Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
  • Contact

Saïd et Diana

Said-et-Diana-2.jpg

Recherche

Texte Libre

Texte Libre

Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

21 mai 2008 3 21 /05 /mai /2008 15:07

                        La vieille dame algérienne

            Djida La grand-mère kabyle de Djamel Farès  Photo Djamel Farès Cahiers Parl'image 
      Elle vient d'attaquer les escaliers qui montent dans sa chambre en maugréant. Chaque marche qu'elle ne voit quasiment pas est une ennemie personnelle qu'elle a depuis son arrivée ici. Il lui faut lever le pied tellement haut qu'il lui semble qu'elle grimpe directement au ciel. Ici c'est chez un de ses fils où elle est venue pour se faire opérer des yeux. Sa maladie ça s'appelle la cataracte à ce qu'il paraît. Après quand elle n'aura plus ce voile qui brouille tout ce qu'elle regarde avec une obstination de vieille mule entêtée elle pourra rentrer chez elle.
      Ici elle n'est pas chez elle. Bien sûr il y a son fils qui lui fait les commissions et ses petits enfants qui sont les premiers à aller lui chercher ses médicaments ou à lui tenir compagnie quand elle consent à descendre dans les pièces du bas. Mais chaque chose dans cette maison la guette lui tend un piège lorsqu'elle tente de prendre la place qui devrait être la sienne. Les tapis verts et oranges qui sont sûrement très beaux. Le piano en plein milieu du chemin. Le frigidaire qui dépasse de l'alignement font sa honte quotidienne.
      Autour d'elle ils disent qu'elle râle tout le temps. Mais ils ne savent pas ce que c'est eux de ne plus pouvoir sortir seule de cette maison sans risquer de se retrouver aussi aplatie qu'une carcasse de chat au centre d'un carrefour. Les autobus sont plus dangereux que des éléphants piqués par un cornac. Et à quoi cela lui sert d'être dans cette ville remplie de vitrines aux ampoules argentées et aux fontaines où coule une eau qui est un mirage pour elle si elle n'y voit goutte. Si elle doit sans cesse être à leur merci pour le moindre de ses gestes. Est-ce qu'elle est vraiment leur prisonnière maintenant ?
      C'est qu'elle a toujours été une femme libre dans son pays. Dans sa ville parmi les siens. Elle se moquait pas mal de ce qu'on pensait d'elle contrairement à toutes les autres qui ne se préoccupaient que de l'œil malveillant des voisines et des vieux. Elle n'était pas de celles qui se taisent et baissent la tête devant leur mari ou devant leurs fils parce que des générations de femmes ont accepté de se faire traiter comme l'ânesse ou la chienne qui garde la maison.
 
       Et avec les autres non plus elle ne s'est pas laissé faire. C'est elle qui a dirigé sa maison avec toutes les belles filles qui sont venues lui prendre ses fils un à un et mettre du désordre dans ce qu'elle avait construit jour après jour. C'est elle qui a gagné l'argent et qui a acheté la boutique qui les a fait vivre tous.   
      C'est elle qui a donné les ordres aux filles au moment où le salon de coiffure était tellement plein qu'on se serait cru au hammam tant elles jacassaient et riaient toutes à la fois en se racontant leur vie. Y en a pas un qui peut se vanter de lui avoir une seule fois parlé autrement qu'il faut à cette époque-là.
      Ici elle n'est pas chez elle. Et puis il y a ses fils. Les deux plus jeunes et sa belle fille celle qu'elle préfère qui sont venus l'autre soir avec des idées qu'elle n'aime pas. Il y avait aussi une de ses petites filles qui tenait dans sa main quelque chose d'inquiétant. Quelque chose qui lui a tout de suite dit qu'elle devait se méfier. Elle ne comprend pas bien pourquoi ils avaient entrepris de la faire parler.
      “ Allez Mouima… raconte nous quand tu as peint l'âne du voisin… tu sais bien, tu nous l'as dit cent fois c'est tellement drôle. Il faut que tu nous racontes ton enfance pour qu'on se souvienne de tout ça plus tard quand tu seras trop vieille… Raconte Mouima… s'il te plaît… ”
      Qu'est-ce qui leur a pris tout d'un coup de s'intéresser comme ça à elle ? Qu'est-ce qu'ils lui veulent au juste ? C'est leur tour de chercher à lui tendre un piège. Parce qu'elle n'y voit plus ils croient qu'ils vont pouvoir la capturer. Lui prendre toutes ces histoires de sa vie comme si elle perdait la tête. Ces histoires sont à elle c'est tout. Non elle ne racontera rien du tout. La vieille dame se dirige en tâtonnant avec le pied vers la fenêtre où un rai de lumière dessine une plage claire qu'elle imagine de la couleur nacrée des narcisses.
      Dehors elle distingue la silhouette des fillettes en train de jouer à la marelle dans un halo de pétillements dorés. Non et non ronchonne-t-elle en écarquillant les yeux jusqu'à ce qu'ils soient brûlants et ne lui laissent plus qu'une sorte de velours noir et moiré pour toute certitude. Alors elle se retourne brusquement en songeant que si elle pouvait fixer sur eux son regard ainsi que chaque être humain peut le faire ils la respecteraient comme avant.
      Il y en a d'autres qui ont essayé déjà de la déposséder de son passé. De ses victoires sur la souffrance et les nombreuses malédictions. Parce qu'elle a fait la guerre avec les hommes et qu'elle a été assez rusée pour détourner l'attention des militaires de son mari qui avait pris le maquis. Parce qu'elle ne s'est jamais fait mettre la main dessus quand elle portait des armes d'une cache à l'autre sous ses vêtements et qu'elle n'a jamais non plus accepté de participer à des actions injustifiées à ses yeux. Oui elle voyait clair dans l'âme des hommes et ils ne le lui ont pas pardonné.
      Ses doigts qui errent machinalement le long du mur rencontrent la clef lisse et froide de l'armoire aux provisions que son fils se charge de remplir abondamment pour elle. Alors elle ouvre d'un mouvement mécanique la porte à battants et jette ses deux mains en avant avec rage.
      Ses yeux encore brouillés par les éclats de soleil ne perçoivent qu'une multitude de boîtes empilées les unes sur les autres. Une multitude de formes géométriques qui constituent un ensemble cohérent et défensif face auquel elle n'a que son impuissance. D'un seul coup elle a envie de saisir une des étagères avec toute sa force et de faire s'écrouler sur le plancher de la maison de son fils cette nourriture hostile qui lui donne le droit de ne pas faire plus de cas d'elle que d'un papillon pris dans une bouteille de verre opaque.
      
Toutes ces boîtes c'est encore une prison de plus qu'ils lui ont faite. Alors soudain elle se souvient de quelque chose qu'elle a entendu à la radio dans son pays avant de partir. Une jeune fille de quinze ans expliquait que les hommes qui les prenaient pour les violer et les rendre esclaves de leur plaisir obscène ne les appelaient pas par leur nom. Ils leur donnaient à chacune un nom de nourriture. De l'intérieur de l'armoire elle ne voit qu'un immense rectangle d'ombre menaçant. Un rectangle de planches comme un cercueil. Heureusement elle au moins elle ne sera pas claquemurée là-dedans quand elle sera morte. Dans sa religion on n'emprisonne pas les morts.
      Elle a refermé la porte de l'armoire maudite et elle a donné un tour de clef. Pour se calmer car il ne faut pas que son cœur batte trop fort ça n'est pas bon elle pense que bientôt ils vont l'opérer. Son fils lui a promis qu'après elle verrait à nouveau les minuscules lézards verts du jardin se chauffer au soleil dans les fissures du mur. Alors elle s'en ira de cette ville dont elle n'aura aucun souvenir. Elle s'en ira sans acheter les cadeaux pour les enfants ni pour personne.
      Elle s'en ira et elle sera libre de se promener où bon lui semble sans quelqu'un pour lui tenir la main comme à une vieille femme. Libre et fière de rentrer dans sa maison et de retrouver son fils aîné qu'elle aime plus que les autres. Peut-être parce qu'il était le plus proche de son père et qu'ainsi il fait partie de son histoire. L'histoire de sa vie qu'elle ne leur racontera pas.
      Non. Elle ne les laissera pas l'enfermer dans cette boîte noire comme si elle était déjà morte. Ses mots ils sont dans sa bouche. Dans son ventre. Dans son foie. Ils sont ses yeux et son regard.
      Bientôt elle rentrera chez elle et alors ils la laisseront enfin en paix. Seule avec sa mémoire.
Paris, 10 février 2000
 

Partager cet article
Repost0
11 janvier 2008 5 11 /01 /janvier /2008 00:56

                  Lettre à Leïla Sebbar suite

Au Salon nous n’avons pas parlé de tout ça ni de la façon tellement simple et étonnante dont j’ai été reçue chez les écrivains algériens moi qui sortais de mes multiples banlieues et qui écrivais à peine… J’y songeais en voyant ces intellos parisiens et ceux qui tournent autour et qui voudraient bien l’être et je me demandais pourquoi je m’obstine à leur parler de la banlieue et de ses zones magnifiques de création spontanée qu’ils s’obstinent eux à traiter comme disent les jeunes… De la banlieue de l’énergie qu’elle a au creux de ses tripes à l’intérieur de ce Salon et de tous les autres Salons des livres à Paris que je connaisse il n’y a aucune trace ni aucune présence sauf la nôtre par hasard et pourtant on ne les compte pas les bouquins écrits et publiés par des jeunes des cités et même dans de grandes boîtes d’édition je peux en citer plein mais je n’préfère pas…

Y’a trop de récupération de tout c’qui se vit au cœur des quartiers… la zone ça devient un décor pour ceux qui se pointent avec caméra et micros… du spectacle et de l’inconscience… les jeunes ne les aiment pas ou bien ils les utilisent manipulent racontent des histoires terribles effrayantes… le tam-tam des cités bat… les jeunes ils se marrent… ils ont tout gobé les bouffons ! Eux aussi souvent ils se prennent au jeu les frangins et pour l’écriture c’est pareil… Dans le magazine Fumigène où écrit Abd-el-Malik y’a des entretiens et notes de lecture sur ce que les jeunes des quartiers respectent et apprécient comme écriture… Eux ils savent ce qui est vrai ce qui vient de la rue ce qui parle d’eux aujourd’hui avec la langue qu’ils inventent pour recréer l’univers de la Tess’ ( la cité ) sur les pages d’un cahier comme le faisait Mounsi y a un peu de temps déjà…

Dans ta lettre tu me parles de mon travail d’écriture à partir des quartiers et forcément mes “ Petites chroniques d’une cité de banlieue ” ou ce que je note gribouille vite fait à vif souvent et ensuite ça se mélange tambouille d’épices et de mémoires à mon pataquès de l’enfance parmi les immigrés de la première génération maghrébine africaine aussi les sixties et des images tellement fortes d’un cinéma d’une certaine époque… Les paroles de J. Prévert sur le film d’Eli Lotar Aubervilliers… la zermi des milieux ouvriers de la banlieue des années 45-50 et puis la banlieue rouge les maires communistes les bidonvilles les terrains vagues… tout ça c’est sacrément différent de ce que les jeunes racontent dans leurs récits leur slam ou leur rap parce que c’est enraciné dans tout un passé de l’anarcho-syndicalisme et des luttes des ouvriers qui mêlées aux utopies des années 60-70 ont fait de moi ce que je suis-je crois…

Pour les jeunes de la périféerie aujourd’hui il y a un lien évident que les filles et les fils de l’immigration ne font pas avec les multiples cultures orales de l’Afrique la tradition des contes où on peut puiser à l’infini des références humaines sociales poétiques à des civilisations incroyables, avec des mythologies aussi riches que celles de l’Arabie et la cosmogonie africaine si complexe… tout ce dont s’est inspiré l’écrivain et cinéaste réalisateur Ousmane Sembène dont les films sont à la fois des actes de résistance et de liberté et des œuvres de création d’un modernisme rare comme Moolaade par exemple qui met en scène la lutte des femmes à travers l’ancienne coutume du Moolaadé : droit d’asile exercé par les femmes à l’intérieur de leurs maisons, opposée à la Salinde le rite de l’excision assurant le pouvoir des hommes par la main des exciseuses vêtues de longues robes couleur rouge sang…

Dans les images de Moolaade où l’Afrique rayonne de ses couleurs brûlantes cernées des ombres épaisses des peurs ancestrales on retrouve toutes les ambiguïtés du rapport au corps des femmes dans les cités de banlieue où les traditions de tant de pays du monde de frottent à la “ modernité occidentale ” dans le silence et le secret des mouvements imperceptibles et profonds qui font bouger des sociétés sans que les grands observateurs extérieurs s’en doutent tant ce sont les femmes qui nouent dénouent renouent les liens entre les générations…

Pourquoi je te parle de tout ça ? parce que l’absence d’un lieu où les créations des banlieues réveillent les gens me travaille la tête depuis un moment et que toi tu t’y intéresses je le sais j’ai lu et écrit à partir de plusieurs de tes livres dont on a peut-être moins parlé que des autres alors que tu as soulevé dès tes premiers récits avec les tribulations de Shérazade originaire d’Aulnay-sous-Bois le voile très opaque qui planquait ce que nos innombrables virées coloniales direction le Sud suivies de l’immigration massive dans l’autre sens après coup nous avaient permis de piquer au cœur des imaginaires indigènes et combien nous nous nourrissons de la sensibilité de l’intuition créatrice arabes et africaines au point que la plupart d’entre nous n’ont même pas conscience de ce métissage étrange et familier…

Toi parce que tu es née en Afrique du Nord au sein d’un couple mixte et que tu as ressenti d’une certaine façon l’absence de transmission d’un héritage : la langue la culture l’imaginaire l’histoire de “ l’Algérie heureuse ” “ Algeria felix ” comme tu l’appelles tu as eu très vite l’intuition de ce que cette absence peut suggérer à l’imagination pour réécrire le vide le remplir de traces et de couleurs…

Ce passage obligé entre l’Afrique et nous après notre passé colonial que j’ai essayé de laisser s’exprimer avec les mots spontanés d’une gamine des banlieues dans mon petit bouquin Par la queue des diables en 1997 toi tu le racontes avec l’expérience physique charnelle de la langue dessous la langue du corps de la fillette algérienne dessous le corps de la femme devenue redevenue “ française ” de la civilisation engloutie sous l’autre dans un mouvement de va et vient où elles ne cessent de se réinventer mutuellement…

Et bien sûr que ta proximité avec les territoires de fiction de la banlieue : paysages et peuples sans histoires et espace d’immigrations africaines privilégiés avec la réalité actuelle des jeunes filles et des jeunes garçons issus de cette immigration rejoint ta quête de “ l’étranger bien-aimé ” dont tu me parles à nouveau dans ta lettre et qui est la leur aussi…

Tu sais que je réfléchis au questionnaire que je voudrais t’envoyer au sujet de ton livre Les femmes au bain dont je t’ai parlé dans une autre lettre et qui est à mes yeux le livre de toi qui relie de la façon la plus expressive et la plus poétique tes deux univers oniriques l’arabe et le français avec ce chant à deux voix entre “ l’étranger de sang ” et “ la bien-aimée ”, ça ne peut pas être un entretien comme les précédents avec le côté linéaire qui s’installe c’est forcé quand on parle d’un seul récit moi j’aime le mouvement d’un texte l’autre la surprise des rapprochements qu’on n’attend pas…

Et justement mon obstination encore je sais que j’ai raison je cherche je fouille la bibliothèque trop petite les bouquins en désordre y’en a partout les tiens facile ils sont devant tu me les envoies toujours je sais que la couverture est bleue un bleu gris de lavande lavé comme celui des murs béton des cités avec deux empreintes dedans comme un pouce dans de la terre crue deux nombrils… Sept filles tu l’as publié en 2003 dédié à Sohane…

                       A suivre...

Partager cet article
Repost0
24 décembre 2007 1 24 /12 /décembre /2007 13:13

                                      Lettres à Leïla Sebbar

Leïla Sebbar Maison des Ecrivains Février 2001 lors d'une soirée consacrée à Jean Pélégri

Jeudi, 25 octobre 2007

 

Leïla bonjour,

 

             Il y a quelques jours au Salon des Revues où on s’est entrevues si vite… sans doute qu’à chaque fois qu’on a causé longtemps c’était autour d’un bouquin un des tiens et il y’avait le dictaphone entre nous mes questions tes réponses et d’autres fois au Sélect aussi… ça fait dix ans qu’on a commencé à parler de l’Algérie avec ton livre qui réunissait d’autres écritures à la tienne c’était Une enfance algérienne  c’est drôle… grâce à toi et à ce livre j’ai fait deux rencontres essentielles et très différentes… celle de Jean Pélégri qui est devenu mon ami et celle tout autre d’Hélène Cixous que je ne risque pas d’oublier… et qui a donné naissance à notre entretien sur son livre Les rêveries de la femme sauvage et qui m’a permis de rencontrer ses élèves à la Fac de Saint-Denis endroit étrange pour moi vraiment…

L’autre jour au Salon des Revues je pensais à la question de Louis Gardel quand j’étais allée le voir avec Jean au Seuil pour lui demander s’il y’avait une chance qu’il publie mon gros manuscrit “ Jean Pélégri l’Algérien Le scribe du caillou ” sa question qui m’avait fait rigoler tout doux : “ Vous êtes pied-noire Madame ? ”… Je n’allais pas lui parler de mon enfance métisse dans les cités de banlieue et des vieux immigrés algériens tu penses… ni de ma rencontre avec Mounsi et son livre qui m’a foudroyée La Node des Fous mon premier entretien que j’ai envoyé à une revue inconnue que j’avais piochée sur les rayons d’une librairie c’était en 1997… c’est drôle… autre rencontre mais avec Marie…  

Je ne sais pas si tu l’as su mais le texte " L'heure du conte " qui est sorti de notre entretien sur ton livre L’habit vert est publié dans la revue Algérie Littérature /Action le n° 101-102 celui qui est illustré par les peintures de Noureddine Zekara Marie l’a mis en ouverture de sa revue parce que ça l’a touchée ce qu’on a raconté là-dedans… C’est drôle… c’est le premier texte que je publie à nouveau dans cette revue après une interruption de cinq ans et ça colle juste avec les dix piges d’ALA qu’on fête cette année et avec mes dix piges d’écriture à moi… marrant que j’ai continué mes critiques littéraires si on peut les appeler comme ça avec tes bouquins sans doute une correspondance poétique d’une autre nature que celle avec Jean mais pourtant… Mon histoire avec l’Algérie qui a planté sa tente à l’intérieur de moi, sa tente aux laines de couleurs fabuleuses et puis ocre écru et terre elle s’est installée au cœur de mon désert black bitume et plaques d’acier gris luisant et elle n’me quitte pas…

Mon histoire avec l’Algérie… une bonne aventure même si elle trimballe son lot de trahisons normal on n’met pas les pieds sur un territoire d’utopies aussi rayonnantes et obscures que celles-là sans s’en prendre plein la peau comme tu le sais toi aussi mais nous autres on a la côte de mailles rugueuse aux écailles gris argent mat des gros iguanes des sables et on se glisse faufile la nuit dans les marges d’écriture et ça va…

Mon histoire avec l’Algérie justement tu me demandes au téléphone le mobile on peut me rejoindre des fois à cause de cette laisse-là moi la plus solitaire que jamais on peut… pas toujours… tu me demandes au téléphone le mobile on peut me rejoindre des fois moi la plu solitaire que jamais on peut… pas toujours… tu me demandes de l’écrire en 3000 caractères moi qui ai noirci raturé brouillonné des centaines de pages là-dessus pas publiées un jour je les enverrai… à qui pourquoi faire ils ne lisent pas… les poèmes non plus je n’en fais pas des recueils bien classés comme au début les pages traînent par terre sous la table ou j’écris s’entassent s’envolent… J’ai vu une vidéo sur W. Burroughs qui marchait sur ses brouillons il les couvrait de pinard de café de sang de tout…

A quoi bon s’occuper on les écrit et basta… les poésies de toute façon j’n’en écris que quand ça devient violent quand ça me mord à la gorge… 3000 caractères pas plus ! Tu as raison… ça tient en si peu de mots mon histoire avec l’Algérie… Les zouvriers arabes du bidonville d’Auber les zimmigris… Ahmed tombe de la grue du chantier… Mektoub !… Moi je n’ai pas d’histoire une gamine dans une banlieue crasse et c’est la leur que je raconte… qu’ils me racontent… Cardamome menthe basilic… c’est comme ça chez nous… Tu dis quoi ?… Nous on est que des gens… on n’est pas dans la vie…

En écrivant un nouveau texte le premier bien trop long 3000 caractères tu ne veux pas couper… je songe à ce que j’aimerais écrire pour répondre à ceux qui défont l’histoire et bavent à leur façon sur celles et ceux qui y ont laissé leur peau et leur jeunesse dans cette jolie aventure de l’Algérie… moi je coupe cric-crac ! je peux c’est facile… Les vieux Algériens beaucoup ne savaient pas écrire leur existence barrée brouillée sabotée par l’usine les machines l’absence d’une parole amicale… “ ici y’a personne qui te parle… y’n’te dit même pas bonjour… ” dans leur regard je voyais défiler tout le chemin de l’exil… ramasser quelques mots comme des galets doux et ronds dans la paume pour leur offrir…

Leïla Sebbar et Christiane Chaulet Achour Maison des Ecrivains 2001

Photos de Jacques Du Mont

Cette Lettre à Leïla Sebbar est lisible sur son site dont le lien se trouve joint à notre blog. On peut la découvrir dans son entier en fichier PDF. J'en reproduis ici quelques extraits pour le plaisir des habitués de notre blog des Cahiers des Diables bleus.

Bonne teuf à toutes et à tous et une pensée particulière à nos amis des cités de banlieue, tout spécialement à celles et ceux de la Cité d'Orgemont à Epinay...

A suivre...

Partager cet article
Repost0
18 décembre 2007 2 18 /12 /décembre /2007 22:02

“ La fille en prison ”            “La surveillante distribue le courrier. Elles sont trois dans la cellule. A l’étroit. Marinette, Nadia et Aïché, une Turque.

Nadia feuillette le catalogue.

Aïché lit le Coran.

Marinette écrit à son fiancé. ”

 

Dans le catalogue il y a des images. Des images d’une robe de mariée. Mais que peut-on bien faire d’une robe de mariée lorsqu’on est en prison ?

 

“ On ouvre la porte.

- Nadia l’avocat, Aïché la bibliothèque, Marinette l’atelier. ”

 

Oh pour Nadia ça n’est pas grand-chose… un peu de vol à l’étalage quelques sous-vêtements dentelle des mini jupes aussi avec des couleurs vives qui donnent envie parce que le corps ainsi paré ressemble à celui des autres femmes. Des femmes d’ici. “ Les boutiques des Halles, elle est comme chez elle. Elle a été vendeuse. ”  Le corps des femmes d’ici dès qu’il fait beau joue avec le soleil et avec le regard des hommes. Les épaules et le dos nus les pieds aux ongles mauves roses incarnat et les jambes jusqu’en haut des cuisses découvertes.

Symphonies de peau claire et de petits frissons blonds ou roux qui font des ombres légères sous les aisselles. Robes moulantes à fleurs ou mini rouges et jean avec les poches sur les fesses et les boutons sur le devant. Si la peau est un peu plus mate elles mettent des tee-shirts verts ou orange échancrés profonds et les cheveux elles les gardent longs noir intense et bouclés. Les chaussures ont des talons mais pas trop hauts juste pour faire ressortir les mollets bien galbés et dorés déjà. Elles aiment marcher dans le gravier des parcs sous l’œil complice des flâneurs vautrés au fond des chaises de fer peintes en vert.

Pour la famille de Nadia c’est écrit dans les lettres qu’ils lui envoient on va laver la faute par un “ beau mariage… ” “ un cousin ” “ il l’attend, il lui pardonne… ” La mère est d’accord avec le frère… le corps de Nadia leur appartient. Il est à la famille et la famille sait ce qu’il y a à faire afin que tout se passe selon les règles. “ Lorsqu’elle arrive au mariage, le même d’une lettre à l’autre, elle rit, le fou rire. ”

Marinette on ne sait pas ce qui l’a amenée là mais elle le mariage c’est avec son fiancé qui l’attend parce qu’ils s’aiment un vrai fiancé il lui écrit des lettres qu’elle lit à Nadia :

“ … On aura une maison, tu verras, on sera heureux… ” Entre Nadia et Marinette il y a un secret. Le secret de la raison pour laquelle Marinette se trouve en prison et peut-être Aïché aussi… Seule Nadia sait ce qui n’est pas écrit dans l’histoire.

Entre Nadia et Aïché c’est le corps qui marque deux territoires différents. “ Aïché fait sa prière. Cinq fois par jour. ” Aïché ne va pas à la gym comme Nadia “ C’est interdit. ” Aïché c’est une prévenue modèle selon l’expression… pourtant elle “ … sera dans une centrale, avec les longues peines. ” Les trois filles sont réunies par leur jeunesse et malgré toute la force des convictions de chacune le corps adolescent rapproche les filles par des désirs inconscients et par la joie d’une sexualité vécue librement à l’intérieur des pays modernes et encore plus s’ils sont laïques même si elle est refoulée dans les fantasmes et les rêveries… Marinette Nadia Aïché rêvent au mariage de Nadia amoureuse de l’avocat qui la défend…“ A l’atelier, Marinette et les autres fabriquent des accessoires pour un magasin bon marché, des cœurs en satin blanc, bordés de dentelles et garnis d’un ruban piqué de perles blanches. Ça leur plaît de coudre des cœurs, des bouquets, des couronnes de mariées. ”

 

Marinette rapporte chaque jour de l’atelier des bouts de tissu qui leur servent à coudre la robe de mariée en cachette dans la cellule. La robe sera très belle “ Simple, collante, brodée blanc sur blanc. ” brodée par Aïché qui est un ange. “ Aïché dit : ‘ Tu auras la plus belle robe, tu seras la plus belle, ce jour-là sera le plus beau jour… ” Les trois filles rêvent. Marinette rêve à son fiancé. Aïché rêve au mariage de Nadia avec l’avocat et au “ livre du grand-père dissimulé dans une peau d’agneau au fond du coffre familial… ” Nadia rêve à l’avocat et au modèle de la robe qu’elle a vu dans le catalogue “ … il s’appelle Féline, le nom lui a plu et aussi la robe… ”

Les trois filles imaginent une vie autrement que celle d’une cité de banlieue dans une ville souvent grise où leurs corps sont prisonniers de tant de regards trop sérieux trop pesants… peut-être la liberté avec le soleil la joie les rires de la jeunesse insouciante… Elles imaginent la beauté de la robe semblable à celle du corps de Nadia lorsqu’elle pourra marcher dans les rues parmi les autres filles… marcher courir voler… les autres filles le font dans des robes de couleur comme des papillons. Mais pour Nadia la robe sera blanche parce que c’est la lumière tout entière. La lumière loin des regards des autres et de leurs ombres de corbeaux qui recouvrent le corps des femmes de la tête aux pieds. Le corps des filles vole et tourne autour des trois filles comme une ronde de papillons amoureux.

 

“ Assises au bord du lit, Nadia, Marinette, Aïché.

Aïché découpe la robe de mariée en fines lamelles, très fines, avec de grands ciseaux de couturière. Nadia et Marinette obéissent à Aïché. Les lamelles feront une corde longue et solide pour se faire la belle. ”  

Partager cet article
Repost0
13 novembre 2007 2 13 /11 /novembre /2007 23:20

                    La langue de mon père

Et pourquoi considères-tu que le pays natal est pour toi une terre interdite ou que tu t’interdis ?

 

Leïla Sebbar : Parce que je sais que profondément ne parlant pas l’arabe d’une part et de mère française d’autre part, je ne serai pas la bienvenue. Je veux qu’on m’accepte telle que je suis. Je suis le produit de ce croisement. Et je ne vais pas faire semblant. Donc j’irai pour moi, alors que j’aimerais bien pouvoir dire que j’irai pour d’autres que pour moi. Pour ceux qui vivent en Algérie aujourd’hui.

Et puis peut-être ai-je besoin de l’Algérie absente, de l’Algérie hors réel pour écrire. Et je pense que le jour où j’irai en Algérie de la manière dont je veux y aller, j’irai en pensant que je n’ai plus à écrire. Je ne sais pas si ce sera vrai ou non mais je crois que ce sera vrai… Ce qui ne veut pas dire du tout que je ne m’intéresse pas à l’Algérie contemporaine, mais que j’ai besoin de l’Algérie éloignée physiquement.

Je ne sais pas ce que serait mon rapport avec l’Algérie humaine. Car j’ai eu ce rapport vrai avec les femmes au moins, dans mon enfance. Toutes les femmes que j’ai mises en scène dans mes romans, je ne les ai pas connues, je n’ai pas vécu avec elles, je les ai approchées et c’était une énorme présence. Donc c’est étrange… Ma crainte serait justement de ne pas trouver ça. Et je pense que je ne trouverai pas ça parce que c’est de la fiction.Djida la grand-mère de Djamel Farès photographiée par lui dans le Cahier Parl'image n°5/6 La source et le secret

 

Ton lien aux femmes d’Algérie m’a fait penser à celui d’Hélène Cixous dans Les rêveries de la femme sauvage avec Aïsha, quelque chose de charnel qui évoque la terre mère ?

Leïla Sebbar : Oui, la terre mère de Jean Pélégri.

 

C’est ça, Ma mère l’Algérie. Et pourtant chez J. Pélégri la transmission par la lignée des hommes et du père est très importante.

 

Leïla Sebbar : Oui, mais la terre algérienne passe par sa mère l’Algérie, cette femme qu’il fait parler, qui est une Algérienne. Une femme du peuple.

Et moi je n’ai pas envie d’être perçue là-bas comme une étrangère. L’Algérie c’est mon pays. C’est mon pays natal, le pays de mon enfance, de mon adolescence. Je ne suis pas une étrangère mais je serai toujours perçue comme une étrangère. Beaucoup plus qu’en France.

En France je ne suis perçue comme étrangère que parce que je m’affirme sous le nom du père.

 

               Ecrire sous le nom de ton père c’est une réappropriation, j’imagine ?

 

              Leïla Sebbar : Bien sûr. Mais beaucoup de femmes du Sud aujourd’hui prennent encore un pseudonyme. Et moi je fais un travail de reconstitution comme s’il y avait eu une tribu alors qu’il n’y avait pas de tribu.

Mon père est l’étranger bien aimé et là aussi j’aime que ce soit l’étranger. J’aime que ce soit l’étranger parce que ma mère l’a aimé comme étranger, de même que mon père a aimé ma mère comme étrangère. Il est vrai que parmi nous les hommes de la génération de mon père que j’ai connus, il était exceptionnel dans sa modernité. Premièrement épouser une Française, ensuite élever ses enfants sans religion, ni musulmane ni catholique, c’était impensable.                   Tes parents avaient une réelle complicité en ce domaine. Ils ne vous ont jamais donné aucun enseignement religieux ?

 

             Leïla Sebbar : Non, leur religion à eux, c’était la laïcité. Et ça, ils nous l’ont transmis. Mon père m’a transmis des valeurs qu’on peut d’ailleurs retrouver dans la qualité de ce qui fait l’Islam. La tolérance, la générosité, l’hospitalité, l’attitude à l’égard du savoir. Pour mes parents et ceux qui étaient comme eux, ces valeurs pouvaient remplacer Dieu.

Outre le silence de la langue, pour moi il y a eu aussi le silence sur Dieu. Ce silence de part et d’autre m’interdit Dieu. En tout cas je pense que quelque chose manque. Même si j’ai lu des quantités de livres pour connaître ce qu’on ne m’a pas donné, il y a une sensibilité que j’approche de manière intellectuelle uniquement. Et le détour par les femmes de mon père c’est encore une façon d’approcher quelque chose de Dieu et de la religion par l’Islam qui m’étonne et qui est là. Je sais que c’est à l’œuvre dans ce que j’écris alors que j’ai toujours vécu sans. Quelque chose est passé de ce côté-là, du côté de mon père.

Et si j’avais eu envie de me convertir lorsque j’étais enfant, j’aurais encore dû faire un choix. Entre l’Islam et le Christianisme. Là aussi c’était choisir l’un contre l’autre.

Comme les femmes que je mets en scène et que j’aime sont des femmes du peuple, la plupart du temps analphabètes et qui finalement ressemblent à la mère et aux sœurs de mon père, leur religion c’est la religion musulmane. Et quand j’accorde une telle attention à quelqu’un comme Isabelle Eberhardt, c’est ça aussi. C’est son approche de l’Islam qui me touche. Je peux me permettre ça dans la fiction. Mais moi comme personne, comme sujet, je ne me convertirai à aucune religion que ce soit. Je ne le ferai pas parce que j’ai la fiction justement.

 

              La langue du peuple n’est pas forcément celle des livres, ou du moins il se l’approprie à sa façon. Ce qui se dit dans la rue, dans les cités, à l’intérieur des cafés entre hommes, ou au hammam et dans les maisons lorsque les femmes se retrouvent ensemble, cette langue sans cesse en mouvement par sa propre dynamique, brute et sauvage comme le souffle du Sirocco balayant les morceaux d’un journal déchiré sur un trottoir, cette langue du rap et des contes que l’on écoute encore dans les villages lorsque la nuit est tombée et que les femmes racontent, c’est elle qu’il faudrait apprendre et écrire parce que c’est elle qui dit l’avenir d’un pays.

 

            “ Un jour tout va exploser. Le Clos-Salembier, c’est une bombe… Croyez-moi. Les Algériens ont peur du Clos-Salembier, là-bas, on se promène pas. C’est pas beau comme au Club des pins… chez les riches, c’est gardé, on n’entre pas au Clos-Salembier, on n’a pas besoin de gardien… ” Il avait raison. Les jeunes révoltés sont partis de là, presque tous, les plus durs, là où c’était interdit pour eux, ils ont tout cassé. C’était en 1988. Le patron a baissé le rideau du garage, il a eu peur. Ils ont envahi le centre ville. Des jeunes, des jeunes, partout, ils criaient, on comprenait pas bien, ils ont pris d’assaut les immeubles administratifs, en bandes, ils n’avaient pas peur, la police était débordée, ils ont occupé les bureaux, ils ont tout lancé par les fenêtres, c’était pas pour voler, c’était pour détruire, les machines à écrire, les téléphones, les télés, les dossiers, les livres, les livres aussi, les rues étaient pleines de papiers imprimés, certains précieux, c’est sûr, ils s’en foutaient… ( … )

L’armée contre les civils, des enfants, ils étaient très jeunes, la majorité. Cinq cents morts. Un pays qui tue ses enfants. ”

 

Et la présence dans ton récit au niveau de la fiction du second fils de Fatima, militant islamiste vivant dans une cité de la région parisienne, fait sans doute allusion à une des réalités actuelle qui pose question aux jeunes sur leur origine ?

 

Leïla Sebbar : Bien sûr et ça m’intéressait de faire le lien entre l’histoire passée et contemporaine. Cela faisait longtemps que j’avais envie d’écrire sur le personnage de Khelkal qui me touche de manière romanesque. C’est l’oblitération de la transmission d’une culture d’origine qui provoque la surenchère. Les jeunes qui adoptent l’islamisme comme endoctrinement y sont obligés pour exister. Et tenir compte sérieusement dans l’école de l’histoire de l’esclavage, de la colonisation et de l’immigration est extrêmement important. C’est le seul lieu où il est possible de transmettre cela, de le faire comprendre pour éviter ce genre de dérive. Il n’y a aucune raison que les enfants d’immigrés soient dans ces choix-là. Ils sont partie intégrante de la société française.

Et si le second fils de Fatima retourne en Algérie, c’est peut-être justement pour se ressourcer auprès des femmes et chercher quelque chose auprès d’elles qu’il n’a pas trouvé ailleurs et qu’elles pourront lui accorder ou lui donner. C’est dans ma mythologie de croire que si l’on a choisi un combat perdu, un des moyens de se retrouver c’est de revenir à la maison. Ça donnera à réfléchir et ça procurera un peu de repos et d’apaisement. Et la présence face à lui, non seulement de sa tante Aïsha mais de la petite fille qui l’accompagne va peut-être faire se demander à cet homme : “ qu’est-ce que je fais pour elle ? ”

 

Partager cet article
Repost0
30 octobre 2007 2 30 /10 /octobre /2007 18:48

                 La langue de mon père

 Oui, c’est la langue de ton père qui sert à vous insulter…

 

Leïla Sebbar : Oui, et c’était accompagné de gestes… La langue de mon père devient une langue de l’agression. La langue de la cruauté de ces garçons en face de trois petites filles désarmées. C’était de petits sauvages. Mes parents ne pensaient pas que cela soit possible parce que dans leur idée ces garçons venaient à l’école. C’étaient des éléèves de l’école et donc ils ne pouvaient pas se comporter comme ça. Mes parents ne voyaient pas la différence entre le dedans et le dehors. Le dedans protégé, et puis, le portail franchi, c’était le dehors, c’était la rue, c’était l’étranger. Un étranger agressif. Je pense avoir compris que ces insultes étaient sexuelles. Je le sais et je le savais.Pourquoi n’en as-tu jamais parlé alors ?

 

Leïla Sebbar : Peut-être pensais-je qu’on ne me croirait pas, que ça n’était pas si grave que ça… Je ne sais pas… Il n’y a jamais eu de faits physiques… En tout cas, je pense avoir vécu cela comme un traumatisme et s’il n’y avait pas eu les femmes, j’aurais eu un rapport beaucoup plus problématique avec la langue arabe, et peut-être si problématique que je n’aurais pas écrit. Quand la langue est une langue d’insulte et qu’on te blesse à travers elle, ce peut être beaucoup plus profond qu’on ne croit. Et si rien n’est adouci tu n’as pas accès à quelque chose de cette langue.

On était dans un quartier arabe, et ce sont les femmes que j’ai entendues. Je n’ai jamais vécu avec les femmes arabes, excepté Aïcha et Fatima, mais j’ai entendu une autre langue que mon père parlait avec les mères des élèves qui venaient le voir. Ce village était un village de colonisation et l’écile était la seule pour les enfants arabes musulmans, les fils des ouvriers agricoles.

Ainsi j’entendais mon père parler avec ces femmes, de même que je l’entendais parler avec ma mère, avec ses sœurs. Et j’entendais les femmes parler entre elles mais je n’ai jamais cherché à comprendre. Nous jouions mes sœurs et moi avec les petites filles du quartier, elles venaient dans la cour jouer à la marelle. Elle ne parlaient pas français puisqu’elles n’allaient pas à l’école. Et nous ne parlions pas arabe. Mais on s’entendait. Il y a des mots que je connais. Que je reconnais. Et quand je les entends aujourd’hui j’aime bien ça.               On peut peut-être dire que tu as la musique de la langue mais pas le sens ?

             Leïla Sebbar : Je ne veux pas en avoir le sens pour y mettre le mien. Ecrire c’est mettre le sens qui est le mien et il est probable que le sens que j’ai mis moi dans ce livre ne convient pas à ma mère ni aux Algériens. Même si j’ai eu le prix de l’amitié franco-algérienne. Mais aucun Algérien ne m’en a parlé.

 

           C’est encore le silence qui continue ?

 

          Leïla Sebbar : Oui c’est le silence… Pas un mot. Et pourtant j’ai parlé de choses où les Algériens peuvent se retrouver.

En Tunisie, à propos de la dernière phrase de mon livre “ … la voix de la terre et du corps de mon père dans la langue de ma mère… ”, un homme m’a dit que j’avais souillé mon père et mon pays.

C’est une volonté de ne pas savoir. Je réécris l’histoire qui m’est inconnue ou dont je connais des fragments en lui donnant d’avantage de vérité. C’est sans doute ce qui gène.

 

          Ce lieu du dehors est l’espace du conflit entre le désir des hommes algériens d’être des hommes à part entière en se libérant de la colonisation, et leur impuissance à passer à l’acte face à des forces de répression que l’on connaît, tant que la guerre d’Indépendance n’est pas déclarée ouverte. Alors la cruauté des mots cèdera la place aux gestes déterminant l’impossibilité d’une alliance entre Algériens et Européens d’Algérie par la suite. Quels qu’aient été les désirs des uns et des autres, les violences et les inégalités sociales engendrées par le fait colonial avaient brisé au départ le pont fragile qu’une langue et une culture de “ l’entre-deux ” rives, celles que Jean Sénac et Jean Pélégri au sein de la revue Novembre appelaient de leurs vœux avaient essayé d’inventer. De même, la langue française choisie par amour par le père et apprise avec amour au fils de Fatima ne servira jamais de lien réel entre les êtres sur la terre algérienne. Elle demeurera la langue de la fiction et des histoires. 

           “ Je n’irai pas à Hennaya ou j’irai dans le silence, je tournerai autour de l’école, sans oser passer la porte de bois clouté ou le portail de la cour. La nuit, dans mes rêves, je reviens, j’entre dans la maison, tout a changé et je pleure. Non. Je n’irai pas. Même sachant l’arabe que je n’ai pas appris, je n’irai pas. (… )

Et si, contre toute raison, je revenais à Hennaya ? De l’autre côté de la frontière, l’esplanade de terre rouge séparait l’Europe de l’Afrique… J’irais dans le quartier arabe et dans la petite Afrique je chercherais Aïcha, Fatima. Je ne referais pas le chemin, je crois que je n’irais pas au village européen. ( … ) ”

A suivre...

Partager cet article
Repost0
27 juillet 2007 5 27 /07 /juillet /2007 12:20

                        Lettre à Leïla Sebbar suite

Sur la ligne 2 la négresse qui tient contre son dos l’enfant blonde aux yeux bleus comme ceux en verre des poupées qu’on avait et qui l’emporte au gré des rues qu’on prend derrière elle dans un quartier pauvre un quartier nègre d’une ville d’Algérie ou bien un faubourg misérable d’une ville africaine où vivent les blancs comme on en voit dans le film d’Ousmane Sembène La Noire de… ? je sais que je pourrais la rencontrer mais la jeune femme black qui monte à la station Barbès avec une poussette où une gamine qui a des dread locks et des mini baskets rouges de marque m’envoie un coup d’œil étonné avant de rigoler carrément ne lui ressemble pas… Elle s’assoit sur le strapontin en face de moi et je la regarde discret elle est jeune et son visage encore rond comme celui de l’enfant porte deux scarifications au milieu des joues comme des tatouages elle est habillée style parisien Jean et tee-shirt et sur ses cheveux crépus tirés dans le cou un foulard qui me fait songer à  d’autres jeunes femmes semblables dans la cité… Elles sont nées ici peut-être mais il y a une quête jamais achevée…

Dans ton livre Le ravin de la femme sauvage, la nouvelle que je relirai encore plusieurs fois la petite fille blonde appelle la négresse “ Nounouche, ma Nounouche… ” et le bien-être qu’on dévore quand les bras amoureux de la femme se referment sur elle est aussitôt frustré par le coup de sjambok qui la frappe c’est le dos de Beloved sur lequel le fouet a dessiné un arbre dans le roman de Toni Morrison c’est le masque qui poursuit le patron blanc après le suicide de la jeune femme dans la Noire de… du roman et du film d’Ousmane Sembène… ce sont des milliers de femmes noires esclaves ou servantes dans les maisons des blancs et aujourd’hui il y a toutes ces nounous blacks dans les quartiers aisés à Paris mais on ne les fouette pas… est-ce qu’on les humilie ?

La jeune femme black qui monte à la station Barbès ne regarde pas son enfant avec des yeux amoureux elle ne sourit pas elle la fixe comme si un poids trop lourd sur ses épaules qui l’écrase… qui l’écrase… mais elle ne la porte pas ? La poussette reste loin d’elle et la gamine dévisage les gens qui montent descendent montent et elle rit. Elle ne regarde pas sa mère. Le visage de la jeune femme est triste et boudeur et quand elle descend à la station Belleville elle tient la poussette loin devant elle… L’autre jour à la station Saint-Denis Porte de Paris sur la ligne 13 une femme black avec le vêtement traditionnel drapé autour d’elle et l’enfant sur ses reins cambrés essayait de rattacher le morceau de tissu d’où la fillette endormie risquait de tomber… Elle répétait d’une voix angoissée : “ mais tiens-toi… tiens-toi… ” et les traits de son visage quand le métro est arrivé et qu’elle m’a regardée furtivement étaient marqués d’une souffrance résignée comme j’en vois souvent sur celui des femmes blacks qui s’en vont vers la banlieue avec deux ou trois petits autour d’elles.

Je voulais te parler de ton texte pour le prochain Cahier des Diables bleus “ Le regard des autres ” la “ Lettre de Julien à Shérazade ” et d’abord te dire que je trouve ça formidable ton idée de poursuivre la correspondance entre Julien et son odalisque Shérazade de Paris à Alger et puis sans doute ailleurs aussi par l’intermédiaire des Cahiers qui sont eux le reflet plus ou moins de ce qu’on vit dans le ghetto de la périphérie parce que c’en est un et bien autrement que ce qu’on lit partout… Quand tu es un jeune dans une cité de banlieue fils ou petit fils d’immigré la réalité c’est que de ta cité tu n’en sors pas vu que tout est fait machiné arrangé pour que tu ne bouges pas de là toi les autres tes frangins et ceux qui ne le sont pas sauf pour aller en métro à Paris ou sur la dalle de la Défense le samedi en bande tu restes là… Alors c’est forcé ta cité de banlieue ça devient le Monde… Partir aller vivre ailleurs ça fait peur c’est quasi à nouveau se couper de ses origines comme l’ont fait les vieux, ça craint ! Et d’ailleurs aller où ? Quand tu es né aux 4000 de La Courneuve, aux Bosquets de Montfermeil, aux Franmoisins de Saint-Denis tu es estampillé et ça te colle c’est ton destin voilà !

Mais une lettre, une correspondance de Julien revenu à Paris, Julien amoureux et qui attend… Une lettre à la petite fiancée nomade la Shérazade de banlieue qui a quitté la rue pour le Monde elle, c’est nous embarquer pour ailleurs c’est nous faire monter à bord de ce bateau qui part de Marseille ce bateau de la compagnie maritime que mon père a pris il y a si longtemps il était jeune et il se souvenait encore avant de mourir il me le racontait souvent de l’arrivée irréelle dans le port d’Alger après le mal de mer durant tout le voyage… mais il n’aurait pas loupé l’arrivée dans la baie et sa blancheur nacrée au creux de la vaste paume du soleil… Une lettre de Julien amoureux à Paris qu’il aime pour la petite Shérazade d’Aulnay-sous-Bois qui est devenue comme Isabelle l’aventurière du grand Sud où est-elle aujourd’hui ? Alger dans les ruelles de la Kasba où Catherine Rossi une ancienne amie qui remplit ses carnets de voyage d’aquarelles l’a peut-être rencontrée avant de partir pour Tamanrasset…

La lettre de Julien me renvoie au plaisir des images qui a été le mien en parallèle à celui des mots, l’évocation des peintures orientalistes de Delacroix… des toiles Jungles à Paris et le Rêve du Douanier Rousseau et de l’expo “ Fantômes d’Orient ” autour de Pierre Loti au Musée de la vie romantique me renvoie à une sacrée nostalgie que je voudrais oublier… Les belles images je ne les regarde pas assez et je m’en veux… avant quand je n’écrivais pas autant et que je peignais il n’y avait pas une journée où je ne me plongeais dans un des bouquins de peinture que je trimballe depuis mon adolescence je ne les ai ni égarés ni jetés ni abandonnés à chacun de mes départs ils sont là dans la pièce où j’écris… abîmés tachés de peinture et déchirés mais ils m’accompagnent sans doute jusqu’à ma mort les reproductions de certaines peintures me sont aussi proches que d’anciennes photos sur plaques collectionnées par mon grand-père des personnages de notre famille d’ouvriers et paysans dans les années 1850…

Ces images je les ai vues quand j’étais enfant beaucoup ont disparu celles qui me restent je les regarde avec émotion et reconnaissance pour ce que ces gens-là ont écrit de mon histoire avec leurs mains creusées d’arbres cicatrices… C’est grâce à eux que je sais qui je suis et aujourd’hui où nous voyageons pieds nus au milieu de la voie express de l’insensé et où une ministre peut écrire : “ …le problème c’est que nous sommes un peuple qui pense, il faut arrêter de penser et retrousser ses manches… ” j’aime songer à eux et à la tendresse que je devine dans leurs regards derrière le vernis sépia délavé… Non, comme tu le dis cet “ … hybride hongrois-français né en France, fils d’un exilé ” n’est “ pas fils de travailleur immigré… ” Mounsi l’écrivain algérien que j’ai retrouvé à Vallauris et qui lui l’est sait ce que ça coûte la servitude vu que son père qui n’a jamais pu supporter son existence d’ouvrier immigré s’est suicidé par la boisson et le jeune révolté qui lisait François Villon à la maison de redressement n’oublie pas le visage de cet homme devenu fou… par les bienfaits du travail…

Ces visages marqués de la souffrance physique et morale du travail dans ces milieux laborieux et pauvres et de la fierté simple des êtres qui n’ont jamais revendiqué la culture populaire qui est la leur - la nôtre la mienne et celle des jeunes des cités de banlieue aujourd’hui même si leurs origines différent – je les retrouve dans le film documentaire de Prévert en 1950 Aubervilliers… Est-ce qu’il existe un Musée des ouvriers où ces milliers d’êtres humains qui ont usé leur vie dans les galeries de mines dans les fonderies sur les chantiers dans les ateliers automobiles florissants dans les teintureries des fileteries du Nord où mon père avait la honte en regardant les travailleurs blacks torse nus au-dessus des cuves et sous les tuyaux métalliques d’où s’égouttaient les couleurs sur leur peau… est-ce qu’il existe un Musée où les gamins d’aujourd’hui puissent contempler la véritable usure des femmes et des hommes par le labeur durant toutes ces années ? Je ne sais pas je n’en ai pas entendu parler…

En lisant la fin de la lettre de Julien je constate que nous écoutons la même radio rien d’étonnant… Abd-el-Malik, Grand Corps Malade, ces jeunes rappeurs auxquels on peut ajouter le groupe des marseillais I am parmi les plus connus, mais il y en a tant d’autres qui inventent chaque jour la langue d’aujourd’hui - la nôtre - celle qui vient de l’oralité et de la bouche des conteurs d’Afrique mêlée aux accents des faubourgs d’Arletty lisant les poèmes de Prévert ou un extrait du Voyage au bout de la nuit de Céline… Et ce qui me semble le signe qu’on refuse de voir le plus criant de leurs textes à tous c’est qu’ils expriment chacun à leur façon l’amour et l’attachement qu’ils ont pour ce pays paysage - le leur le nôtre - et pour la liberté d’écrire d’imaginer de penser qu’ils ont appris dans les écoles – les nôtres les leurs… Un de ceux que je préfère Ridan chante dans son dernier CD “ L’ange de mon démon ” : “ Quelle chance… quelle chance d’habiter la France… ” Pour combien de temps encore ?…

Voilà… j’ai noté tout ça au fil de mes lectures dans le métro et dans l’autobus des brousses, c’est très désordre mais j’espère que tu t’y retrouveras… A très bientôt Leïla et j’emporte avec moi Les femmes au bain dans la cité corsaire de Saint Malo pour réfléchir à un texte plus long que ma “ lettre ” à la rentrée.  Je t'embrasse Dominique

  

Partager cet article
Repost0
21 juillet 2007 6 21 /07 /juillet /2007 00:45

 

Il y a presque dix ans que je connais Leïla Sebbar et que je travaille avec elle sur la plupart de ses livres à travers des entretiens publiés en revues. Leïla écrit dans nos Cahiers des Diables bleus les lettres de Shérazade et de Julien. Voici quelques passages d'une correspondance que nous échangeons depuis quelques  temps et qu'on peut retrouver également sur son site.

 

Paris, le 17 juillet 2007

 

 Leïla bonjour,

Je viens de recevoir ce matin ton texte-lettre De Julien à Shérazade Juillet 2007, et figure-toi que contrairement à ce que tu me dis dans ton courrier je suis enchantée qu’il soit écrit à la main, avec ce stylo plume que j’imagine être le tien depuis des années que je reçois des textes de toi  et ton écriture - la même aussi joliment inclinée un peu sauvage malgré ton habitude sans doute de corriger d’autres écritures plus jeunes – ton écriture que j’ai appris à déchiffrer comme celle de Jean Pélégri depuis le temps que je vous lis… C’est drôle car tes lettres sont désormais presque les seules que je reçois encore manuscrites avec celles d’un ami Patrick Larriveau qui participe à nos Cahiers des Diables bleus et qui vit dans les Pyrénées-Atlantiques. C’est un post-soixante-huitard comme moi un rebelle que je n’ai jamais croisé autrement qu’à travers nos correspondances… et qui m’envoie aussi des récits et manuscrits depuis des lustres !

Comme tu l’as remarqué aussi je suis quelqu’un qui aime suivre le parcours d’un écrivain durant des années avec tout ce que ça comporte d’écritures singulières, et pas seulement les bouquins publiés, ceux qu’on retravaille longuement, qu’on nettoie et qu’on livre au regard des autres achevés, enfin on le croit… mais avec toutes les façons qu’ont les gens qui écrivent pour tout et pour rien ou presque, de mettre des mots sur ce qui passe par ci par là, de noter sur des p’tits bouts de papier les minuscules aventures du quotidien… et puis les correspondances bien sûr comme celles aussi puissantes que ses romans - et la plupart ne sont pas encore publiées - que Céline a échangées depuis sa prison danoise de la Vestre Foengsel avec son avocat Mikkelsen et sa femme Lucette.

C’est ce que j’ai fait avec Jean et encore trop peu puisqu’on s’est rencontrés tard dans sa vie mais ça a été ces presque six années où il me confiait peu à peu ses cahiers de jeunesse à Alger, les lettres manuscrites de Sénac tu imagines pour moi l’immigrée dans la mémoire algérienne ! et tous ces gribouillis que j’ai récupérés au milieu des cartons prêts pour la poubelle car son fils n’en veut pas - il ne fera pas suivre la filiation ni par les mots ni par la mémoire orale et curieusement c’est moi qui le fais comme si j’étais la fille de Jean d’ailleurs il me parlait comme un père parfois, un père qu’on admire et qui vous reconnaît c’est ce que tu as sans doute vécu avec le tien… Il y a beaucoup de gens qui pratiquent professionnellement cet intérêt dans les Facs, moi c’est autre chose, pareil pour mes critiques littéraires, j’y vais à l’intuition et je fonctionne avec ce que j’appelle les coïncidences poétiques…En ce qui concerne l’approche que j’ai de ton écriture et ce que j’ai découvert de ton paysage d’Algérie qui est le lieu d’où tu écris, même si Paris que tu aimes, même si l’Aquitaine où est née ta mère, même si le centre de la France ce Massif Central où vivent beaucoup de vieux chabanis… c’est très différent en apparence car tu ne manques pas de personnes qui travaillent sur tes textes… Mais ça ne l’est pas tant que ça au fond vu ce qui nous rapproche curieusement et que j’ai encore reniflé comme une odeur de fruit très mûr et sucré au milieu d’un été pourri par tous les bouts dans ton livre Métro que j’ai lu d’une traite presque comme tu me l’avais dit, dans le métro !

J’ai fait mon dernier passage Gare du Nord qui est mon quartier général direction Epinay trois fois par semaine le nez dans les pages de ces Instantanés parisiens qui ont la même saveur que ce que tu écris dans tes nouvelles algériennes du Ravin de la femme sauvage, que j’ai prises ce matin pour le retour cette fois en bus ( mon autobus des brousses le 154 dans lequel je rencontre à chaque fois les gens du Maghreb immigrés et de l’Afrique parmi lesquels on vit Louis et moi dans la cité ) jusqu’à Saint-Denis Porte de Paris puis métro de la ligne 13 et la suite jusqu’à Nation…

Tu te doutes que ce que tu racontes là et la façon dont tu as saisi ces notes sur le vif me touche parce que c’est aussi le monde au cœur duquel je me sens “ chez moi ”, des mots que j’utilise rarement à cause de mon sentiment constant d’étrangeté, ce monde des gens venus de la rue et qui déambulent souvent hors de tout contexte social reconnaissable… Bien sûr il y a ceux qui comme toi et moi prennent les transports en commun ( association de mots qui m’a toujours fait rire… ) de passage et pourtant si on comptait les heures de notre vie là-dedans c’est effarant et c’est pour ça qu’on regarde les autres aussi. Comme dans un bistrot c’est un endroit où on peut les écouter, entrer dans leur vie à leur insu et capturer des petits fragments de leur histoire, il y a tant de scènes qui se jouent parce que c’est du temps entre-deux, une sorte d’interlude où tout est possible… C’est un théâtre formidable !

Mais ce qu’il y a surtout ce sont les gens qui ont fait du métro leur refuge, leur maison où ils mangent, dorment, défont leurs godasses pour aérer leurs pieds qu’ils ne lavent pas et où ils les laveraient d’ailleurs ? ou les emballent comme le jeune homme des “ Bandelettes ”, se grattent comme le clochard du “ Singe footballeur ”, font la manche avec un enfant ou pas dans les bras des fois c’est un chien qui les accompagne et même il y en a avec des petits rats que les passagers regardent avec curiosité ou terreur ! C’est ça il y a tous ceux qui habitent dans le métro et qui sont désormais ce peuple tout pareil à celui de la Cour des Miracles de Victor Hugo, ces êtres du dessous de la terre qui errent le long des couloirs sous la ville comme une autre espèce d’hommes et de femmes… Les totalement marginaux les totalement largués par le système ou bien pas tout à fait comme ton “ Ecrivain public ” qui relie encore le dedans et le dehors.

Il me faudra un peu de temps - ma lenteur génétique toujours à goûter les histoires, mon grand-père qui bossait à la SCNF sur le réseau Nord me lisait les livres de prix au dos cartonné rouge et incrusté de lettres dorées avec les pauses pour faire rêver et imaginer la suite qu’utilisent les conteurs - avant de noter ce que je ressens en lisant pour la première fois la nouvelle “ La négresse à l’enfant ” que tu as certainement déjà publiée mais j’aime n’avoir pas tout lu et découvrir tes textes en désordre, encore ce goût pour la fragmentation et l’improvisé, ce matin sur la ligne 2 où je monte Place Clichy alors que j’ai fini la première lecture et que je relis parce que c’est trop fort ! Etrange ces atmosphères qui aussitôt te sautent à la gorge et te font remonter loin quelque part où je suis sûre de n’avoir jamais mis les pieds…

L’Afrique les femmes blacks et leurs boubous rieurs colorés terribles ces éléphants verts de la femme qui crèche en face de chez Louis le même palier ces tissus qu’elles jettent par-dessus comme ça c’est beau négligé jaune safran orange mandarine violet rose des bougainvillées, d’enfance je ne les ai pas frôlées ni touchées dans les hammam où je n’ai pas été d’ailleurs mais toujours dans les transiliens comme on dit quand je les vois avec l’enfant qui sommeille sur leur dos l’air ravi de la chaleur moite et bonne et du balancement ça doit être pareil sur le dos des gros éléphants, je ne peux pas m’empêcher d’avoir une impression de bonheur sensuel qui me revient…

La ligne 2 Barbès-Belleville-Ménilmontant-Couronne mon Algérie cent mille fois piétinée sur les trottoirs même si tout le Maghreb s’y emmêle avec les Juifs en plus pour moi ce coin c’est Alger-Paris sur Seine comme je l’appelle, depuis Nation c’est facile j’y vais le soir l’été d’ordinaire les années où on n’est pas contraints aux bottes caoutchouc et ciré presque ma Bretagne déjà il fait une chaleur épaisse et parfumée par le thé vert à la menthe les paniers bourrés d’oranges de citrons et de dattes de Biskra l’oasis où a vécu mon père durant deux années en 1942… La ligne 2 c’est mon Algérie aujourd’hui comme celle de mon enfance c’était les cabanes d’Aubervilliers dont les Français à qui je raconte les vestiges du bidonville la boue les petits chemins où coulent des ruisseaux quand il pleut les baraques en tôle et en planches des palissades en 1960 j’avais quatre ans mais je sais que je n’invente pas, eux ils me disent que ça n’est pas vrai…

A suivre...

Partager cet article
Repost0
8 juin 2007 5 08 /06 /juin /2007 15:54

Un Salon des Mille et Une Nuits

Au Moulin à huile de Vallauris les 1 2 et 3 juin 2007

       Pas question de vous raconter nos trois jours de Salon à Vallauris par le détail ni de vous dire qu’on est d’abord allés là-bas tous ensemble pour se remettre de nos émotions post élections vu que déjà vous êtes au parfum… Parfum de citrons mûrs à mordre dedans comme des oranges bleues dans le jardin terrasse presque en plein ciel de Marie… on les a ramassés et cueillis avec la frénésie du plaisir des gamins qui regardent des lucioles vertes s’allumer dans l’herbe la première fois !

Nous c’est-à-dire Rénia et Nacera les poétesses d’Algérie Marseille… Jacques le photographe de Paris Banlieue le 9-3… Denis le musicien intermittent du grand spectacle marseillais d’adoption… et moi qui fait tout ce que vous savez un peu… Cette fois-ci pas question de noms de famille ni de présentations en grandes ( encore ! ) pompes des gribouilleurs et magineurs que nous sommes même si on le fera par la suite c’est sûr mais là j’ai seulement envie de vous raconter des histoires…

Parce que c’est pour raconter les histoires de nos mille et une nuits aujourd’hui que Marie Virolle qui organise le Salon des Livres de la Méditerranée au Moulin de Vallau depuis quatre ans déjà nous a battu le tam-tam afin qu’on rapplique vite fait de nos coins nos recoins d’banlieue de Marseille Paris Alger et d’ailleurs… Et cette année c’était les aquarelles de Louis qui étaient à l’honneur dans la pièce bleue lasure une trentaine de nos Cahiers des Diables bleus que vous connaissez déjà un peu… pour une jolie expo Les djenoun de la périféerie… L’équipée dans la p’tite ville pour trouver les clous et tout le bazar afin d’accrocher je vous raconte pas…

 

Marie qui est une amie comme on n’en fait pas et qui avec son assoc du Moulin des deux rives nous embarque parmi les terrasses blanches d’Alger et jaune citron du soleil tellement mûr ici dans le Sud qu’on n’peut que chercher la fraîcheur des murs épais du vieux moulin à huile de Vallauris pour raconter comme la fait si féerique Jacqueline Scalabrini qui est une personne d’environ 70 piges complètement surréaliste avec ses Contes d’Orient et contes soufis intitulés Sur la route des contes

Ouais… si on avait besoin de reprendre espoir et pied sur le rivage de la poésie tendresse et rires avec p’tits clins d’oeils à la sagesses soufi brodée de fraternelle intuition et puis avec la guitare de Denis qui a accompagné pêle-mêle les poèmes kabyles-andalous-révoltes et anté islam de Nacera et de Rénia Lettres d’amour à Baghdad on a été diaboliquement délicieusement servis… L’Irak saccagé aux cerises de sang aujourd’hui c’est la radieuse Mésopotamie hier avec les cités de Sumer et Nidaba la déesse d’écriture et des moisson… vous savez ?

Mais surtout ne pas oublier l’accueil délicat et fou de Marie dans sa maison perchée sur les nuages du ciel des nuits éclatées d’étoiles de Vallauris tout en haut qu’elle s’acharne à louer malgré les revers de sous de plus en plus pour garder l’essentiel vivant au milieu de la hargne des gens du coin pas tous favorables à la présence dans leurs rangs de natifs qui apprécient moyennement ceux qui « viennent d’ailleurs » de tant d’étrangers…

L’accueil de Marie et de la bande des animaux : les trois chattes qui ont dormi chacune leur tour et aussi ensemble sur le divan avec moi quand y avait plus de place dans la grande maison vu qu’on y était sept eh oui !… donc y avait d’un côté la fragile Carbonette toute noire qui à 25 balais et lerche… la blanche et câline cocaïne qui ne lâchait pas les mains à caresses et la grise et sensuelle un peu farouche dont j’ai oublié le nom… la honte ! Tout ça ronronnant et miaulant à la lune pour sa pâtée à notre retour nocturne au milieu des bougainvillées et des lauriers roses palmiers bananiers et tout et tout… c’est l’oasis du vrai Sud chez Marie et chez les animaux !

Que j’n’oublie pas Cat la chienne noire très noire et d’après Jackou le photographe « un peu dilatée » ouaf ! elle n’est pas d’accord du tout mais faut dire que pour la baston avec les autres clebs du rez-de-chaussée de la maison et d’ailleurs et les arrachages d’oreilles et de poils elle est pas un brin dilatée notre grosse Cat ! Bon… vous avez en gros l’ambiance plus nos trois journées trop bonnes et trop oufs au Moulin à s’écouter s’entendre se voir s’entraimer se fou rire et s’ahurire les uns-les autres Fadéla écrivaine de 70 piges décidément ! avec des jambes de reine et des mots passion de femme…Mounsi le rebelle enfant aux yeux qui tuent de force brûlante à dire qu’on ne lâchera rien de rien… et nous autres toujours soutenus par la gentillesses pas croyable et sacrément efficace pour nos estomacs hurleurs de faim de Lila et de Jeanne…

Jeanne et ses sandwichs aux pains turc grec délicieux  mozarella tomates huile d’olive olives et jambon cru miam ! Et Lila qui arrive après avoir dormi deux heures le dimanche matin avec plein de croissants pains chocolats et pain frais pour le p’tit dej de la maisonnée… on est sept j’vous rappelle c’est pas rien ! L’ambiance d’enfer que c’était alors !… et dire qu’il a fallu s’quitter après on y croit pas…

Rénia qui aime pas trop les greffiers et qui ronchonnait après tout ces pils qui s’frottent et vas y plein le nez les oreilles partout s’est levée avant nous et a nourri toute la bande miauleuse pendant que nous autres Marie et moi sur les divans du Salon on essayait de roupiller encore un peu avant que Cat notre grosse gardienne du sérail se précipite sur la terrasse à cause de la voiture de Lila et du p’tit déjeuner mille et une nuits en aboyant comme dix mille clebs du désert jaune de Rimbe…

C’était beau c’était bon c’était frénétiquement doux et chaleureux et vrai et humain comme on y croit à peine par ces temps de haine et de bêtise rance voilà ! On a fait la fête de l’amitié Marseille Paris Alger Vallauris et on s’est raconté nos histoires de quartier toute la nuit et c’est ça nos Mille et Une Nuits à nous… nos p’tites histoires de vie à nous autres les gens des deux rives… de toutes les rives de la périféerie… de toutes les rives du temps… 

 

Un grand merci à Marie !

Partager cet article
Repost0
15 septembre 2006 5 15 /09 /septembre /2006 01:36

Caligula Albert Camus, 1958
(Publié dans Algérie Littérature/Action N°29-30 Mars-avril 1999)

 
« Scipion, dans un cri.
Oh ! je t’en prie, Cherrea, personne, personne, plus personne pour moi n’aura jamais raison !
Un temps, ils se regardent. Cherrea avec émotion s’avançant vers Scipion.
Sais-tu que je le hais plus encore pour ce qu’il a fait de toi ?
Scipion
Oui, il m’a appris à tout exiger.
Cherrea
Non, Scipion, il t’a désespéré. Et désespérer une jeune âme est un crime qui passe tous ceux qu’il a commis jusqu’ici. Je te jure que cela suffirait pour que je le tue avec emportement.
Acte IV, scène 1


      Caligula. L’image la plus lucide, la plus brûlante et la plus exhibitionniste de l’Algérie aujourd’hui. Telle que nous – nous, ses ex-maîtres et prestidigitateurs – l’avons voulue. Telle que nous l’avons faite et défaite. L’algérie telle que je l’ai rencontrée sous le visage d’un des siens – Azraël ? – un autre de ses démons adorables et déments ayant squatté un ascenseur, comme cela arrive parfois – il y a quelques années.
      Une image telle que je ne suis pas près de l’oublier et qui vaut bien celle d’une petite fille regardant « la place où avant elle avait ses jambes ». C’est elle – presque six ans – qui a fait perdre à un grand écrivain tous ses points et ses virgules. Un grand écrivain comme Camus, mais plus désorienté. A ce moment-là, je vous jure qu’il se foutait pas mal de ‘maîtriser la langue classique ».
      Caligula, Azraël, c’est nous… Nous tous… idéalistes, fous d’un rêve d’homme frappé d’innocence et l’avé d’une pureté d’étoiles. Nous… guerriers d’un désir illusoire d’éternité fragile. Nous… avides d’immortalité, et ne pouvant combler ce mythe sur place, dans les rues glaciales et nauséabondes de la Cité. Nous… masqués d’indifférence pour ne pas dévoiler combien le renard qui hurle en nous, et se plaint, s’est nourri du sang vif et des dattes trop sucrées, d’une terre dont le soleil nous a bourré le ventre de coups de poings. L’Algérie… enfin un territoire à la mesure de notre démesure.
      Nous… enfants dépossédés du fruit où planter nos dents de loups – la grenade que le peintre Mohamed Issiakhem s’est fait péter entre les pattes a multiplié les pépins sanglants de notre impuissance, dans le miroir où Caligula a projeté son image. Criblée de petits trous de m émoire, au travers desquels je vois, je reconstitue la bouille effarée des mômes algériens. Pourquoi ?

      Je suis encore vivant !… hurlait Caligula après que ses ministres minables et mités l’aient perforé comme un vulgaire ticket de métro, poinçonné et repoinçonné à la station Charonne en l’an 1961. Et comment ! Y’a que l’embarras du choix… Nous avons réussi. Nous sommes les maîtres du monde ! Nous avons incrusté sous la peau des mômes de nos ex-esclaves, une immense quantité de sel rouge et corrompu, dont les experts en graphologie de l’an 3000 déchiffreront les signes cabalistiques et toujours bien… vivants parmi les habitants des fourmilières. D.E.S.E.S.P.O.I.R.
      Est-ce que Camus savait ce qu’il écrivait là ? L’avait-il rencontré lui, l’Ange du mal, possédé par sa grandeur déchue à la table d’un hôtel européen pourri de Biskra, échangeant quelques douros contre un stock inépuisable de petites filles aux nattes noires et crépues ? Caligula. Plus beau que l’ange Heurtebise essayant en vain de cicatriser la peau du miroir d’enfances. Caligula. Dansant et se dénudant peu à peu sous le rayonnement fauve de la goule nocturne, dont l’épiderme sans poils luit comme le goudron chaud face aux centaines, aux milliers de mômes algériens aux mains bourrées de grenades prêtes à exploser.
      Rituel… Boum… boum… cent mille fois boum… dans leur tête chauffée à blanc. Et comment ! La langoureuse petite place de chair orangée entre l’attache du cou et de l’épaule, surtout. Et le basculement de ses hanches dans un rythme de plus en plus… de plus en plus… Frénésie de ses gestes sauvages et libératoires, qui va les chercher eux, fils de chiens, fils d’hommes-troncs, fils d’un homme-couleur qui a basculé un jour du haut de son trône de sable et de grenades roses, frappé par la pierre d’Anu, la pierre du Dieu-Ciel au royaume de Sumer. Et qui a été foudroyé… boum… définitivement.
      Et qui a roulé sans fin, sans fin… jusqu’à l’usine Renault-Billancourt où le poinçonneur a poinçonné directement ses mains, leurs mains, ça va plus vite. Alors Caligula, ici, là-bas, n’importe où, multiplié par dix, par cent, à la puissance X, autant que vous pouvez en faire tenir dans votre miroir maquillé de petits pépins de rouge à lèvres. Par où je peux encore voir les mômes algériens faire cramer la mémoire des baleines ensablées.

      Caligula. L’androgyne falsifié à la voix douce qui transforme la parole de désir refusée en cri de haine accueilli avec ivresse. Le colonisateur délicieux, entré entre les cuisses des petites filles aux nattes noires pour leur foutre la honte et fournir aux mômes adolescents la panoplie des anges émasculés. Maître du mal et de la déchirure. Grand seigneur de la séparation. Caligula. Ton corps nu d’homme-enfant, la beauté du mal et la pureté de la mort luisante sur ton épiderme sans poils, frotté à la pierre de tes palais noirs, tes châteaux de foudre, par la grasse masseuse du hammam… je l’ai lêché jusqu’à ne plus avoir dans ma bouche, dans ma gorge, dans mon ventre ouvert qu’une abominable envie de dégueuler. Alors j’ai su d’où tu venais, et combien tu étais sans le savoir le serviteur de la charogne.
      Dans un ascenseur il y a quelques mois j’ai croisé je crois l’Ange de la mort qui en s’éloignant ne cessait pas d’un geste d’automate de regarder derrière lui. Il me semblait pourtant l’avoir semé en travaillant sagement dans l’usine à dégoupiller les grenades. Pour me rassurer je l’ai suivi un peu au long des ruelles où il s’enfonçait. Et quand il a eu rejoint le mur du Père Lachaise, le mur… vous savez bien… j’ai vu, vu distinctement ce qu’il surveillait dans son sillage. A sa suite tout un troupeau de petits mômes déjà plus qu’à moitié transformés en rats.
      Alors tout doucement, pour ne pas le faire fuir, je l’ai appelé par son nom. Car son nom je le connaissais par cœur vous pensez… Un instant, rien qu’un pépin de grenade qui s’est séparé des autres, il a détourné les yeux car la voix des femmes détient le chant de tous les désirs. Et le miroir de lune a délivré sous son rire les petites filles et leur corps de rat.
      Elles se sont mises à faire une ronde endiablée en chantant face aux deux trous rouges qui se taillaient dans la nuit en sautillant : « Caligula, Caligula, tu n’auras pas la lune… non jamais tu ne l’auras… tradéri déra… »
      Mais le plus inquiétant voyez-vous, c’est que je ne crois pas, non… je ne crois pas que Camus savait qu’il avait écrit tout ça…

Partager cet article
Repost0