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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

14 mai 2009 4 14 /05 /mai /2009 23:21

Malika Mokeddem Un lit comme un livre debout Fin


      “ Quel que soit l’état de la paillasse, je m’assieds au bord, découvre le corps, l’examine, le palpe, tiens la main du patient pour lui parler, le rassurer. Lorsque je m’en vais et malgré le poignant de la situation, j’éprouve une grande sérénité. Au fur et à mesure, je suis parvenue à cette singulière déduction : ce sont eux qui me soignent tous les jours. ”

      Grâce à ces femmes, à ces hommes en errance “ génération zéro, ils rasent les murs comme des fantômes… ”, voir son propre exil comme un don de la lucidité qui est la lampe à huile de tout créateur. Petite flamme veilleuse du “ je ” à conquérir chaque jour dans l’altérité avec soi‑même.
      Comme les deux lèvres d’une blessure ancienne les deux rives de l’être se referment et s’ouvrent à nouveau. L’unité demeure multiple et l’autre l’affirme et le rappelle au sien de ce duo qui n’a de sens que par le fil de nos regards qui nous relie. L’écriture est le funambule qui se balade sur ce fil. Elle va et vient de moi à moi, de moi à toi, de toi à moi et pour finir me revient à l’instant où j’achève la lecture du livre. Alors commence l’attente d’une autre rencontre, c’est un amour, une passion irraisonnée qui emporte avec elle tous mes sens dans un tourbillon de joie inassouvie. Dans la création “ je ” est double, au moins. 
       “ Maintenant, de quelque côté que je sois, je nomme immédiatement l’autre. Maintenant j’ai deux bords. Il n’y a pas que ma langue et mon écriture qui soient traversières. Je le suis tout entière. Je suis entière par ce duo en moi. ” J’imagine que ces mots Rimbaud a pu les prononcer à Harar ou à Aden et c’est pour ce voyage-là qu’il avait un jour adolescent pris le chemin qui l’éloignait de la mère.
      Pour Malika Mokeddem le retour vers l’origine a été possible “ Ça c’est mon désert. C’est moi. ”. Le voyage à Kenadsa pour revoir son père au seuil de la mort lui offre un soi réuni avec le passé et avec l’héritage où la grand-mère comme un phare du désert, la diseuse d’histoires et la porteuse d’eaux douces alimentant et apaisant la soif d’écriture demeure l’initiatrice et la messagère.
      Contrairement à Rimbaud pour qui l’ultime retour à Roche n’a précédé aucune renaissance ni reconnaissance de la part de la Mother, la demande du père “ Apporte-moi un manteau léger… ”  porte en elle la poésie et la promesse d’autres paroles tracées au creux du lit désormais défait des angoisses, des hontes et des terribles renoncements.

      Un lit comme un livre ouvert sur un soleil renaissant. Car tout être qui écrit a entendu ce qui n’a pas été prononcé dans la phrase du père : “ Apporte-moi un manteau de mots légers ”.

 

      “ Je finis par éteindre, me laisse aller contre les oreillers, m’y cale d’abord captivée par la vision du jardin sous la pleine lune. Je n’ai pas fermé les persiennes pour en savourer le spectacle. Les lueurs lactées éclairent la chambre, le lit. Un amandier en fleur juste en face de la baie vitrée semble avoir pillé et cristallisé des gerbes de lumière jetant dans l’ombre le palmier voisin. Son panache forme une nébuleuse éclatante, fourmillant d’incrustations opalines et lilas sur des branches cobalt. Les palmes d’à côté ont l’air de grandes mains suppliciées qui se tendent vers cette splendeur auréolée. ”


La Transe des insoumis
 
 
        

 

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4 mai 2009 1 04 /05 /mai /2009 23:25

Un lit comme un livre debout suite...

       “ J’ignore aux dépens de qui se joue la facétie qui a métamorphosé mon père en gardien d’un puits dans le désert, lui, le nomade des hauts plateaux, le berger, l’enfant de la soif qui a passé une partie de sa vie à chercher des aires de pâturages pour ses bêtes, à courir après des flaques éphémères, des mirages. ( … )

        Les récits nomades, leurs départs leurs arrivées, leur quête d’eau, le travail de la laine, les caravanes du sel, de cotonnades, du thé… Grand-mère n’en finit pas de me ressasser sa mémoire nomade. Mais elle, elle a connu ça avant de se retrouver rivée à la vie sédentaire. Moi, j’ai ouvert les yeux attachée comme une chèvre aux piliers rouillés d’une citerne. “

 

          L’errance une des formes de l’exil c’est le choix de la séparation d’avec l’idéal des autres qui ont été les siens, la liberté brutale qui affranchit de tout les liens de l’origine sans reniement mais avec la conscience de son destin… C’est à sa source que boivent les êtres qui ont le courage des départs, les voyageurs insatiables… Le désir de celle qui va squatter “ la pièce des invités ” qui “ s’ouvre à deux pas du seuil de la cour ”après s’être glissée à l’intérieur du lit de la grand-mère nomade, le premier vrai lit à l’écart des autres, du côté de celle qui s’est approprié les mots, c’est d’abord celui de l’insouciance conquise avec l’intuition qu’en poésie il n’y a pas de prix à payer pour l’incroyable légèreté de la vie. Ainsi des jardins des Français à Béchar qui “ foisonnent de fleurs ”. “ Moi cette féerie-là je ne peux la contempler que par-dessus les murs. Mes parents disent qu’ils ont trop besoin pour s’occuper de l’inutile. ”

          L’errance au cœur des livres qui s’accumulent autour d’elle dans la pièce des invités pour celle à qui on veut de force apprendre à participer aux “ activités qui dévorent les jours ” c’est le premier voyage qui force le piège de la réalité “ A force de guetter, d’espérer la magie des fleurs, j’en ai découvert des confettis dans notre potager ” “ Je suis déjà une glaneuse d’inutile ”. Les livres sont l’essence de la révolte, le bouclier dressé face à la mère qui a entrepris de modeler sa fille selon sa propre image. Celle de qui provient l’interdit du plaisir et de la transgression des lois de la maison. Celle qui balaie la paresse et la jouissance du bien être. “ Entre ma fille et moi il y a toujours eu un livre.  Ne pas participer, ne pas entrer dans le jeu de la mère, c’est s’affranchir de la culpabilité héréditaire,  si tu ne fais pas comme moi, tu me renies, tu me tues ”, c’est inventer seule sa différence. Mais la différence dans laquelle il y a aussi errance demeure une imposture qui accroît le plaisir. “ Une vie en marge. L’idée m’obsède. ”

           Rien n’empêchera le départ, la course, l’envol, la fuite vers soi-même. Quitter le territoire réel pour se rejoindre, se remettre bout à bout et s’organiser en être enfin réuni, relié aux autres par le fil ténu et pourtant si tenace de l’écriture. Reconquérir l’espace des rêves communs. De Kenadsa lieu de la naissance à Béchar, d’Oran à Paris et puis à Montpellier où une fois terminé sa médecine elle va choisir des pistes traversières qui mènent du côté des “ nomades du monde moderne ” les ouvriers immigrés qui habitent dans les cités toujours à l’extérieur du vrai monde et en parallèle après celui de la lecture le chemin de l’écriture. L’écriture qui devient le centre, un centre excentré, marginalisé, le lieu de l’effraction. “ Hier, j’avais mis un écriteau sur la porte de la salle d’attente. ( … ) ‑ Ah ! Elle est partie faire l’écrivain. Alors elle reviendra demain. ”


          “ Jour après jour j’examine les lits des immigrés, ces corps partis… ” Comment ne se retrouverait-elle pas proche de ceux qui ont quitté comme elle la terre d’origine, terre de leur pauvreté ? Immigrés qui croient avoir atteint un port où le regard les évite, les gomme, les retire des mots en dépit de tous les papiers à remplir… Des papiers d’emballage emballant des promesses de travail, de logement, de plaisirs, de richesse pourquoi pas. On les nomme “ immigrés ”, on ne les prénomme pas. Je me souviens de leur regard qui accrochait les nôtres. Enfant je courrais à l’aventure dans les ruelles des bidonvilles où ils croupissaient emplissant mon corps avide des odeurs de menthe et de cardamome, des chants et des paroles étrangères, et je m’accroupissais au milieu des autres pour écouter les conteuses qui semaient au creux de l’obscur de la banlieue les petits clous d’or des flammèches des lampes à huile. Leurs corps cassés, emmurés au fond d’un silence qui solidifiait les djellabas de sa pesanteur, échangeaient avec les nôtres d’enfants des cités la lumière inoubliable de la première rencontre avec ailleurs…

          “ J’ai souri en observant les traits intelligents, l’expression généreuse de cette femme et cet homme âgés, analphabètes. Eux, ils refusent la bêtise comme la panique, sans discours ni sentiment d’héroïsme. Je me sens forte d’eux, de leur estime. ” “ Ces corps partis ” n’ont jamais été accueillis nulle part. Ils ne s’y sont pas trompés, réfugiés à l’intérieur de leur dignité d’hommes et de femmes dans les dortoirs ou les réfectoires, ils n’attendent rien et leur corps se recroqueville lentement sur leur absence. Moi je sais ce qu’ils ont à nous donner et ceux qui les ont rencontrés, errant un soir dans la cité, ont reçu en plein cœur toute la nostalgie d’un monde déjà englouti. “ … ils me tendent quelques dattes, une théière, un plateau en offrande… ( … ) Leurs mots, l’expression de leur visage me bouleversent tant. C’est mon plus beau cadeau. ” Au centre de la fracture et de tout ce qui ne pourra jamais être dit s’insinue celle ou celui par qui la différence prend corps étranger, au large de soi, et mène par des chemins qu’il va falloir débroussailler de mots, à la ressemblance déshabillée de tous ses faux-semblants.
A suivre...

 

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10 avril 2009 5 10 /04 /avril /2009 23:22

Un lit comme un livre debout suite...

            Elle a à peine quatre ans et elle veut les mots… Elle les veut armures pour la protéger du lit qui sera même plus tard en situation amoureuse un navire faisant eau et l’emmenant vers l’ombre dont elle a peur et qui pourrait l’engloutir. “ Un corps ? N’importe lequel ? Non. ” A la place il y a ce désir des mots, cette ivresse du livre et cette petite phrase comme une supplique enfantine adressée à l’autre : ‑ Raconte-moi une histoire… Les mots des contes, scellés par la cadence et la musique de l’oralité et ceux des poèmes faits pour être dits et chantés aux rythmes des bendirs et des mandoles transmettent au corps la danse des songes cosmiques les plus fous… Mahmoud le poète, l’homme qui marche dans Le siècle des sauterelles, crée le lien évident entre les mots et la mouvance… le rythme de la musique des mots c’est celui du pas du voyageur.

          Mes lointains souvenirs des contes écoutés sont ceux de l’ailleurs tellement désiré et l’ailleurs me rejoint aussi tôt aussi vite dans la réalité… “ Les cieux constellés du désert sont uniques. Leur vision envoûte les yeux, les apaise, restitue au désert son pouvoir onirique. ”    
          Pour moi dans l’univers glauque de la banlieue pauvre des années 60 pas de désert mais des rêves de départ ça oui ! D’abord avec les voyages de Sindbad le marin ce sont mes cavales parmi les populations immigrées du bidonville d’Aubervilliers où l’Arabie travestit mes rêveries en une multitude de sons, d’odeurs, de musiques, de mots d’une langue inconnue. “ Je rêve des mers, des ruisseaux dans les prairies de mes lectures. Les mots ont des couleurs inconnues. ”
          Et puis mon premier départ sur ce réseau Nord à bord d’un autorail où mon grand‑père le conducteur de locomotives m’emmènera d’une gare à l’autre… Mon grand‑père c’est aussi celui qui va prendre les livres le soir dans son armoire tout en haut et qui raconte les histoires… Avec les récits de Tom Sayer et d’Huncleberry Finn la véritable aventure commence… mon Far West à moi c’est l’Afrique et mon Mississipi l’Algérie… celles toujours plus fascinantes des conteurs et des écrivains qui peuvent embrasser le monde d’un seul regard… “ Les pieds peuvent courir, toutes les turbines du monde vrombir, les yeux iront toujours plus loin. ” Il n’y a pas de hasard… 
          Non il n’y a pas de hasard… le lieu où on choisit sa maison raconte lui aussi les pérégrinations d’êtres partis avant nous qui sont arrivés là au bout du chemin parfois, étranges nomades nommant ce coin de terre qui devient de façon prédestiné le nôtre. Ainsi la ferme de la famille Pélégri appelée Haouch el Kateb : la ferme de l’écrivain… ainsi la maison de Malika Mokeddem “ Un chemin court au bord d’une falaise. Le Chemin des Aires Prolongé ” Un nom banal à la campagne mais pas tant que ça par l’incroyable facétie des mots “ Je dis : ‘ mon désert prolongé ’ ( … ) tu n’as pas eu à le réinventer. ”
          Au cœur de la maison qui enfante l’écriture aujourd’hui pas de métier à tisser “ c’est un lit vertical à n’en pas douter ” et plus de tisserande non plus, ces femmes des hauts plateaux qui savaient si bien marier entre elles les couleurs des laines pour confectionner les burnous, les tapis, les couvertures aux motifs noirs et rouges… mais le lit lui demeure comme une menace “ Casse ce foutu lit ! Tous les liens tous les cadres qui piègent. Toutes les bondieuseries de l’amour. ” Le lit c’est le lieu du sommeil impossible jeté sur le corps comme un filet sur un tourbillon d’oiseaux, l’espace de la capture où l’élan s’arrête, l’endroit où on se livre. Elle veut le livre debout, sentinelle… La page complice la nuit, de ses pas d’encre.
          Une autre échappée plus grandiose encore que celle de Mahmoud le poète qui entre enfance et adolescence va d’Alger à Oran, Tlemcen, Mostaganem et part ensuite étudier au Caire à El-Azhar, c’est celle à bord du voilier “ Vent de sable ”, où l’écriture s’installe alors dans le “ lit de la mer ” et que mes ancêtres malouins comme ceux de Céline n’auraient pas reniée bien sûr… La mouvance incessante inscrite dans mes gênes de ces vieux marins dont je connais toutes les chansons par cœur n’a pas fini de nourrir le songe que je fais d’aborder l’Algérie par la mer. Désir que je me garderai bien d’accomplir afin de le préserver promesse vagabonde d’où naît et renaît comme une source l’écriture… l’écriture désir-désert de toujours… “ Seule la poésie m’aide à décrocher, m’embarque, m’absorbe. ” Son corps déplié déployé seul au large de toutes les rives… son corps de femme une voile immense qui boit tous les vents du monde…
          “ Je suis un être du plaisir hors du lit aussi. Les privations, les interdits, la misère de l’enfance et de l’adolescence m’ont forgé un tempérament d’hédoniste. Une urgence, une aptitude à jouir de chaque instant. C’est ce culte du délice, même du plus petit, qui confère aux manques essentiels leur indicible acuité. ”

 

           Le lit, après avoir été le territoire de l’angoisse d’enfance est devenu l’espace de l’intime absolu.
          Lorsqu’il se défait et que la séparation du corps aimé impose l’évidence qu’il faut commencer à l’ouvrir, à l’écarteler, à le dire pour d’autres que celui qui connaissait le mystère des navigations à l’intérieur de l’émeraude brûlante du désir et des songes, c’est qu’il y a risque de naufrage et de déraison.
       “ J’en aurais crevé si je n’avais pas écrit. ”  Le temps de l’autre et des nuits enfin douces au creux de la chaleur d’un sommeil trouvé, blotti s’estompe léger brouillard, écho brouillé devant le temps de soi et de l’origine. Qui peut imaginer ce qu’on cède de soi lorsqu’on a embarqué dans le désir‑désert d’écrire et qu’on quitte l’errance nocturne pour le refuge et la présence ? “ Je pense à cet autre coût de l’écriture, à toutes ces implications insoupçonnées au moment où elle se produit, chevillant la solitude à la voix intime. ”

          La femme qui écrit se préserve de la folie. La folie des autres et l’aliénation à un amour qui voudrait la faire rompre avec son corps relié au désir du monde et au monde du désir par les mots. La femme qui écrit reconnaît son désir et celui de l’autre. Elle n’est plus indifférenciée. Elle n’est plus confondue par toutes les images posées sur elle, ces fétiches qui ne masquent qu’à peine les peurs qu’ils recouvrent… Tisser des mots sur une trame de vie déjà nouée, déjà prévue par d’autres. Les autres… la famille, la tribu, le clan, le clan des femmes d’abord qui dans le monde arabe est tellement tenu à la transmission de l’infériorité “ C’est le chœur antique des voix féminines qui me hante. Il édicte un tel sacrifice érigé en devoir absolu, théâtralisé. ”

          Comme les écheveaux de couleur les glisser à leur insu entre les fils alignés rigides placés là, immuables rails d’une trajectoire obligée… “ Verts, rouges, blancs, indigo et fauves. ” Les mots, petits êtres autonomes défont le costume d’ombre étroite taillée par les donneurs de mort. “ Est-ce une habitude d’expatriée et d’insomniaque de se raconter des histoires ? Est-ce par peur de me perdre ? Pour endormir les menaces de l’inconnu ? Est-ce une façon d’exister envers et contre tout ? ”

          Cet inconnu moi la grande perchée sur le lit du haut dans notre sixième étage nuages à Aubervilliers je le devine alors que je n’ai pas encore découvert “ Le dormeur du val ” que Rimbaud effaré par la mort de ces êtres presqu’encore enfants que sont les petits soldats engagés si tôt trace sur la peau d’herbe de ses premiers voyages… Pour éviter que le sommeil m’approche botté des pattes silencieuses du fennec sans me lasser chaque soir je convoque les personnages des histoires qu’on me lit parfois et je leur parle… Des personnages il y en a tant déjà dans ma mémoire imaginaire et des voix qui content pour chasser l’épouvante de l’inconnu aussi. Celle du grand-père et de la grand-mère ouvrant les livres à la nuit et chassant d’un geste de la main les noctuelles autour de la lampe mais d’abord celles des femmes algériennes immigrées du bidonville et des cités qui disent les  Mille et Une Nuits. Je les vole au passage quand je traverse ce monde qui est à force un peu le mien… Le monde de l’errance…

 


A suivre...

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2 avril 2009 4 02 /04 /avril /2009 23:19

Voici un extrait de mon dernier livre D'Aden à Alger Petites chroniques vagabondes publié aux Ed. Marsa par mon amie Marie Virolle, qui raconte dans une suite de dialogues frénétiques le voyage d'écrivains algériens au coeur de leur territoire d'écriture...
J'y ai mêlé mon aventure avec les mots et ma cavale au gré de ceux de Rimbaud et de Jean Sénac : les deux poètes qui me fascinent depuis que je les ai découverts il y a un peu de temps de ça... Ici il s'agit d'un texte autour d'un livre de Malika Mokeddem... Les dessins sont de mon petit compagnon Louis Fleury...
Un lit comme un livre debout
Malika Mokeddem
La Transe des Insoumis

     
“ Une grande mezzanine au-dessus du salon me tient lieu de bureau. C’est là que j’écris. J’ai commencé à écrire là. L’Algérie. Bien sûr. Et l’Algérie pour moi c’est d’abord le désert. J’ai écrit le pays après des années de rupture. Dans l’endroit suspendu de l’écriture. ( … ) 
      Je pense toujours au vent de sable dans la tramontane. Surtout en cette saison, la sienne. Ce soir de début mars 1994, le vent, l’errance entre les lits, la solitude peut‑être me ramènent au désert.
       ( … ) Là‑bas, j’avais conquis de haute lutte le droit de dormir ou plutôt de veiller seule. Le droit à l’insomnie rivée aux livres, emportée par leurs ailleurs. Dans des couchages improvisés, menacés, nomades, l’insomnie, la solitude et la lecture avaient été mes premières libertés. ”

Ed. Grasset, 2003

La Transe des Insoumis

 

      “ L’insomnie commence pour moi avec les premiers souvenirs de l’enfance… ” dit Malika Mokeddem dans l’introduction à ce livre. Moi aussi… moi non plus… voilà les mots qui me viennent aussitôt en reposant le livre. Moi non plus je n’ai jamais pu dormir quand il le fallait normalement entre les draps aux heures convenues… convenables. “ Ça c’est comme dormir convenablement, je ne pourrai jamais. Le convenable ne me convient pas. ”  
      Enfant pourtant pour moi pas de “ natte en alfa ” ni de “ couverture commune en laine qui pèse la misère de la terre ” ni encore de “ piège des corps ”. Non… enfant chez moi nous ne sommes ni sept ni dix mais deux seulement qui occupons deux petits lits superposés. Pas de “ couche collective ”, de “ touffeur de la laine détrempée d’urine ”… C’est moi la grande qui ai la place favorite, celle du dessus. Dès cette époque-là le lit est le lieu du livre. Celui qui m’emporte alors que je déchiffre à peine les lettres mais on me lit les histoires… et qui m’emportera toujours vers des voyages que je ne ferai pas… que je ne ferai jamais. Tout vrai livre est celui où l’autre la lectrice, peut se glisser aussitôt à la place encore chaude comme à l’intérieur du lit entre les draps des pages un peu froissés…
      Là-haut dans les nuages à chaque fois qu’il faut s’allonger dans le noir entre murs et plafond j’attends. J’attends ma mort. Rien oh non ! rien ne me fera embarquer à bord du sommeil comme mon frère en dessous qui est le grand navigateur des eaux nocturnes. “ Je hais le sommeil. Je voudrais pouvoir ne jamais dormir. ”
      J’attends qu’on vienne me tirer de là, de cette prémonition du trépas avec des mots. Mon corps sans sensation précise, sans “ relents de pipi ” mais pris par “ une horrible suffocation ”, l’impression diffuse que je dois refuser ce qu’on m’impose et choisir, délimiter dès maintenant le territoire de ma vie, mon corps appelle dans un grand hurlement celle, celui qui va raconter… “ Mais toi, pourquoi tu ne dors pas ? ( … ) ‑ Je ne sais pas dormir. ‑ Tu ne dors pas parce que tu as soif. Et que tu ne sais pas où ta soif va prendre fin. ”   
      Des années plus tard quand avide de déserts où les météorites sont des livres noircis par la traversée du temps et à la recherche jamais achevée de cette ivresse d’aventures qu’allait quêter Rimbaud en partant pour Alexandrie puis pour Chypre, sillonnant tous les ports de la Mer Rouge, arrivant en Abyssinie, s’embarquant pour Aden au Yemen avant de revenir à Harar,  je découvrirai le livre de Malika Mokeddem Le siècle des sauterelles, le personnage de Mahmoud le poète errant sur les hauts plateaux entre le désert et le tell fera resurgir en moi cette première sensation des mots petites lampes allumées pour éloigner la mort.                                                                                      
      “ Je veux marcher comme écrire. Ecrire les pas des mots, les mots des pas, sur ces seuils hauts, les plateaux, socle du désert. ( … ) Mais alors que souvent la seule approche du sommeil me griffe déjà de son glacial frisson, je veux pouvoir me moquer d’elle, la mort. ( … ) Et, infidèle, je veux m’endormir dans ses bras sur la couche de ma plus belle muse, Poésie. ” Le livre qui l’a écrit ? A qui appartiennent ces griffures noires auxquelles je dois de naître vraiment ? Peu importe en fait du moment que le corps des mots se glisse tout contre le mien et le sépare de la peur. La peur du silence de mort couché sur moi comme un linceul.
      “ Grand-mère est toujours en verve la nuit. Peut-être a‑t‑elle des angoisses elle aussi. Maintenant je le pense. Exilée de sa vie nomade à un âge tardif, elle n’a plus que les mots pour fuir l’immobilité sédentaire et retrouver ses départs et ses arrivées. Ses mots se mettent à danser dans le noir, à la cadence de ses pas jadis sur les pistes des steppes d’alfa sans limites. Elle raconte. Je vois. ”








A suivre...

     
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24 décembre 2008 3 24 /12 /décembre /2008 11:57

Une bonne fin d'année à vous tous et que la vie vous soit douce et bonne... On continue !

      Témoins du soleil

          Le jardin d’enfance qu’il soit de feuilles, de fleurs et de fruits partagés ou bien imaginés est le lieu primordial où sans qu’on le sache se met en route l’intuition créatrice qui naît de la rencontre préalable avec “ un être de plein vent ” quand ce que l’enfant grimpeur d’arbres dévisage du ciel avive ses colères de retomber dans le giron des heures à ennui. “ Si lointain est le temps / aux escalades d’arbres / d’un enfant en révolte ”.
      C’est pourquoi aborder l’écriture d’un poète que je ne connais pas encore me remet à chaque fois dans l’état d’innocence et d’initiation propre aux heures frissonnantes de l’aube de la vie. Ce rite sacrilège qui m’a été offert lorsqu’enfant j’ai vécu ma première expérience d’émotion poétique en découvrant “ Le dormeur du val ” de Rimbaud dont il me reste l’impression d’une lumière incandescente, un soleil fait d’eau, d’herbe, de glaïeuls et de sang…
      De cet instant enfoui des années durant au creux de ma mémoire imaginaire resurgit alors le sentiment du bonheur ineffable qui m’avait emportée, oiseau quittant l’arbre familier du jardin en direction de tant de vergers inconnus aux lointains bleus d’Afrique, où les “ poémiers ” arbres à poèmes de Djamel Eddine Benchiekh, les araucarias du Jardin d’Essai d’Alger rapportés de ses pérégrinations par l’oncle de Jean Pélégri,“ l’arbre blanc ” d’Aimé Césaire et cet “ oiseau craché, oiseau frère du soleil ” m’attendaient auprès des “ baobabs ” d’Henri Michaux et des “ tilleurs verts de la promenade ” de Rimbaud.
      L’envol dont je me souviens dû à la coïncidence entre mon ignorance de tout, ma jouissance sensuelle de la nature où mon corps s’éprouvait comme être vivant parmi les autres, et la fulgurante trajectoire du poète adolescent qui en faisait déjà un “ fils impénitent du soleil ” proche de celui auquel songe Jean-Claude Xuereb n’appartient sans doute qu’au hasard mais la brûlure de ce soleil-là comme une marque dans la chair n’est-elle pas la première invitation au voyage ?  “ Hôtes d’un ciel d’enfance / mes yeux se sont ouverts / sur une rébellion / d’inaccessible envol ”.
      L’homme fait d’argile est si lourd quand il marche sur la terre “ Dans la mêlée et l’impudeur du quotidien ” en deça des passions qui le cuisent, l’éparpillent ou le sauvent “ jusqu’à mon dernier mot / j’aurai vécu ici / dans la liesse des galets et des dieux ” et ne lui offrent que si rarement “ la gratuité d’une mélodie ” il garde un idéal incendié au creux des paumes… Celui que proclamait Frantz Fanon : “ Exister absolument ”.
       Les hommes sans poèmes “ travestis en défricheurs d’avenir ” les pieds chaussés de plomb ont-ils jamais connu le moindre “ désir d’oiseaux ” ? Ont-ils jamais eu l’intuition de Tipasa “ où crépite le cœur assoiffé du soleil ”, autre lieu totémique pour les mangeurs de feu,  après que Rimbaud le voyageur toujours en quête ait écrit aux siens “ On va d’Aden à Harar : par mer d’abord, d’Aden à Zeilah, port de la côte africaine ; de là au Harar, par vingt jours de caravane… ”, puis qu’à nouveau d’Harar à Aden et à Tadjoura il ne s’enfonce encore plus loin dans le Choa contrée du roi Ménélik et que ses jambes d’oiseau ne se chargent de la douleur des os arrosés de sueur ?
      Quand il ne connaissait pas encore Tipasa Camus l’enfant pauvre des rues d’Alger portait-il en lui l’errance et la fureur secrète du poète adolescent de Charleville‑Mézières happé de feu comme tant de ces “ passeurs du témoin ” hôtes du grand Sud ?

 

“ Tipasa au cœur

‘ Je comprends ici ce qu’on appelle gloire, le droit d’aimer sans mesure. ’

Albert Camus ( Noces 1936‑1938 )

 

Par les chemins dispersés des ancêtres

braconne mon errance en Méditerranée

avant de se figer dans un ultime port

rallie une crique hérissée de ruines

 

Sous les roulis du temps

la lumière et le vent

ont buriné durable partition

contre l’âme ensauvagée des pierres

aux arceaux colonnes et mosaïques

 

Seul ne s’use le ciel

au parcours inchangé des astres ”

 Entre cendre et lumière

      L’enfance y revenir toujours… Oiseaux on perchait au creux de ses cabanes d’arbres ou on se blottissait près de l’oued parmi ses caches de roseaux… Passé le seuil du poème il n’y a pas un instant, pas un lieu de ces enfances d’autre rive que je ne fasse miens, je m’invente leurs jeux et leurs territoires. “ On rêve d’un envol / pour défier l’espace / et gagner une plage / aux dunes de l’enfance ”. Je suis l’oiseau baladin sacré d’insouciance par la double légèreté du vol et de son chant dans la poussière ocre sous les fromagers immenses. “ Me reste à deviner / une intraduisible parole / qui s’épuise en un chant / sans pouvoir se nommer ”.
      Moi née sous les brumeuses langueurs d’une banlieue du Nord je reconnais l’enfant grimpeur d’arbres aux racines plongées dans ces terres en mouvance jailli d’un monde flamboyant qui s’initie à “ faire feu / de toute chair / de toute ardeur / de toute lumière ” Et le voyage nous mène de ces journées où adolescents exultant sous la lumière blanche du paysage méditerranéen, Sénac, Camus, Pélégri, Audisio pouvaient écrire ainsi que le fait Jean‑Claude Xuereb “ nous brûlions du bonheur indifférent des pierres ”, jusqu’au point de “ Non-retour ” quand la présence fraternelle encore évoquée “ Compagnons perdus au long de nos existences / tant de parcours divergents nous ont éloignés / à quoi bon essayer d’entrecroiser nos traces ”, témoigne des années écoulées que chaque page retient dans sa clepsydre d’encre.

      Le poème à son tour enfant migrateur de chair et de sang nomme la beauté du vol, la force de l’errance, le chant audacieux de l’exil dédié à tous ceux qui l’éprouvent. Ouvriers immigrés ou poètes saltimbanques, semblables chercheurs d’or, ne s’agit-il pas d’une même filiation d’utopie ?

 

“ Un Fils

 

Tu auras mis au monde

un être de plein vent

il ressemble à l’aïeul

qui prédisait le temps

en questionnant le ciel

 

Partition sinueuse

d’une flûte aux aguets

dans une liturgie

de plantes et de pierres

singulier il progresse

en tailleur de roseaux

en oiseleur de rêves ”

Entre cendre et lumière

 

      Parmi tant de mots et d’images ce qui fait de nous des “ voyants ” d’un instant, aussi rare que celui connu à l’aube frissonnante, c’est le bonheur du voyage renouvelé au fil de la trajectoire cosmique d’un “ homme qui marche ” bien au‑delà des êtres, de la terre et du temps.
      “ Il peut être enrichissant certes de connaître les circonstances particulières de l’écriture d’un poème, dont le sens exprimé par le poète est ainsi éclairé. Mais ce qui importe peut-être plus encore pour le poète c’est de découvrir les résonances, souvent inattendues, que son poème suscite chez l’autre. Le poème doit être riche d’une infinité de sens, faute de quoi il est condamné à mourir avec son auteur. ”
      Ces mots que m’envoie Jean‑Claude Xuereb font partie du dialogue jamais interrompu que les créateurs d’Algérie entretiennent avec moi dans notre rencontre de l’altérité et des rêves des hommes éternels cueilleurs de foudre. Au travers d’eux je trace à mon tour mon chemin d’Aden à Alger, de Rimbaud à Sénac et je me glisse à leur suite dans ce passage qu’empruntent les enfants, les oiseaux, les fous et les poètes, témoins du soleil.

 

“ Migration

 

A l’amble de notre mémoire

d’étangs en oliviers

entre deux continents

un envol spacieux de grues cendrées

déroule en majesté

l’encens de ses volutes

et ramifie les inflexions d’un adieu

depuis la saison d’un aller

à celle d’un retour au gré

du souffle ascendant des courants

et de la combustion solaire ” 

Entre cendre et lumière

 

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23 décembre 2008 2 23 /12 /décembre /2008 22:24

      Témoins du soleil

      Afin de boucler cette année qui a été assez hard pour tout le monde par ce qui ne peut nous faire que du bien et nous mettre des ailes au coeur voici un article qui vient d'être publié dans un n° récent de la revue Algérie Littérature/Action animée par mon amie Marie Virolle. C'est un texte auquel je tiens pas mal vu qu'il est né à partir d'une rencontre avec un poète d'Algérie Jean-Claude Xuereb qui m'offre lui aussi son amitié fraternelle et la beauté délicate de ses poèmes.
      Je dois cette coïncidence poétique à mon cher Jean Pélégri qui même après nous avoir quitté veille sur ma baraka et je tenais à vous faire profiter de la chance qui est la mienne de découvrir des êtres et des oeuvres aussi rares et d'une vraie qualité d'âme...
Que cette fin d'année vous soit chaleureuse et douce avec autant de petites loupiotes joyeuses que c'est possible...
 
Témoins du soleil

 Jean-Claude Xuereb, Entre cendre et lumière

Ed. Rougerie, 2008

 

      Je ne sais pas pourquoi mais il me semble plus que jamais essentiel en cette époque où tout nous entraîne vers l’obscur de continuer à emprunter nos chemins d’écriture et à témoigner du soleil. “ Le temps presse ”, c’est le titre qu’a choisi Jean‑Claude Xuereb pour la première partie de son recueil de poèmes Entre cendre et lumière et ceux qui comme lui, comme Jean Sénac, Youcef Sebti, Tahar Djaout, Djamel Eddine Bencheikh, Jean Pélégri, Mohammed Dib, Louis Bénisti parmi tant d’autres poètes d’Algérie ont connu la ferveur des étés où l’on rêvait à une Algérie heureuse dans un monde différent, ne cessant jamais de dire l’urgence d’une fraternisation entre les peuples du Sud et les peuples du Nord, ont esquissé pour nous une piste de clarté qu’il ne nous faut pas perdre.

 

“ Pour une écoute

 

L’oiseau a investi les branches du poème

il sait depuis toujours y réfugier son chant

qu’il délivre au péril du feuillage des mots 

 

Il enivre sa gorge au seul appel du vent

qui par instant traverse la terre et les astres

pour crier son espoir sa peur et sa colère

 

C’est à vous qu’il parle

puissiez-vous l’entendre

mes frères asservis au vacarme du siècle ”

Entre cendre et lumière

 

      De l’oiseau au poète migrateur, celui qui se dit “ D’ici et pourtant d’ailleurs ”, il y a tous les signes de connivence que la mémoire du chant goûté parmi les branches de l’arbre du premier paysage a inscrite à l’intérieur du corps et l’enfant voyageur l’emporte avec lui.
      A l’oiseau venu du Sud ou à l’oiseau venu du Nord nul ne peut ravir ni le point de son envol qu’il garde empreinte ancienne du lieu où il a appris de ceux de sa tribu que la mouvance marquait sa destinée, ni la trajectoire qu’il invente à chacun de ses départs. Capable d’embrasser l’espace infini créature détachée du temps “ l’oiseau de passage n’a rien d’autre à viser / que la flexible flèche ciblant sa performance ” comme un désir du feu de se fondre lumière “ Phénix il se consume et disparaît en elle ”.
      Enchanté de l’instant, d’une saison, d’un songe de nuage, d’une “ Maison ensauvagée / dans l’énigme des chênes ”, l’enfant en découvreur de mondes promesses d’un futur “ où le regard perçoit au-delà du regard / la réalité des êtres l’envers des choses ” engrange dans l’intimité des demeures les signes du présent fugitif et fragile. Et l’idéal de ceux qu’il approche allume en lui de glorieux incendies.
      Les parfums, les nuances, les lueurs, les ombres, les marques d’autres présences évanouies, la poussière et la cendre, les bruits à la fenêtre, le silence des puits… l’ivresse de l’oiseau libéré des rets du piège et le rire de l’enfant grimpeur d’arbre buveur de ciels, tout cela se dispute l’écritoire du poète… Jouisseur cosmique il communique en dehors du langage avec ces messagers d’émotions, qu’il recueille et transforme en un miel de mots sauvages traces de son passage singulier parmi les êtres solaires “ pour mieux célébrer le jour ”.

 

“ Désir d’Oiseaux

 

I

 

S’éloigne avec le temps

la rive où je naquis

 

Le vol des migrateurs

essaime les saisons

 

Des oiseaux sur la mer

j’épouse le parcours

 

Et mon rêve s’accoude

aux créneaux du désir ”

Entre cendre et lumière

 

 

      Les premiers mots d’une lettre de Jean-Claude Xuereb répondant à mes interrogations à propos de ce qu’il nous reste des poètes qui nous ont quittés dit ceci : “ Votre évocation des traces que les poètes laissent me fait immédiatement songer à cette réflexion de Char, dans Les compagnons dans le jardin : ‘ Un poète doit laisser des traces de son passage non des preuves. Seules les traces font rêver. ” 
      D’une page à l’autre de ce recueil Entre cendre et lumière les traces que je reconnais pour miennes aussitôt et qui me donnent envie d’écrire à mon tour sont celles qui éveillent une mémoire des sens toujours vive, un temps d’avant les mots… De la silhouette de l’amandier planté par l’aïeul naît l’écho de la rêverie qui m’accompagne depuis mon enfance au cœur du jardin. Je me souviens de la douceur des fruits de lait et des fleurs si semblables à celles qu’évoque le poète palestinien Mahmoud Darwich dans son recueil Comme les fleurs de l’amandier ou plus loin “ Ni patrie ni exil que les mots, / mais passion du blanc / pour la description des fleurs d’amandier / Ni neige ni coton / Qui sont-elles donc dans leur dédain des choses et des noms ? ” 

      Du village d’Al Birwah en Palestine où est né M.Darwich à Haïfa, Paris ou Ramallah et d’Alger où a grandi J‑C.Xuereb à Avignon ville dans laquelle il vit aujourd’hui l’âme de l’enfance a préservé la fraîcheur tenace dans son mystère, émotion délicieuse précédant l’errance, et les mots subliment le retour vers ce lieu du bonheur originel, voyage tant convoité que le poème accorde et auquel il m’invite en convive audacieux.
      Un peu plus loin c’est l’évocation de la citerne enfouie par le père “ L’enfant a surpris le secret de la citerne / creusée sous la chambre de l’aïeul ” où je retrouve un passage du récit qui m’enchante des Oliviers de la Justice de Jean Pélégri. Le père forant l’argile pour y découvrir la source qu’il éclaire d’une petite lampe aux yeux de l’enfant. Puis c’est le poème de Louis Bénisti “ La citerne de Djerba ” suivie de “ Fontaine fraîche ” avec ces vers “ La même eau fraîche du désir /  La même eau claire du plaisir ” faisant résurgence. A chaque fois ruisselle soudain l’eau bonne pour l’âme et si précieuse pour le corps dans ces pays dévorés par la soif, l’eau cachée qui “ pallierait l’agonie des fontaines ”.
      Ce rêve d’eau qui est rêve de générosité, de bonté humaine dans nos imaginaires de gens du Sud me convie à revenir sur les traces du porteur d’eau d’Oran évoqué par Hélène Cixous quand nous parlions de sa nouvelle “ Pieds nus ” publiée dans le recueil de textes collectifs Une enfance algérienne et plus loin encore à plonger au cœur des errances de Gide le long des seguias de l’oasis de Biskra dans le récit Amyntas où la fertilité verte des jardins scintille parmi les sueurs rousses des déserts algériens…
      J’ai longtemps été étonnée de l’écho que trouvaient en moi ces rêveries d’eau secrète mais désormais je sais que si la “ Lointaine bâtisse de la naissance / où survit la citerne / au destin souterrain ” me touche c’est qu’elle me renvoie à l’image du puits de notre jardin d’où nous remontions l’eau mystérieuse et pure avec laquelle nous abreuvions les rosiers, les lilas, les tamaris, les arbres du verger et les plantes aux senteurs fortes des soirs d’été d’une rosée bienheureuse…
      “ Ce qui me paraît définir l’essence même de la poésie ‑ à la différence du récit personnel ‑ c’est que le vécu individuel qui inspire l’écriture poétique revêt une dimension universelle, de telle sorte que chaque lecteur se reconnaît dans le poème, qu’il réécrit à travers sa propre expérience. ” écrit Jean-Claude Xuereb dans la suite de sa lettre.
      Ainsi ces mots extraits de “ L’Amandier ” remuent en moi une brûlante et douce nostalgie me rappelant notre verger d’enfance et ses fruits perdus pour toujours.

 

 L’Amandier

 

Images fichées en terre de mémoire

d’un été de sauterelles 1943

 

L’aïeul contemple avec fierté l’arbre

jailli d’une amande qu’il a mise à germer

devenu hautaine et vigoureuse ramure

 

Sous le regard tendre et malicieux du vieil homme

nous escaladons les branches pour la cueillette

‑ velours de coques au cœur laiteux et fondant ‑

glissant notre butin entre peau et chemise…

 

Vainement au long de ma vie j’ai cherché

à savourer à nouveau dans ma bouche

le goût mythique de ces amandes d’enfance

nul fruit n’a réussi à combler ce désir

 

Puisse l’amandier là-bas toujours fructifier ”

Entre cendre et lumière






A suivre... 

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21 novembre 2008 5 21 /11 /novembre /2008 23:20

  Il y a un peu plus d'un an Leïla me demandait d'écrire un texte pour un livre collectif qu'elle était en train de réaliser...

Ce livre elle est venue me l'offrir au Salon des Revues au mois d'octobre. Il existe. Il est beau... Les Ed. Bleu autour comme toujours ont valorisé au mieux son travail.

Mais mon texte... celui qui figure dans le livre de Leïla ça n'est pas tout à fait celui que j'avais écrit au départ... Il y avait une contrainte de taille... la taille du texte justement...

Donc il a fallu couper...

Un après-midi Leïla m'appelle :

- Dominique ton texte il est trop long ! Moi je ne veux pas couper alors tu te débrouilles... Tu coupes toi-même et tu me le renvoies... Pas plus d'une page... Tu fais comme tu veux mais pas plus d'une page...

J'ai coupé... Et voici l'original... Je vous l'offre...

Mais que ça ne vous empêche pas d'acheter le livre de Leïla... il est superbe et il a une histoire que je vous raconterai... Une autre fois...

 

 

Mektoub sur le ventre des bidons  

Jeudi, 27 septembre 2007

 

      - Ecoute… écoute…

- Tu dis quoi ?

- Nous autres on n’a pas d’histoire… on est des gens c’est tout…

Chambre funéraire des Batignolles c’est mardi 11 septembre 2007 y fait beau dessous la voûte rouquine des arbres… Ali l’épicier gentil notre frangin de la cité de La Source à Epinay qui nous largue à notre Mektoub misère… Il se tire pour Alger dans son navire de bois Ali… Ceux qui sont là ils se rappellent p’tits mômes de la zone béton il leur filait des bonbons… Un jour ils ont grandi et Ali écoutait… écoutait leur vie… Heureusement qu’il y a le film Alimentation Générale de Chantal Briet tourné dans la cité qui raconte son histoire…

Ali s’est fait planter par un fou… On est des centaines de gens venus d’Epinay… d’ailleurs… on n’parle pas… le silence nous dégringole dessus comme les marrons minute à minute… Je prends la phrase que répète une vieille dame à sa voisine en pleine tronche…

- Nous autres on n’a pas d’histoire…

 

Dix ans… ça fait dix ans que j’n’arrête pas de la raconter mon histoire d’Algérie…possédée par elle je suis… possédée dépossédée à fond ! Les Algériens des années 60 les zimmigrés… les zouvriers de Billancourt dos voûtés yeux barrés arrimés là-bas l’ont tracée tatouée avec leurs ongles goudron brûlés à l’intérieur du sable de mon désert d’enfance l’histoire de leur exil…

Mon mektoub d’oasis  sur le ventre des bidons… ka ! ta ! ba !… Ka ta ba en arabe… ça veut dire écrire… et ça résonne ! Ça  résonne contre ma peau d’enfant d’Aubervilliers tout près du bidonville des Arabes là qu’on habite nous autres en ces années 60…

Bidonville c’est un mot qui nous vient de l’Algérie vous savez ? Alger… pas le port où mon père se pointe 1942 comme ça… et puis direction l’oasis… Biskra… ses palmiers très hauts… Non pas le port mais le ravin quartier du Clos-Salembier… la femme sauvage et le bidonville dans le trou…

Ta ta ta ! sur les tôles ils tapent avec leurs paumes c’est la musique des petits mômes d’Alger nus la peau couleur de dates… c’est la zermi en quadri… Ta ta ta ! Fatima l’amie de Jean Pélégri qui est le scribe des gens et aussi ceux du bidonville elle crèche là…

  1962… Le film que tourne Jean avec les gamins arabes espagnols français qui se coursent le long de l’oued dans la plaine de la Mitidja comme sur la photo des trottinettes effacée tachée que m’a donnée Juliette sa femme ce qu’il raconte c’est presque pareil que Cartouches gauloises Juin 2007… c’est l’histoire d’un gosse qui s’appelle Ali…

- Tu dis quoi ?

- Dis quelqu’chose M’sieur Jean… dis quelqu’chose toi qui sais lire…

 Fatima… Ouais nous on sait lire on sait écrire… ka ! ta ! ba ! mais la parole des griots qu’est-ce que j’en connais moi ? 1962 la caméra filme Fatima les baraques de la femme sauvage… y a des images y a des mots que je recueille à pleines mains un bout d’années après… 1997… tout ça mêlé à ma mémoire d’enfant des banlieues… la mémoire de ma famille paysanne ouvrière du Nord… les fileteries du Nord vous savez ?

Au-delà des fortifs la zone avec les baraques et les p’tits bouts d’jardins ouvriers c’est là qu’elle s’abrite la galère des damnés de la banlieue années 50 just’après la guerre les taudis des vieux qui ont trop trimé et leurs choses pauvres autour d’eux… photos réchaud bancal casseroles… C’est plein d’enfants crasseux qui courent joyeux dans les chemins creux d’Aubervilliers… “ Gentils enfants d’Aubervilliers… Gentils enfants des prolétaires… Gentils enfants de la misère… ” 1946… Interdites les paroles de Prévert balancées sur les images d’Eli Lotar qui racontent l’histoire des petites gens de la rue ceux qui n’disent rien et qui habitent dans “ la ville sans maisons ”…

- Tu dis quoi ?

- Nous on n’a pas d’histoire…

 

1956… Ça y est on les a nos quartiers nègres ! A Saint-Denis la Campa est bourrée d’Espagnols chassés par Franco et les Francs-Moisins de Portugais par Salazar … Nous autres les mômes d’Aubervilliers on fonce à la rencontre des Algériens du chemin du halage… Nous autres on crèche dans les premières cités construites rapide bric et broc à côté des baraques et on s’ennuie terrible malgré nos jeux terrains vagues… on est rien qu’entre Gaulois là-d’dans c’est nul !

Alors en bas dans le bidonville des Arabes y a enfin des gens qu’ont une histoire vu qu’ils viennent d’ailleurs… d’un pays du Sud qu’on n’connaît pas… y’a des déserts des caravanes de chameaux de l’or et du sel… y a des rêves plein des outres planquées dans des cavernes précieuses… Les Arabes du bidonville ce sont nos magiciens… ils arrivent ils sont là ! Mektoub … Grâce à eux on entre dans la vie…

La nuit après l’usine qui bouffe les doigts la Renault la Simca le chantier qui leur cimente la gorge mieux que la clope ils parlent… ils racontent là-bas… c’est des mots qu’on n’comprend pas tout… et d’la musique aussi sur un drôle d’instrument… 1966 je frôle les dix piges et mon histoire avec l’Algérie s’écrit là… Ka ta ba ! Sur le ventre des bidons Mektoub !

Mon père nous avait mis au parfum… Il racontait toujours la même d’histoire la sienne… Biskra… l’oasis… l’air bleu qui brûle… les tas de dates les mouches… Et ce pays qui lui a filé entre les mains comme un songe… Qu’est-ce qu’il est venu fiche là ? Sa sueur qui rigole sur sa peau pas rasée… Lui non plus il n’avait pas d’histoire ? Mon père s’est souvenu jusqu’à sa mort de Lakhdar l’Arabe qui ne parlait pas et du chien indigène qui les suivait partout c’était déjà une sorte de conte ?…

Dans le film de Jean 1962 son ami d’enfance Bokhalfa joue son propre rôle le monologue du film c’est la discussion qu’ils ont eue souvent ensemble et les lettres de Bokhalfa il les dictait après lorsque Jean est venu habiter près de la Porte d’Orléans…Je les ai lues… Jean et lui tous les deux derrière la barrière de roseaux de l’oued dans la ferme du kateb… j’imagine… Est-ce qu’il a appris à lire dans l’Algérie indépendante ?… 

- Tu dis quoi ?

- Nous M’sieur André on est pas dans la vie… 

1963… Jean écrit Le Maboul

- Moi je ne suis que le kateb… ce sont les gens du petit peuple d’Algérie qui ont écrit ce livre… c’est leur histoire qu’ils m’ont donnée… en la notant chaque jour quand Slimane me la racontait à l’oreille j’ai découvert la mienne…

1970… Ali Ghalem réalise Mektoub dans le bidonville de Nanterre… J’ai 14 piges et les images de cet immigré algérien qui dort sur des bancs à Paris sur Seine parce qu’à l’hôtel impossible… y’a déjà pas de place pour un faciès… et puis il rejoint ses frangins au bidonville banlieue terre d’asile ? à l’époque c’était vrai peut-être…du boulot y en a pas non plus ou alors n’importe quoi le pire celui que les gens d’ici les Gauloins n’feront jamais… J’ai 14 piges et ces images et ces mots sont ceux qui rebondissent dans mon premier bouquin Par la queue des diables trente ans plus tard…

Ahmed fait une chute de la grue qu’il conduit sur un chantier et à ses amis algériens du bidonville qui viennent pour le voir une dernière fois le contremaître dit sans les regarder :

- Dégagez y’a rien à voir… y’a personne…

- Tu dis quoi ?

- Nous autres on n’a pas d’histoire… 

Ahmed et tous les zimmigrés du bidonville de nos enfances… Lakhdar… Jean… Ali… mon histoire d’Algérie possédée dépossédée à fond c’est vous… Moi j’ai une histoire avec de la bonté plein les yeux et un soleil pour signer et c’est tout… Mektoub !  

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24 octobre 2008 5 24 /10 /octobre /2008 23:00

        " Pieds nus "

      Afin de réaliser un nouveau livre à partir de mes " Chroniques algériennes " qui prendra la suite de celui paru il y a déjà un certain temps intitulé Terre inter-dite je farfouille depuis un moment dans mes pages d'écriture et je suis tombée sur ce premier entretien que j'avais réalisé en 1997 avec Hélène Cixous, quand je l'avais contactée de la part de Leïla Sebbar pour parler de son texte " Pieds nus " qui venait de paraître dans le livre collectif que Leïla avait conçu avec 16 écrivains d'Algérie et qui a pour titre Une enfance algérienne.
      C'est drôle car vous pensez peut-être que pour une première rencontre avec Hélène Cixous j'avais une sacrée trouille moi qui ne connaissais rien alors au milieu littéraire ni universitaire eh bien pas du tout... et j'étais allée à ce rendez-vous avec l'écrivaine qu'elle est en toute innocence... Je me souviens lui avoir téléphoné et être tombée sur son répondeur, mon petit message laconique et ma demande alors que je n'écrivais dans Algérie Littérature Action que depuis très peu de temps l'avaient peut-être intriguée... je ne sais pas... Elle m'a rappelée et m'a fixé un rendez-vous un matin vers 8 heures je crois alors que je suis une redoutable couche tard et lève tard ! Très naturellement j'ai hésité à accepter et Hélène m'a répondu d'un ton sans réplique quelque chose comme : " Ah ! non... ne me dites pas ça de cette façon, j'ai décalé tout mon emploi du temps pour vous donner ce rendez-vous ! "
      Sa gentillesse et sa disponibilité m'ont paru dès que je l'ai rencontrée et que j'ai réalisé quel être particulièrement entouré et occupé par son écriture ses cours à Saint-Denis le Théâtre du Soleil et tant d'autres choses... extraordianires... Ouais c'est drôle... C'est à cette époque où ma naïveté et mon insouciance me faisaient aborder les écrivaines et écrivains d'Algérie sans hésiter avec naturel et effronterie que j'ai reçu de leur part un accueil enthousiaste et simple... Ensuite dix ans plus tard c'est devenu drôlement compliqué...
      Donc je me suis retrouvée un matin dans l'appartement d'Hélène à moitié endormie après trois grands cafés tant je redoutais de ne pas tenir le coup et de somnoler... ç'aurait été gonflé quand même ! Son espace de vie est géant évidemment avec une lumière pas croyable sous le ciel au milieu des arbres c'est très beau... C'est en arrivant dans ce lieu que j'ai seulement commencé à avoir la trouille mais je me souviens qu'elle a parlé tout le temps avec son aisance habituelle et moi je n'avais qu'à m'occuper du dictaphone à la regarder car sa beauté et sa distinction ( celles des êtres qui ont de la grandeur d'âme et de corps c'est rare... ) m'épatait et à poser les quelques questions que j'avais dans la tête...
      Je garde un souvenir très vif de cette entrevue qui n'a pas duré plus d'une heure et bien sûr j'ai la cassette dans ma collec perso et je crois bien qu'un de ces jours peut-être pour mon bouquin justement je vais la décrypter à nouveau vu que j'ai dû en laisser tomber une partie j'imagine... à l'époque j'étais un peu une débutante j'ai des excuses... Ce qui me restait en mémoire qui n'apparaît pas dans ce qui suit c'est le passage extra sur le porteur d'eau d'Oran et sur la soif... Des lignes superbes dans son texte que je vais rechercher pour vous les refiler une autre fois car j'avais bien sûr le bouquin d'Une enfance algérienne dédicadé par Leïla dans ma bibliothèque et figurez-vous que je l'ai prêté à Jean-Pierre Lledo quand on a tourné le film documentaire avec Jean Pélégri et il ne m'la jamais rendu !
          Me reste plus qu'à aller le racheter c'est pas mal ! Mais j'ai extrait ces quelques lignes de mon entretien car je les trouve toujours aussi passionnantes qu'à l'époque où je les ai retranscrites. J'ai enlevé mes questions pour la plupart sans intérêt... Si je retrouve d'autres choses je vous ferai un autre article pour vous les faire partager...

Pieds nus
Hélène Cixous
Une enfance algérienne
Ed. Gallimard, 1997

“ Oran fut toujours La Ville, la Cité Absolue et sacrée, Ortus, le site aux Signes où Alea le Dieu des hasards de mon histoire m'avait déposée pour naître. ”
Une enfance algérienne “ Pieds nus ”

Hélène Cixous :
On connaît explicitement et objectivement encore très peu l'Algérie. A mon avis, on ne peut l'atteindre dans son mystère, puisque c'est l'espace d'une extraordinaire violence ‑ qu'en France on n'imagine jamais que par des moments ‑ des épiphanies. Cet événement que je raconte a choisi sa propre forme pour se dire, comme toujours dans l'écriture. C'est le sujet qui dicte la forme. La forme est intérieure. Dans ce cas, il s'agit d'un souvenir et non d'une fiction.
J'aurais aussi pu appeler ce texte “ une épiphanie algérienne ”. Toute personne ayant vécu en Algérie peut parler de ses parfums. Dire les parfums, c'est dire le visage de l'Algérie. Mais je pense que ce qui me revient à moi, en tant que personne liée d'une manière extrêmement complexe et divisée à l'Algérie, c'est de faire sentir quelque chose qui n'est pas connu. Faire sentir que l'Algérie est à découvrir comme un être sauvage. Il y a de nombreuses histoires comme celle-ci, que j'ai vécues et que j'aurais pu raconter. Mais je ne l'ai pas fait parce qu'elles faisaient justement partie de moi. Et je n'aurais pas non plus écrit ce texte peu de temps auparavant. J'ai retenu un geste d'écriture au-dessus du corps et de l'âme algérienne, à un moment où je considérais que les Algériens n'avaient pas encore conquis leur totale indépendance d'expression.
J'aurais éprouvé le sentiment d'exploiter quelque chose avec les moyens dont je disposais. Je me serais conduite en colonisatrice après coup, si je m'étais autorisée à utiliser l'énorme trésor algérien. Je me suis mise à écrire ça et là, depuis que les démocrates algériens ont commencé à venir en France pour s'abriter, et depuis qu'eux‑mêmes m'ont parlé et me l'ont demandé.

“ En grimpant j'ôtais mes sandales et je mettais mes pieds dans les mains des morts, et je caressais l'empreinte de leurs pieds avec les paumes de mes pieds. ”
“ Pieds nus ”

H. Cixous
: J'ai passé toute mon enfance pieds nus. Nous nous racontons souvent, avec mon frère, comment nous faisions des dizaines de kilomètres pieds nus, alors que maintenant cela n'est même plus pensable. Il faut le rappeler justement. Ici, ce n'est pas un signe sociologique ou un signe de pauvreté ‑ ce que c'était aussi parfois ‑ , c'est un rapport, un contact. On touche avec les pieds plus qu'avec les mains. Et on touche ce qu'en général on évite de toucher. Sauf que, lorsqu'on est enfant, on n'a pas peur de marcher dans la poussière et dans la saleté. Donc, on est dans ce rapport de continuité entre la terre qui est tout, et qui, en ce qui concerne la montagne de Santa-Cruz, est aussi pleine de morts puisque c'est un cimetière arabe.
Ma propre légende intérieure a voulu que mon inscription dans cette société se fasse en passant par les morts. Cette inséparation entre les vivants et les morts, que nous éprouvions quand nous montions, était très belle. Et de l'autre côté, il y avait une violence féroce depuis toujours. Ce n'est pas la guerre d'Algérie qui a entraîné cela, je pense que c'est la colonisation. L'Algérie était un pays de sang. On vivait dans les massacres, dans le meurtre et dans la haine, et on faisait semblant de ne pas savoir. C'était une violence intercommunautaire d'un côté et intracommunautaire de l'autre. On se détestait les uns les autres, on se divisait.
A l'intérieur de la communauté juive, il y avait des antagonismes parce que l'on prenait position d'une manière différente sur la colonisation, le racisme et tous ces sujets là. C'était aussi une question de quartier. Moi, j'ai vécu dans des quartiers pauvres, mais, dans des quartiers plus favorisés, on pouvait ne rien voir, puisque l'Algérie était un pays de ghettos. L'intimité familiale était paradisiaque, nous étions des gens très heureux, mais on ne peut pas arrêter sa conscience à cela. Des-cendre dans la rue était une épreuve pour moi. Il fallait voir ce qu'il y avait au coin de la rue, les aveugles, les lépreux, les culs de jatte. Cela grouillait comme en Inde.

 Ane et charrette à Gaza en 1993 Photo Marc Fourny         



       L'étrangeté de la ville, avec son ouverture-coupure sur le port d'où surgissent des êtres délicieux à la limite du réel est un terrain où l'imaginaire trouve sa place à côté du sentiment de culpabilité d'où l'enfant croît sortir lorsque le père est rendu à la pauvreté. Mais la séparation qui a généré le malentendu, prépare déjà l'issue d'un drame où les pieds seront brutalement coupés de la terre
d'enfance.

H. Cixous
: Oran est un port et j'habitais dans un quartier extraordinairement situé, dans une petite rue malodorante qui descendait jusqu'au quartier de la Marine. De ravissants marins qu'on ne voit plus, et qui étaient certainement ceux que Jean Genet a dû adorer, en sortaient. Ils étaient français et offraient un fabuleux contraste. Ils se rendaient chez ma tante qui gérait deux boutiques accolées qui s'appelaient “ Les deux mondes ”, une sorte de bazar, bureau de tabac, où l'on fournissait tout et en particulier les insignes. Donc les signes, les signaux. Ces petits marins achetaient des galons et des cartes postales pour envoyer à leurs fiancées. Je pensais que, bien sûr, ces Deux mondes, avaient actuellement disparus. Or, cette année, j'ai appris qu'ils sont toujours là, et que c'était devenu une sorte de café en face du Théâtre municipal où Abdelkader Alloula et ses compagnons se réunissaient jusqu'à maintenant.
Les Juifs ont été jetés hors de la citoyenneté française par les décrets de Vichy. Mon père qui était médecin, et qui, en 1939, était médecin lieutenant sur le front, en 40, n'était plus français. Nous ne sommes pas allés à l'école, mais il ne me semble pas que nous l'ayons mal vécu, du point de vue de la dignité et de la joie de vivre. C'était un événement historique gravissime, mais nous n'étions pas menacés de mort, puisqu'il n'y avait pas de bateaux pour nous déporter. Moi, j'éprouvais depuis toujours une douleur terrible de la situation infâme faite aux Arabes, comme on disait. Nous étions déjà assez pauvres, et le fait de descendre encore plus me convenait tout à fait et ne me faisait pas souffrir. Mon père a vécu des événements violents comme on en vivait tout le temps dans le milieu médical où il y avait un racisme extraordinaire.
Le petit garçon cireur lui, est un Arabe. On ne voit pas qui d'autre aurait pu faire ce métier-là. En le rencontrant, j'ai senti venir le danger mais je ne pouvais rien dire, le silence s'imposait à moi. En Algérie, les yeux parlaient. J'ai vu de tout dans les yeux. J'ai vu de la tendresse, j'ai vu le meurtre très souvent, j'ai vu le viol. Là, j'ai tout de suite vu la haine, mais nous étions tout petits. Comment croire à cela ? Je ne pouvais pas me défendre. D'ailleurs je ne me suis jamais défendue. Se défendre, c'est avoir la bonne conscience pour soi. Or il y avait un sentiment d'inégalité. Si j'avais répondu, si je m'étais jetée sur lui, si j'avais fait un scandale, j'aurais renversé les choses de mon côté, et je n'aurais pas accepté cela. Ce petit garçon me cherchait, par la haine, il avait créé une forme de relation, de l'amour à l'envers.

“ Nous savions tout. J'aurais pu m'enfuir. Je ne pouvais pas m'enfuir. Si j'avais été innocente j'aurais crié, je me serais enfuie. J'aurais pu dénoncer sa haine, démasquer l'homme qui faisait semblant d'être un petit cireur de six ans. Je ne pouvais pas l'accuser sans m'accuser. D'où venait que je reconnaissais si bien le scintillement ? Je n'étais pas innocente. Je savais. Mais comment pouvais-je accuser un enfant de six ans d'avoir envie d'assassiner ? Je m'accusais d'abriter une pareille pensée. C'était le printemps rue Philippe ; et moi je frappais l'enfant à genoux sur le pavé.
“ Pieds nus ”




Bidonville de la Femme sauvage à Alger

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23 octobre 2008 4 23 /10 /octobre /2008 23:45

Dites-leur de me laisser passer suite... Abdelkader Djemaï

          Et ce qui voudrait refaire surface dans la quête du sens que mène l'écrivain est contenu dans ce petit mot “ aussi ”. L'homme vient de comprendre que l'affiche représentant une publicité pour “ un copieux et délicieux sandwich ”, associé à des “ dents resplendissantes ” et des “ gencives éclatantes de santé ”, non seulement lui exhibe sous le nez tout ce dont lui, vieux, pauvre, édenté, ne dispose pas, ne disposera jamais, mais qu'elle peut “ aussi ” lui prendre sa richesse unique, sa gloire, celle dont il n'est redevable à personne : son soleil. Ce monde qui l'a affamé a donc “ aussi ” en son pouvoir le moyen de l'humilier en le privant de la jouissance de la lumière, de la chaleur, sa vie.

Il se peut qu'il ait choisi sa condition d'homme pauvre, qui n'est pas forcément celle de pauvre homme, mais il ne choisirait certainement pas de vivre comme un rat dans l'ombre moisie des caves. Son soleil, ce qu'il lui reste, lui est éclipsé par la cupidité et la bêtise des hommes qui projettent sur lui l'ombre de leur avoir. En possédant ils le dépossèdent. Soleil volé comme celui du peintre dont je parlais, fleur-soleil congelée dans des billets de banque. Doublement volé puisque l'affiche promettant abondance dissimule l'homme dépossédé aux yeux des autres. Personne ne le verra plus. Et sans doute s'il nous revenait comme un frauduleux météore, le peintre associerait-il ce Diogène des banlieues se souciant fort peu de citron, de prune ou de pastèque, puisqu'ayant la bouche infectée au point qu'il lui soit impossible de l'ouvrir ‑ cloué le bec ! ‑ , à sa “ nature morte ”.

La force de cette nature justement et ce qui exaspère tellement l'homme c'est que, comme l'oeuvre d'art, et contrairement à lui, elle ne meurt jamais. Et si ce peintre a réussi à mettre dans ces toiles la matière solaire en fusion c'est parce que, selon la belle expression qu'a inventée Hélène Cixous, il n'a pas fait seulement “ oeuvre d'art ” mais “ oeuvre d'être ”. C'est peut-être cette simplicité du ressenti sous toutes ses formes qui s'impose dans ce texte face à l'élaboration d'une pensée abstraite et rigide s'élevant telle une muraille pour nous séparer du bruissement du monde. Et la boucle sera bouclée lorsque, après avoir suivi des yeux un camion “ chargé de moutons ” franchissant sans embûches la frontière, le narrateur se muera en un innocent chauffeur de taxi, ayant touché du bout des doigts le contenu d'un sac transporté précautionneusement par son client, et prenant pour la tête d'un riche commerçant assassiné “ une splendide tête de mouton qui le regardait avec des yeux sympathiques, sa belle langue rose coincée entre ses mâchoires comme pour se moquer de sa terrible frayeur ”.

 

J'ai eu envie de clore cette lecture fruitée par une nouvelle où vie et mort se rejoignent dans l'accomplissement naturel d'un cycle sans terreur et dans un équilibre biologique apaisant.

 

“ Aux abords de la ville où il était né un soir de novembre, un gros figuier jetait ses ombres vertes sur le toit de leur maison en pierres sèches. Enfant, il escaladait son vieux tronc plein de cicatrices et de bosses pour pénétrer dans sa fraîche intimité faite de feuilles généreuses, de toiles d'araignées et de trouées de lumière.”

“ Les Fourmis ”

 

L'enfant qui se love dans le figuier, force “ complice et maternelle ” se trouve juste à mi‑chemin entre le ciel et la terre où “ les fourmis mangeaient les fruits morts ”. L'arbre tout comme la maison qu'il entend “ bruire, respirer, bouger ”, est un “ corps vivant ”, qui l'entoure, qui nourrit le sien de cette mémoire d'odeurs et de bruits familiers qui le constitue désormais aussi intimement que sa chair. Car toutes les créatures végétales et animales qui habitent le livre y sont comme à l'intérieur d'un jardin où l'homme qui les croise reprend la mesure de ce qu'il est : l'être le plus malhabile et le plus maladroit à vivre dans le jardin. Parce que l'existence du jardin est simple et dénuée de tout enjeu, elle est difficile à appréhender lorsqu'on n'a pas mûri dans le ventre d'un arbre. Lorsqu'on ne porte pas un arbre en soi comme un veilleur tutélaire.

C'est le grand-père qui va mourir doucement au creux des “ eaux profondes et fraîches du sommeil où il partait à la pêche de quelque fabuleux trésor ” au pied du figuier. Là où il faisait la sieste chaque jour, il devient fruit mort pour les fourmis, son âme s'insinuant sous l'écorce et montant jusqu'à l'extrémité des branches frôler le ciel. Et l'enfant qui du haut de son perchoir veillait sur son sommeil n'est autre que le fruit de l'arbre et de l'homme confondus, passant légèrement de la mort à la vie comme au crépuscule du soir succède celui de l'aurore.

 

“ Il portera toujours le figuier en lui. Ses racines, qui couraient et palpitaient comme des veines chaudes sous la maison, semblaient prendre naissance au plus profond de son corps, au plus intime de son être.”

“ Les Fourmis ”

 

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2 octobre 2008 4 02 /10 /octobre /2008 23:53

Abdelkader Djemaï, Dites-leur de me laisser passer et autres nouvelles.
Paris : Ed.Michalon, 2000.
L’art de la nouvelle
“ Vous verrez, vous serez étonnée du contenu de mon prochain livre… ” me disait Abdelkader Djemaï lors de notre entretien concernant son précédent roman 31 rue de l'Aigle, il y a un peu plus d'un an. Etonnée oui, ou plutôt surprise. La nuance s'exprime au niveau de la sensation et non pas du sens.

      Une gourmandise offerte par une main qui d'habitude donnerait plutôt d'habiles mais sérieux voire graves coups de plumes. Un plaisir de fruits nous parvenant au moment de l'été. Un plaisir qui fait plaisir comme lorsqu'une langue s'incurve vers d'autres tons, des nuances qui la rendent ainsi plus légère est donc plus habile à nous donner à goûter les mots sans pour autant les rendre suaves et mous. Un plaisir qui avait peut-être commencé à se faire sa place parmi les inflexions douloureuses et amères de Sable rouge. Et que j'avais laissé filer alors au gré des paroles que nous avions échangées comme une promesse sous-jacente. Ces nouvelles sont une preuve par le goût que l'écriture a encore une raison d'être, de bien-être partagé.
      Quel écrivain, quel créateur niera que le sel de la création, ce qui le pousse et le mène là où il ne sait pas qu'il va, qui le rattrape par le bout de l'oreille lorsqu'il vacille sur sa créature affolée, ne soit justement le plaisir ? Ce petit dieu mercurien délicieux qui se camoufle derrière son double géant que sont l'idéal et la volonté d'aller au-delà de tout possible et de l'impossible surtout. Elan se maquillant de terreur lorsque la grâce cesse et que le travail redevient simplement laborieux, c'est-à-dire ce qu'il est hors le mystère du don justement. Cet état de grâce qui nous fait si souvent défaut permet à l'écrivain, touché par l'aile plumitive du petit dieu, de ciseler ce qui peut être contenu à la fois dans un écrin de sens et un écrit luminescent. Et de nous passer le mot comme un clin d'oeil de connivence, témoin de joie et de surprise dans une austérité d'enterrements quotidiens d'histoires où de nombreux créateurs se muent en croque-morts.
      Eh oui, n'en déplaise aux futurs maîtres d'un monde sans saveur et sans grains de folie, l'art est fait à la fois pour donner la jouissance du jus sucré et la perception aiguë du fruit naissant. Ce qu'écrit Hélène Cixous : “ Le monde commençait ainsi, par trois tranches de pain de pensée. [… ] Le monde commençait à sa bouche ” me semble particulièrement adapté au plaisir de goûter la langue que l'on trouve dans l'écriture des nouvelles car ce type d'écriture nous fait entrer dans son sens, dans son sein, à petits pas. A petites bouchées. On s'y introduit d'abord… et tout lecteur assidu de nouvelles le sait bien… par pure délectation des mots. Tous les sens et non seulement le goût y sont en éveil du début à la fin du texte qui ne supporte aucune retombée ni aucune approximation.
      On n'y affronte ni longueur parfois éreintante du récit, ni descriptions redoutables, ni toutes ces démonstrations de savoir-faire dont certains auteurs nous gratifient par étourderie, parce que là, impossible, ils n'ont pas le temps. Et c'est dans cette concision qu'éclate l'art du graveur, du miniaturiste, de l'enlumineur, du parfumeur et du joaillier, ou celui du maître verrier qui, à l'intérieur de ses sulfures, nous semble avoir réuni sans les y emprisonner, dans la petitesse des parois de verre, l'océan et ses mille bateaux ivres. C'est la délicatesse de chaque phrase désirée, forte et diaphane, profonde et légère dans sa précision et son dépouillement, qui confère au texte court sa mouvance infinie et nous donne la sensation que le dernier mot est encore le premier.
      Cela je l'ai expérimenté au travers de l'écriture féminine car les femmes écrivains sont particulièrement sensibles au plaisir sensuel qu'écrire offre, c'est pourquoi elles choisissent de préférence les petites formes qui comme les délicieuses fugues de Mozart ou les Gymnopédies de Sati permettent de se mouvoir dans une allègre volupté d'un récit à l'autre tout en mettant passion et vigueur à tracer au plus près le fil invisible qui les relie. Car l'on n'entre pas dans un livre de nouvelles par un coup fort frappé au coeur comme on le fait dans un roman. C'est un discret tambourinage qui paraît au lecteur le rappel d'autre chose, d'un goût lointain à peine goûté, fugace, lui revenant par petites touches. Et d'autant plus fragile et délicieux qu'il ne s'impose pas comme un parcours tracé d'avance, mais nécessite un mouvement d'accompagnement pour trouver le passage d'une histoire à l'autre.
      Ainsi s'ouvre l’une des nouvelles :

“ Tous les soirs, juste après le dîner, je le sortais prendre l'air dans les rues de la ville. En le tenant par le bout de la longue ficelle que j'avais attachée autour de son cou, j'avais parfois l'impression de traîner un immense ballon d'enfant couleur de sable et de chocolat au lait. ”
(“La Balade”)

      Et la force qui va faire passer le message, souvent inconnu de l'auteur lui-même, jouant à se surprendre car l'enjeu n'est-il pas ici que de quelques pages, du tambourineur au tambouriné, réside dans son mystère même. Et dans son obstination à rejoindre le coeur du chant où nul ne l'attend et d'où pourtant il est parti. D'un côté de cette ficelle se trouve un homme qui se promène dans Paris et de l'autre son chameau transporté sans doute comme un totem depuis une lointaine Afrique.
      De cette animalité débonnaire et tranquille qu'on ignorera jusqu'au dernier paragraphe, l'on se prend à rêver bien qu'elle ne soit pas moins complexe en certains domaines que celle de son compagnon humain. Le chameau “ souffrait de rhumatismes ”, “ avait des insomnies ” et “ déprimait un peu ” mais également “ il appréciait beaucoup les films d'aventure et les dessins animés ”. De ce destin de chameau qui finira paisiblement “ enterré, en mars dernier, près du pommier ”, on peut tirer la leçon qu'il n'y a ni grande ni petite vie, mais qu'il y a tout simplement la Vie avec la façon dont on sait ou non en extraire le meilleur et le plus tendre et en tourner le pire en dérision.
      Et l'artiste, qui est directement relié aux forces génératrices de vie par sa création, est le premier à expérimenter que celles génératrices de mort ne sont jamais assez éloignées pour que le choix ne soit pas sans cesse à réaffirmer. L'oeuvre est un choix. Le choix est une oeuvre. Car toute affirmation contient son contraire, toute certitude est incertaine et toute vérité ment, de la même manière que tout signe peut être interprété en fonction de celui qui le voit, comme apportant bénédiction ou malédiction. Ainsi d'une nouvelle à l'autre voyage-t-on constamment de la vie à la mort, mais en sachant que dans toute véritable création, contrairement à l'existence humaine, l'on débouche sur de la vie.
      Et si, comme nous allons le voir plus loin, le livre ouvre sur une histoire qui met en scène une mort absurde, plus absurde encore que la mort, il s'achève sur l'étrange monologue d'un bébé âgé de douze heures, goulu d'avenir.

“ Depuis notre retour de l'hôpital, Grand-mère n'arrête pas de faire des crêpes et du café pour les visiteuses. Son odeur s'insinue partout, jusque entre les seins de maman dont les mamelons me font parfois penser à deux grains bruns et luisants d'Arabica. [… ] A écouter les gens, les miens compris, qui font cercle autour de ma mère et de mon berceau, c'est comme si je voyais avec mes oreilles devenues de grands yeux sans paupières et sans sourcils. Des yeux perpétuellement ouverts sur la vie qui m'entoure.”
(“La fugue”)







A suivre...

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