vue avec le ventre du fleuve qui bouillonne tranquille des deux côtés de l’Ile de Saint-Germain qu’est une drôle de courtisane vis-à-vis de l’Ile Seguin où y a plus personne maintenant pour faire ronfler la mécanique… Vroum ! boum ! vroum ! ratatata boum !… Vous vous souvenez ?
Et pourtant il en est sorti des autos de c’t’endroit-là et des mains devenues fossiles des ouvriers qui emboutissaient la tôle et ça gémissait ça haletait ça grinçait de partout jusqu’à l’ivresse de la grande machination des choses qu’on lâche ensuite parmi les humains et qui broient le verre du sablier avec le peu de temps qui leur reste quelques grains de sable au creux de leurs paumes. Pfuitt… pfuitt… vous entendez ?
C’était ces gens-là qu’il avait bien aimé soigner le docteur Destouches Céline si vous préférez dans son temps à lui de la banlieue. Jamais il se perdait en bourlingues au long des quartiers bucoliques sagement frimés où habitent les dames emperlousées qui venaient peut-être juste pour voir faire un tour au creux de l’odeur âcre du gaz du Passage Choiseul qui vous bourrait l’en dedans où il avait attendu que ça se passe l’enfance et c’était long…
Heureusement qu’y avait déjà les navires et les ports dont il n’savait rien à l’époque mais qui l’ont toujours fait rêver cornichon qu’il était comme nous tous les mômes de la banlieue à croire qu’on aura un destin de corsaires fabuleux et rafleurs des trésors des perles et des diamants qui sont rien qu’à nous au fond un petit peu puisque les autres les cousus de fil d’or brodés et rebrodés de partout ils ont déjà tout.
Oui… heureusement qu’il y avait le bateau-mouche pour faire prendre l’air aux petites tronches blafardes des mômes qui créchaient et grouillaient à l’intérieur de la coulée noire des murs et qui auraient de la campagne et de ses piafs et des bestioles ravies d’espace que les images des livres.
Le Bateau-mouche qui faisait l’aller-retour jusqu’à Suresnes sur le grand foulard déplié vert de la Seine qui clapotait copine entre ses rives et qu’on pouvait drôlement en profiter même si on avait pas grand-chose. Flaouch !… flaouch !… vous vous souvenez le gigantesque remous autour de l’hélice… Flaouch !… flaouch !…
Oui… c’étaient ces gens-là… les petits morveux de ceux qui fracassaient leurs poings sur les tôles de l’Ile Seguin qu’il allait voir à pieds en descendant et en remontant les raidillons zig-zag et tournicoton et les ruelles du côté de Clichy et d’Asnières le docteur Destouches… des banlieues comme les nôtres avec leurs odeurs d’épices et d’oignons frits nichées aux recoins sombres des escaliers comme à la saignée d’un bras replié au cœur du sommeil.
Et pour sûr qu’à l’ami Louis ça lui causait vraiment ce voyage qu’on faisait incognitos et tout innocents de ce qu’on allait trouver là-bas de l’autre bord du décor… de l’autre bord de la vie avec dans le tire-bouchons des oreilles la voix qui racontait il y a longtemps et qui lui avait ouvert un monde au bout de la nuit.
C’était un beau jour d’été… et la première fois comme je vous disais on avait débarqué avec dans la tête les histoires qui se passaient là à l’intérieur de la maison au bout du chemin qui embouche en plein au milieu de la côte de la Route des Gardes après le retour de Céline de sa prison danoise où il avait bien failli laisser sa peau de vieux corsaire breton qui avait sacrément baroudé pourtant…
Sa prison… la Vestre Faengsel… son cauchemar à Céline… le médecin qui hésitait pas à soigner ceux que tant d’autres se complaisaient à laisser crever dans les recoins noirs mouillés de Macadam city blues… son infini désarroi à Céline qui écoutait au cœur des hululements crachements grognements à l’intérieur de ses oreilles de cent mille trains fantômes traversant l’Allemagne ravagée par des rivières de feu vroum !… broum !… taratata boum !… la plus délicate et grelotant aux vents verts d’écume des petites musiques d’un siècle aux cruautés démesurées.
Oui… c’est bien ça… la première fois l’ami Louis et moi on avait débarqué par méconnaissance du terrain vu que Meudon c’est plutôt loin de notre banlieue à nous… Nord… très Nord alors… et trépidante sifflante gémissante des pas des gens sur elle sur sa peau stridente d’écailles de pavés et des vieux rails bleus rouillés que les petits trains faisaient couiner en emportant jadis leur cargaison d’ouvriers d’une usine l’autre… on avait débarqué à la gare du Hat-Meudon tout ignorants l’ami Louis et moi et nous tenant bien fort la main.
C’était pour apporter un signe d’amitié et d’océan trois ou quatre galets doux et ronds légers météores rose-gris couleur des cendres dispersées dans nos souvenirs de ceux qu’on a aimés et ramassés cet été sur la plage de Saint Malo à calui qui aimait tant s’y promener.
Ça avait pas été compliqué de le trouver le cimetière arrimé qu’il était à ses gargouilles de nuages de très jolies couleurs ce jour-là… la montgolfière suspendue bien au-delà des sentiers raidillons qui tourbillonnaient depuis la grande coulée de la Seine tout en bas et crapahutaient jusqu’à la cathédrale du ciel avec de nonchalantes embardées de droite et puis de gauche et puis de droite à nouveau…
Non... ça avait pas été compliqué et en poussant la petite porte grise qui grinçait entrebâillée on avait cru d’abord que c’était une terrasse pour mâter tout autour et sans rien pour gêner l’étendue pas croyable de la banlieue qu’on voit jamais de si haut et ses collines du bleu nacré et du vert des ailes des libellules qui faisaient un collier autour du cou gracieux de la Seine courtisane.
Et comme on n’savait pas ou presque rien on s’était dit l’ami Louis et moi en plongeant nos mirettes au creux de ces lieux familiers terrains vagues et fouillis de ronces aux éclats de verre multicolores qui avaient accueillis nos cavalcades d’enfance… chantiers abandonnés couverts de coquelicots sang aux pylônes miradors offrant leur déchéance à nos jeux d’Indiens parmi des réserves décadentes… on s’était dit qu’il l’avait choisi admirable Céline le grand navigateur son dernier port en pleins ciels.
C’était un beau jour d’été… et quand on est entrés personne ne nous attendait c’était visible… Personne sauf le soleil qui cuisait les vivants et nous deux par le fait à l’intérieur de la marmite infernale des murailles ardentes de la banlieue chauffées rouge. Personne et pas même le gardien de la Vestre Faengsel qui ne savait peut-être pas quel était ce prisonnier étrange dont le regard au lavis bleu ne s’éclairait que lorsqu’un chat tigré sortait son museau du sac que portait la femme qui venait le visiter chaque lundi depuis des mois…
Personne et pas même Caron avec sa gigantesque rame entre les mains qui aurait pu pourtant guetter qu’on se pointe et nous en balancer un énorme coup pour qu’on s’acquitte… Vrang !… brang !… vous entendez ?
Et heureusement qu’il était pas là Caron vu que nous deux on venait juste rendre visite pas plus… Oui… heureusement… vous comprenez ?
Naïfs comme vous êtes vous imaginez sans doute qu’ils avaient mis une plaque quelque chose à l’entrée de ce cimetière qui était vraiment de petite taille pour indiquer que Louis-Ferdinand Céline… le docteur… l’écrivain… leur faisait beaucoup d’honneur…
Eh bien non ! Y’avait rien du tout et on s’est regardés tous les deux un peu désemparés l’ami Louis et moi mais pour sûr qu’on allait pas repartir avec nos cailloux doux et ronds d’océan au fond de nos poches c’était pas notre genre d’abandonner les amis et de pas tenir nos promesses… Surtout une promesse faite à l’océan vous pensez…
Alors on a pris chacun le petit cimetière rafiot égaré qui espérait que la Seine vienne lui faire la cour par un bout et on s’est promenés comme des chats discrets entre les tombes lisant un à un les noms pour la plupart effacés quand on se rapprochait d’un des murs où la pierre devenait du sable sous nos pas.
A part nous et le soleil y avait vraiment personne à l’intérieur de ce cimetière arrimé au ciel par cet après-midi commençant d’un beau jour d’été et même le gardien avait dû aller boire une bière dans un café pas trop loin… y’avait vraiment personne pour nous donner l’indication… Alors on a marché… marché sans faire de bruit parmi les pierres qui devenaient sable sous nos pieds la sueur nous coulant doucement dans le creux du dos sous la chemise et les paumes de nos poings qu’on serrait au fond de nos poches d’émotion et de crainte de pas la trouver la lente voile de granit tendue toujours vers d’autres voyages.
Faut dire que c’était pas la nuit et que ça nous aurait aidés de hanter les lieux au milieu des feux follets complices des étoiles des noctuelles et des chats fantômes familiers. C’est certain que Bébert aurait été là pour nous montrer l’endroit celui juste qu’on avait pas remarqué… là… au bord… là… devant nous… à deux pas… Au lieu de ça y avait que le soleil agaçant et vénéneux qui se moquait de nous en faisant craquer des pépites de lumière dans nos yeux.
Ça éblouissait scintillait pétillait des tas de petites lucioles de marbre blanc et de micas doré qu’on pouvait plus lire les noms… Et dans les oreilles c’étaient les milliers de voitures sorties des mains fossiles des ouvriers de l’Ile Seguin qui fonçaient miaulaient arrivaient sur moi leurs phares allumés pour rendre tout ça encore plus épouvantable… Vroum !… boum !… ratata boum !… vous entendez ?