Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
  • Contact

Saïd et Diana

Said-et-Diana-2.jpg

Recherche

Texte Libre

Texte Libre

Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

24 octobre 2008 5 24 /10 /octobre /2008 23:00

        " Pieds nus "

      Afin de réaliser un nouveau livre à partir de mes " Chroniques algériennes " qui prendra la suite de celui paru il y a déjà un certain temps intitulé Terre inter-dite je farfouille depuis un moment dans mes pages d'écriture et je suis tombée sur ce premier entretien que j'avais réalisé en 1997 avec Hélène Cixous, quand je l'avais contactée de la part de Leïla Sebbar pour parler de son texte " Pieds nus " qui venait de paraître dans le livre collectif que Leïla avait conçu avec 16 écrivains d'Algérie et qui a pour titre Une enfance algérienne.
      C'est drôle car vous pensez peut-être que pour une première rencontre avec Hélène Cixous j'avais une sacrée trouille moi qui ne connaissais rien alors au milieu littéraire ni universitaire eh bien pas du tout... et j'étais allée à ce rendez-vous avec l'écrivaine qu'elle est en toute innocence... Je me souviens lui avoir téléphoné et être tombée sur son répondeur, mon petit message laconique et ma demande alors que je n'écrivais dans Algérie Littérature Action que depuis très peu de temps l'avaient peut-être intriguée... je ne sais pas... Elle m'a rappelée et m'a fixé un rendez-vous un matin vers 8 heures je crois alors que je suis une redoutable couche tard et lève tard ! Très naturellement j'ai hésité à accepter et Hélène m'a répondu d'un ton sans réplique quelque chose comme : " Ah ! non... ne me dites pas ça de cette façon, j'ai décalé tout mon emploi du temps pour vous donner ce rendez-vous ! "
      Sa gentillesse et sa disponibilité m'ont paru dès que je l'ai rencontrée et que j'ai réalisé quel être particulièrement entouré et occupé par son écriture ses cours à Saint-Denis le Théâtre du Soleil et tant d'autres choses... extraordianires... Ouais c'est drôle... C'est à cette époque où ma naïveté et mon insouciance me faisaient aborder les écrivaines et écrivains d'Algérie sans hésiter avec naturel et effronterie que j'ai reçu de leur part un accueil enthousiaste et simple... Ensuite dix ans plus tard c'est devenu drôlement compliqué...
      Donc je me suis retrouvée un matin dans l'appartement d'Hélène à moitié endormie après trois grands cafés tant je redoutais de ne pas tenir le coup et de somnoler... ç'aurait été gonflé quand même ! Son espace de vie est géant évidemment avec une lumière pas croyable sous le ciel au milieu des arbres c'est très beau... C'est en arrivant dans ce lieu que j'ai seulement commencé à avoir la trouille mais je me souviens qu'elle a parlé tout le temps avec son aisance habituelle et moi je n'avais qu'à m'occuper du dictaphone à la regarder car sa beauté et sa distinction ( celles des êtres qui ont de la grandeur d'âme et de corps c'est rare... ) m'épatait et à poser les quelques questions que j'avais dans la tête...
      Je garde un souvenir très vif de cette entrevue qui n'a pas duré plus d'une heure et bien sûr j'ai la cassette dans ma collec perso et je crois bien qu'un de ces jours peut-être pour mon bouquin justement je vais la décrypter à nouveau vu que j'ai dû en laisser tomber une partie j'imagine... à l'époque j'étais un peu une débutante j'ai des excuses... Ce qui me restait en mémoire qui n'apparaît pas dans ce qui suit c'est le passage extra sur le porteur d'eau d'Oran et sur la soif... Des lignes superbes dans son texte que je vais rechercher pour vous les refiler une autre fois car j'avais bien sûr le bouquin d'Une enfance algérienne dédicadé par Leïla dans ma bibliothèque et figurez-vous que je l'ai prêté à Jean-Pierre Lledo quand on a tourné le film documentaire avec Jean Pélégri et il ne m'la jamais rendu !
          Me reste plus qu'à aller le racheter c'est pas mal ! Mais j'ai extrait ces quelques lignes de mon entretien car je les trouve toujours aussi passionnantes qu'à l'époque où je les ai retranscrites. J'ai enlevé mes questions pour la plupart sans intérêt... Si je retrouve d'autres choses je vous ferai un autre article pour vous les faire partager...

Pieds nus
Hélène Cixous
Une enfance algérienne
Ed. Gallimard, 1997

“ Oran fut toujours La Ville, la Cité Absolue et sacrée, Ortus, le site aux Signes où Alea le Dieu des hasards de mon histoire m'avait déposée pour naître. ”
Une enfance algérienne “ Pieds nus ”

Hélène Cixous :
On connaît explicitement et objectivement encore très peu l'Algérie. A mon avis, on ne peut l'atteindre dans son mystère, puisque c'est l'espace d'une extraordinaire violence ‑ qu'en France on n'imagine jamais que par des moments ‑ des épiphanies. Cet événement que je raconte a choisi sa propre forme pour se dire, comme toujours dans l'écriture. C'est le sujet qui dicte la forme. La forme est intérieure. Dans ce cas, il s'agit d'un souvenir et non d'une fiction.
J'aurais aussi pu appeler ce texte “ une épiphanie algérienne ”. Toute personne ayant vécu en Algérie peut parler de ses parfums. Dire les parfums, c'est dire le visage de l'Algérie. Mais je pense que ce qui me revient à moi, en tant que personne liée d'une manière extrêmement complexe et divisée à l'Algérie, c'est de faire sentir quelque chose qui n'est pas connu. Faire sentir que l'Algérie est à découvrir comme un être sauvage. Il y a de nombreuses histoires comme celle-ci, que j'ai vécues et que j'aurais pu raconter. Mais je ne l'ai pas fait parce qu'elles faisaient justement partie de moi. Et je n'aurais pas non plus écrit ce texte peu de temps auparavant. J'ai retenu un geste d'écriture au-dessus du corps et de l'âme algérienne, à un moment où je considérais que les Algériens n'avaient pas encore conquis leur totale indépendance d'expression.
J'aurais éprouvé le sentiment d'exploiter quelque chose avec les moyens dont je disposais. Je me serais conduite en colonisatrice après coup, si je m'étais autorisée à utiliser l'énorme trésor algérien. Je me suis mise à écrire ça et là, depuis que les démocrates algériens ont commencé à venir en France pour s'abriter, et depuis qu'eux‑mêmes m'ont parlé et me l'ont demandé.

“ En grimpant j'ôtais mes sandales et je mettais mes pieds dans les mains des morts, et je caressais l'empreinte de leurs pieds avec les paumes de mes pieds. ”
“ Pieds nus ”

H. Cixous
: J'ai passé toute mon enfance pieds nus. Nous nous racontons souvent, avec mon frère, comment nous faisions des dizaines de kilomètres pieds nus, alors que maintenant cela n'est même plus pensable. Il faut le rappeler justement. Ici, ce n'est pas un signe sociologique ou un signe de pauvreté ‑ ce que c'était aussi parfois ‑ , c'est un rapport, un contact. On touche avec les pieds plus qu'avec les mains. Et on touche ce qu'en général on évite de toucher. Sauf que, lorsqu'on est enfant, on n'a pas peur de marcher dans la poussière et dans la saleté. Donc, on est dans ce rapport de continuité entre la terre qui est tout, et qui, en ce qui concerne la montagne de Santa-Cruz, est aussi pleine de morts puisque c'est un cimetière arabe.
Ma propre légende intérieure a voulu que mon inscription dans cette société se fasse en passant par les morts. Cette inséparation entre les vivants et les morts, que nous éprouvions quand nous montions, était très belle. Et de l'autre côté, il y avait une violence féroce depuis toujours. Ce n'est pas la guerre d'Algérie qui a entraîné cela, je pense que c'est la colonisation. L'Algérie était un pays de sang. On vivait dans les massacres, dans le meurtre et dans la haine, et on faisait semblant de ne pas savoir. C'était une violence intercommunautaire d'un côté et intracommunautaire de l'autre. On se détestait les uns les autres, on se divisait.
A l'intérieur de la communauté juive, il y avait des antagonismes parce que l'on prenait position d'une manière différente sur la colonisation, le racisme et tous ces sujets là. C'était aussi une question de quartier. Moi, j'ai vécu dans des quartiers pauvres, mais, dans des quartiers plus favorisés, on pouvait ne rien voir, puisque l'Algérie était un pays de ghettos. L'intimité familiale était paradisiaque, nous étions des gens très heureux, mais on ne peut pas arrêter sa conscience à cela. Des-cendre dans la rue était une épreuve pour moi. Il fallait voir ce qu'il y avait au coin de la rue, les aveugles, les lépreux, les culs de jatte. Cela grouillait comme en Inde.

 Ane et charrette à Gaza en 1993 Photo Marc Fourny         



       L'étrangeté de la ville, avec son ouverture-coupure sur le port d'où surgissent des êtres délicieux à la limite du réel est un terrain où l'imaginaire trouve sa place à côté du sentiment de culpabilité d'où l'enfant croît sortir lorsque le père est rendu à la pauvreté. Mais la séparation qui a généré le malentendu, prépare déjà l'issue d'un drame où les pieds seront brutalement coupés de la terre
d'enfance.

H. Cixous
: Oran est un port et j'habitais dans un quartier extraordinairement situé, dans une petite rue malodorante qui descendait jusqu'au quartier de la Marine. De ravissants marins qu'on ne voit plus, et qui étaient certainement ceux que Jean Genet a dû adorer, en sortaient. Ils étaient français et offraient un fabuleux contraste. Ils se rendaient chez ma tante qui gérait deux boutiques accolées qui s'appelaient “ Les deux mondes ”, une sorte de bazar, bureau de tabac, où l'on fournissait tout et en particulier les insignes. Donc les signes, les signaux. Ces petits marins achetaient des galons et des cartes postales pour envoyer à leurs fiancées. Je pensais que, bien sûr, ces Deux mondes, avaient actuellement disparus. Or, cette année, j'ai appris qu'ils sont toujours là, et que c'était devenu une sorte de café en face du Théâtre municipal où Abdelkader Alloula et ses compagnons se réunissaient jusqu'à maintenant.
Les Juifs ont été jetés hors de la citoyenneté française par les décrets de Vichy. Mon père qui était médecin, et qui, en 1939, était médecin lieutenant sur le front, en 40, n'était plus français. Nous ne sommes pas allés à l'école, mais il ne me semble pas que nous l'ayons mal vécu, du point de vue de la dignité et de la joie de vivre. C'était un événement historique gravissime, mais nous n'étions pas menacés de mort, puisqu'il n'y avait pas de bateaux pour nous déporter. Moi, j'éprouvais depuis toujours une douleur terrible de la situation infâme faite aux Arabes, comme on disait. Nous étions déjà assez pauvres, et le fait de descendre encore plus me convenait tout à fait et ne me faisait pas souffrir. Mon père a vécu des événements violents comme on en vivait tout le temps dans le milieu médical où il y avait un racisme extraordinaire.
Le petit garçon cireur lui, est un Arabe. On ne voit pas qui d'autre aurait pu faire ce métier-là. En le rencontrant, j'ai senti venir le danger mais je ne pouvais rien dire, le silence s'imposait à moi. En Algérie, les yeux parlaient. J'ai vu de tout dans les yeux. J'ai vu de la tendresse, j'ai vu le meurtre très souvent, j'ai vu le viol. Là, j'ai tout de suite vu la haine, mais nous étions tout petits. Comment croire à cela ? Je ne pouvais pas me défendre. D'ailleurs je ne me suis jamais défendue. Se défendre, c'est avoir la bonne conscience pour soi. Or il y avait un sentiment d'inégalité. Si j'avais répondu, si je m'étais jetée sur lui, si j'avais fait un scandale, j'aurais renversé les choses de mon côté, et je n'aurais pas accepté cela. Ce petit garçon me cherchait, par la haine, il avait créé une forme de relation, de l'amour à l'envers.

“ Nous savions tout. J'aurais pu m'enfuir. Je ne pouvais pas m'enfuir. Si j'avais été innocente j'aurais crié, je me serais enfuie. J'aurais pu dénoncer sa haine, démasquer l'homme qui faisait semblant d'être un petit cireur de six ans. Je ne pouvais pas l'accuser sans m'accuser. D'où venait que je reconnaissais si bien le scintillement ? Je n'étais pas innocente. Je savais. Mais comment pouvais-je accuser un enfant de six ans d'avoir envie d'assassiner ? Je m'accusais d'abriter une pareille pensée. C'était le printemps rue Philippe ; et moi je frappais l'enfant à genoux sur le pavé.
“ Pieds nus ”




Bidonville de la Femme sauvage à Alger

Partager cet article
Repost0
23 octobre 2008 4 23 /10 /octobre /2008 23:45

Dites-leur de me laisser passer suite... Abdelkader Djemaï

          Et ce qui voudrait refaire surface dans la quête du sens que mène l'écrivain est contenu dans ce petit mot “ aussi ”. L'homme vient de comprendre que l'affiche représentant une publicité pour “ un copieux et délicieux sandwich ”, associé à des “ dents resplendissantes ” et des “ gencives éclatantes de santé ”, non seulement lui exhibe sous le nez tout ce dont lui, vieux, pauvre, édenté, ne dispose pas, ne disposera jamais, mais qu'elle peut “ aussi ” lui prendre sa richesse unique, sa gloire, celle dont il n'est redevable à personne : son soleil. Ce monde qui l'a affamé a donc “ aussi ” en son pouvoir le moyen de l'humilier en le privant de la jouissance de la lumière, de la chaleur, sa vie.

Il se peut qu'il ait choisi sa condition d'homme pauvre, qui n'est pas forcément celle de pauvre homme, mais il ne choisirait certainement pas de vivre comme un rat dans l'ombre moisie des caves. Son soleil, ce qu'il lui reste, lui est éclipsé par la cupidité et la bêtise des hommes qui projettent sur lui l'ombre de leur avoir. En possédant ils le dépossèdent. Soleil volé comme celui du peintre dont je parlais, fleur-soleil congelée dans des billets de banque. Doublement volé puisque l'affiche promettant abondance dissimule l'homme dépossédé aux yeux des autres. Personne ne le verra plus. Et sans doute s'il nous revenait comme un frauduleux météore, le peintre associerait-il ce Diogène des banlieues se souciant fort peu de citron, de prune ou de pastèque, puisqu'ayant la bouche infectée au point qu'il lui soit impossible de l'ouvrir ‑ cloué le bec ! ‑ , à sa “ nature morte ”.

La force de cette nature justement et ce qui exaspère tellement l'homme c'est que, comme l'oeuvre d'art, et contrairement à lui, elle ne meurt jamais. Et si ce peintre a réussi à mettre dans ces toiles la matière solaire en fusion c'est parce que, selon la belle expression qu'a inventée Hélène Cixous, il n'a pas fait seulement “ oeuvre d'art ” mais “ oeuvre d'être ”. C'est peut-être cette simplicité du ressenti sous toutes ses formes qui s'impose dans ce texte face à l'élaboration d'une pensée abstraite et rigide s'élevant telle une muraille pour nous séparer du bruissement du monde. Et la boucle sera bouclée lorsque, après avoir suivi des yeux un camion “ chargé de moutons ” franchissant sans embûches la frontière, le narrateur se muera en un innocent chauffeur de taxi, ayant touché du bout des doigts le contenu d'un sac transporté précautionneusement par son client, et prenant pour la tête d'un riche commerçant assassiné “ une splendide tête de mouton qui le regardait avec des yeux sympathiques, sa belle langue rose coincée entre ses mâchoires comme pour se moquer de sa terrible frayeur ”.

 

J'ai eu envie de clore cette lecture fruitée par une nouvelle où vie et mort se rejoignent dans l'accomplissement naturel d'un cycle sans terreur et dans un équilibre biologique apaisant.

 

“ Aux abords de la ville où il était né un soir de novembre, un gros figuier jetait ses ombres vertes sur le toit de leur maison en pierres sèches. Enfant, il escaladait son vieux tronc plein de cicatrices et de bosses pour pénétrer dans sa fraîche intimité faite de feuilles généreuses, de toiles d'araignées et de trouées de lumière.”

“ Les Fourmis ”

 

L'enfant qui se love dans le figuier, force “ complice et maternelle ” se trouve juste à mi‑chemin entre le ciel et la terre où “ les fourmis mangeaient les fruits morts ”. L'arbre tout comme la maison qu'il entend “ bruire, respirer, bouger ”, est un “ corps vivant ”, qui l'entoure, qui nourrit le sien de cette mémoire d'odeurs et de bruits familiers qui le constitue désormais aussi intimement que sa chair. Car toutes les créatures végétales et animales qui habitent le livre y sont comme à l'intérieur d'un jardin où l'homme qui les croise reprend la mesure de ce qu'il est : l'être le plus malhabile et le plus maladroit à vivre dans le jardin. Parce que l'existence du jardin est simple et dénuée de tout enjeu, elle est difficile à appréhender lorsqu'on n'a pas mûri dans le ventre d'un arbre. Lorsqu'on ne porte pas un arbre en soi comme un veilleur tutélaire.

C'est le grand-père qui va mourir doucement au creux des “ eaux profondes et fraîches du sommeil où il partait à la pêche de quelque fabuleux trésor ” au pied du figuier. Là où il faisait la sieste chaque jour, il devient fruit mort pour les fourmis, son âme s'insinuant sous l'écorce et montant jusqu'à l'extrémité des branches frôler le ciel. Et l'enfant qui du haut de son perchoir veillait sur son sommeil n'est autre que le fruit de l'arbre et de l'homme confondus, passant légèrement de la mort à la vie comme au crépuscule du soir succède celui de l'aurore.

 

“ Il portera toujours le figuier en lui. Ses racines, qui couraient et palpitaient comme des veines chaudes sous la maison, semblaient prendre naissance au plus profond de son corps, au plus intime de son être.”

“ Les Fourmis ”

 

Partager cet article
Repost0
21 octobre 2008 2 21 /10 /octobre /2008 23:29

        Un Salon des Revues pas ordinaire
             Mardi, 21 octobre 2008

           Le Salon des Revues c’est toujours un endroit où on piaffe du sabot même si on est désormais trois grâces pour s’y faire la fête en attendant le client hypothéqué d’avance… on l’sait bien d’expérience de nos dix piges là-dedans qu’y viendra pas le client sauf en visiteur décalé absent lointain… en gros de nous et de nos bouquin il a pas grand-chose à faire il est venu se balader occuper son samedi aprem suite des commissions ou son dimanche suite du repas et il digère… J’exagère moi qui attends rien des gens sauf qu’ils aient d’la curiosité et d’l’envie de se passionner à fleur de babines ?… Non à peine si je pousse un peu et c’est pas Rania nouvelle dans l’affaire mais qui commence à en avoir un p’tit échantillon ni Marie la copine de tant d’années qui me contrediront…
          Mais ce Salon-là il était encore plus ringard et en rupture… oh ! le drôle de mot ! que d’ordinaire cet automne alors que déjà dans l’genre vieux croûton d’salon rassis avec un tas de personnages empaillés qu’on voit et qu’on revoit chaque année et qui ne nous ont jamais vues pourtant on est belles… il se distingue le bougre… D’un bout l’autre de la grande halle du marche des Blancs Manteaux si formidable de lumière pis qu’y faisait beau en plus et de bouquins vu qu’on y est plus de 700 revues là-dedans c’est pas rien… d’un bout l’autre ça ne causait que d’une chose… sûr que vous n’devinerez pas… 
          Marie ( Marie Virolle responsable de la revue Algérie Littérature Action ) Rania ( Rania Aouadène poète et écrivaine d’Algérie… vous avez le lien… ) et moi… vous connaissez… on avait tout prévu ou presque sauf que ce satané Salon qui s’fait chaque année remarquer parce qu’il ne se passe jamais sans bizarreries… grèves des transports… ouragans ou tempêtes diverses c’est la saison… révolte des banlieues ou d’ailleurs… enfin vraiment vous pouvez ajouter c’qui vous plaît et c’qui vous passe par la tête tout est bon… donc on avait tout prévu mais pas la fin du monde des riches… Ouais quoi ! quelle fin du monde n’import’ n’awoiq ! “ Dis pas du mal des riches !… ” comme le chante notre poteau Lavilliers ! “ On n’sait jamais… ”
          Nous autres l’ami Louis et moi votre scribouillarde des heures perdues on avait fabriqué nos nouveaux Petits Cahiers la jolie collection de petits formats de bouquins qu’on va bricoler comme des p’tits objets a garder sur soi des histoires et des lettres ou des images de gens qu’on aime… et qui seront vu qu' on y travaille depuis ce Salon des originaux différents le plus qu’on pourra… Enfin des choses artisanales hors normes et pas chères du tout ! Normal y a plus personne qu'a de ronds faut s’adapter s’pas ?…

          Et puis nous autres on est des aventureux de la création et jamais qu’on reste longtemps sans maginer des choses nouvelles et étranges qui nous font rêver pour n’pas s’enfermer dans notre quotidien qui est pas forcément magique comme celui de beaucoup de gens qui vivent dans une grande tess’ de banlieue… Et faute qu’on ait pu mettre nos rêves en route alors on essaie de mettre plein de folie dans nos Cahiers  comme vous l’savez…
          Une chance que nos voisins de la Revue Brèves qui sont les rois de la nouvelle ils partagent toujours leurs repas pique-nique du dimanche midi avec nous car eux ils sont d’un p’tit bled du côté de Toulouse alors le pinard le saucisson les gâteaux salés les gourmandises aussi ça va… Avec eux on n’chôme pas dans notre estomac et dans la relation plutôt chouette avec des gens qu’on n’connaît pas du tout et qui s’intéressent eux… enfin ça nous a changé des visiteurs de ce Salon qui eux tous ou presque s’occupaient d’une seule chose on dirait… ouais le fric faut bien l’dire… drôle de pays ici où on a jamais été aussi nombreux à inventer des créations dans tous les sens et où y’a personne qui s’en soucie… 
          Ouais… drôle de pays d’autistes où ceux qui achètent les bouquins ce sont ceux qui les écrivent et leurs potes en gros quoi… Bon, les nous trois grâces et puis Jacques qui est derrière l’objectif on a fini la soirée tardive du samedi après avoir assumé toute la journée plus la soirée du vendredi comme on a pu dans un p’tit restau bio de la rue des Archives où on a mangé sacrément bon, et si je vous parle de nourriture c’est que dans ces salons on s’épuise à ne rien faire mais le fait est que le soir on est vidé complet… Et puis les amis étaient là comme toujours au rendez-vous et ça fait du bien… 
          En somme je n’vois pas du tout de quoi on se plaindrait vu qu’on s’est éclaté comme toujours à rire et à délirer parc’que nos bouquins et nos revues ils existent on a marné terrible pour ça et nos stands ils ont une allure et une class extra et que nous les sous franchement pour vous dire la vérité… probable qu’on est les seuls dans c’monde-là ou presque mais ce qu’on s’en fiche alors !…
          Et puis Rania est repartie pour la banlieue Nord de Marseille où elle bosse comme prof dans un lycée et puis Marie est repartie pour Vallauris retrouver les gamins et les gamines de la cité de la Zaïne pas loin du Moulin des Deux Rives où a lieu tous les étés le Salon des artistes de la Méditerranée… et moi je suis rentrée à Epinay dimanche soir dans notre cité d’Orgemont retrouver l’ami Louis et rêver à d’autres aventures pas ordinaires…

















Partager cet article
Repost0
20 octobre 2008 1 20 /10 /octobre /2008 16:24

         Les mots interdits
            Epinay, Dimanche, 19 octobre 2008

        Ouaouf ! Ouaouf !
     Je n’ai jamais eu l’intention d’écrire sur ce qui se passe en ce moment ce gros pataquès que la plupart des gens n’regardent qu’à travers des quinquets de myopes ou de taupes comme ils font pour notre aventure d’humains en général… et ça empêchera pas leur façon de le voir le pataquès… que le temps des rêves nous soit rendu…
        Pourtant c’qui me fait gribouiller ces deux ou trois mots plein milieu d’un automne qu’a pas été si beau depuis longtemps… un automne de noix qui tombent mûres et noires leur coque séchée que les mômes aujourd’hui dans les rues des cités n’reconnaissent pas… un automne d’écureuils et de galipettes au cœur des grosses termitières de feuilles d’arbres tombées ocre rouge miel jaune paille sienne châtaigne et rousses… C’qui me fait écrire c’est la mémoire et ses p’tits cailloux voix lactée d’l’époque où on désirait si fort où on s’enchantait à croire que ce monde-là finirait par finir et qu’on osait avoir l’outrecuidance de nos jeunes années et l’audace visionnaire de croire qu’on serait les témoins de ce généreux bouleversement…
        C’est une époque dont foi d’animal je ne cause pas d’habitude celle de nos sixties mais vu qu’il s’agit d’aboyer… Ouaouf ! Ouaouf !… ouais je n’en cause pas car elle est moquée raillée bavouillée par ceux qui n’y ont vu que du peu… rien vécu pas traversé comme nous autres ce temps d’existence authentiquement brûlant de nos adolescences et jeunesses sauvages éparpillées parmi les hameaux squattés lunaires et schisteux de mousses et de lucioles des plateaux des Cévennes où le meilleur de nos a cramé comme un grand feu d’astres…
        Des qui l’ont connu et qu’en crachent même des bons nos frangins et frangines d’errance d’alors et de révoltes chaudes comme le ventres des grenades ouh là là ! ce qu’y en a c’est ouf… on n’pourrait pas les compter si on savait sur tous nos doigts d’étoiles de mer !…
        Ce qu’ils ont été tout comme nous autres jolis voyous poètes sans papiers anars écoutant Léo et Béranger des heures sur le vieux phono en jetant une ou deux bûches dans le feu qui craque… pas trop faut pas oublier qu’ici la neige tombe d’octobre à mars blanche et froide la neige ouais… Ce qu’ils ont été moi je le sais et ça n’est pas ce qu’ils racontent ce qu’ils sont j’n’en sais rien et ça m’indiffère… Ouaouf ! Ouaouf !… On aboie plus ensemble eux ils ont la muselière…
       Ce qui me fait causer encore c’est qu’on en a rêvé si fort d’un autre monde qui était tout à inventer quand on crapahutait dessous les mélèzes roses à l’automne qu’on écartait les fougères craquantes les genêts et les ronces pour retrouver les chèvres perdues toujours à l’heure de la traite et qu’on en finissait pas de redescendre juste avant que la night nous emballe dans son papier cristal vert et gris… Les chiens aboyaient à notre rencontre… Ouaouf ! Ouaouf !… Notre joie scintillait comme la petite loupiote allumée toujours à la plus haute maison de notre hameau en ruines…
        Elle brillait pour dire qu’y avait de la vie qu’y avait des êtres au bout de cette vallée abandonnée au bout de ce chemin de terre au bout de cette histoire à laquelle on oeuvrait chaque jour pour qu’elle devienne réelle comme la terre noire comme la lune verte comme la neige blanche… La petite loupiote à l’intention du passant égaré au bout du monde au bout des hommes au bout de sa vie sans rêves…
        Nous on en était bourrés de rêves autant que la grenade de pépins et tout c’qu’on a vécu après moi et quelques autres et beaucoup d’autres d’ailleurs… c’est né là dans ces années farouches et généreuses dont je garde au cœur le souvenir incandescent comme un minuscule diamant de feu sur la neige blanche…
        Mais de tout ça et du monde tellement autre tellement éloigné de nous alors que dans notre innocence d’enfants de la zone on le croyait si proche qu’il nous éblouissait et nous planquait les heures de grisou à venir… non de tout ça et de notre utopie commune pas question de parler aux individus moulés tels petits soldats de plomb depuis trente-cinq piges par les slogans robots d’une société dont les maîtres les gavent les engraissent les abrutissent et les convient au spectacle de leur vie sans vie…

        Ouaouf ! Ouaouf !… Car surtout s’il y a un mot qu’il ne faut pas prononcer devant la populace bourgeoise ou prolétaire celle qui n’entend rien de ce que le peuple nommait quand il était grand “ un idéal ”… s’il y a un mot à virer absolu du vocabulaire c’est celui de “ partage ” et pire encore de “ commun ” comme on le sait trop quand on pense un peu aux Communards que les Versaillais et un grand nombre de ceux qui refusaient déjà le principe de mettre en commun les richesses de la terre “ la terre qui est un astre ” appelaient avec haine les Partageux…
        Tous ceux qui ont tenté d’atteindre la folle illusion de la solidarité humaine en passant outre les gouvernements les Etats les partis les financiers les magouilleurs et les mafias divers au Chili à Cuba en Espagne en France à l’époque de la Commune et partout où on a commencé à comprendre comme dans le Chiapas ou parmi les Paysans sans Terre que l’extrême richesse des uns repose sur l’extrême pauvreté des autres et que le monde tel qu’il est fondé sur les deux miroirs aveuglants de la production et de la consommation a retiré son sens à la vie… partout où les petites loupiotes au bout du chemin au bout de l’histoire s’allument pour le passant égaré notre rêve des sixties est en route… Ouaouf ! Ouaouf !…
        Partager aujourd’hui pour ceux et celles qui auraient pas encore pigé c’est le moyen le seul… faut vous fourrer ça dans le crâne… d’arrêter de foncer au fond de la démence morbide gardée par ses épouvantails d’acier et d’arrêter de détruire avec nos mains de jardieniers de créateurs d’enchanteurs c’que le plus incroyable des hasards nous a refilé… notre improbable destinée humaine sur la terre “ la terre qui est un astre ”…
        L’intelligence de la bonté qui consiste par clairvoyance à se considérer comme différents mais semblables comme étranges mais familiers comme venant d’ailleurs mais si proches est tout ce que nous avons à opposer aux maîtres d’un monde déjà mort et à ceux qui les servent…
        “ Les hommes meurent et ils ne sont pas heureux… ” disait Hélicon à Caligula… Et si on en finissait pour de bon avec le spectacle qui nous empêche de mettre nos rêves en commun dans le réel de nos existences épiques avec une véritable liberté humaine comme idéal partagé me semble qu’on se débrouillerait bien pour vivre heureux tels les fils et les filles du soleil sur “ la terre qui est un astre ” et pour apprendre enfin à “ bouffonner la mort ” vous n’croyez pas ?… Ouaouf ! Ouaouf !
 







A suivre...     

Partager cet article
Repost0
18 octobre 2008 6 18 /10 /octobre /2008 11:32

La Closerie des Lilas suite...

             Qu'aurais-je pu vous dire ?
              Que lorsque je revenais à pied dans le froissement des sous-vêtements mauves de l'aube c'était toujours avant que les bistrots n'allument par l'odeur imaginée de terribles passions au creux de mon estomac. Et que je ne pensais alors qu'à une grande tasse de chocolat mousseux avec autant de pain que j'en aurais le désir car j'avais la chance honteuse de na pas être une artiste du point de vue de l'estomac justement.
               Tous les autres désastres je les connaissais et j'en faisais mon affaire. Mais comment choisir entre les baisemains et la servitude consistant à ouvrir des portières comme on ouvre des huîtres et la misère crasseuse qui ne laisse souvent pas le moindre galetas au poète ?
          Ecrire aujourd'hui c'est peut-être encore bien pire que du temps d'Antonin Artaud montant manger la soupe chez des amis.
           Ah ! oui c'est tout à fait ça que j'aurais aimé vous dire… 
           Monsieur Antonin… c'est ainsi que je l'appelais lorsque je me représentais sa démarche sautillante et l'ampleur de son long corps sombre vêtu comme on l'est au théâtre longeant les murailles interminables de l'asile où il s'était fait prendre au piège et dont il perdait les clés pour avoir la jouissance galopine de faire le mur.
           Monsieur Antonin… Je le voyais… là… juste à côté de la rue de l'Ouest… effarant de vertu et de hurlements me désignant de sa canne et puis lorsque j'approchais mise en confiance par sa drôlerie dans l'allure et les tournures de son habit me prenant le bras et m'emportant vers des chemins de traverse connus de lui seul et de ses soleils monstrueux.
          C'est ça… Je n'avais pas choisi. J'avais machinalement planté mes pieds dans les chemins de traverse. Mes pieds macadam.
           Fallait-il tenter de vous parler de ces lieux d'où nous venions avant d'avoir remonté à la rame le cours tumultueux de la rue de l'Ouest avec sa déferlante de blues et ses jeunes Blacks indociles ? Le fallait-il ?
            Car en dépit de votre beauté qui reflétait un cœur pur et de l'encre grise du lavis qu'Hokusai avait fait à vos yeux j'étais sûre que ce type se baissant et se relevant d'un mouvement d'automate pour saisir les clefs vous ne le verriez pas de la façon dont je le voyais. Ni lui ni aucun de ses semblables vous ne les verriez ainsi vous qui aviez pourtant noué avec l'Afrique une tendre dépendance amoureuse à laquelle vous ne cessiez d'être fidèle. Jusqu'à vous arrêter à l'entrée d'une des bouches dévoreuses du métro fascinée par un jeune africain en boubou blanc qui vous avait prise pour une autre.
           Comment aurais-je pu vous dire le choix des doigts gelés griffés de coupures et de la marche matinale l'écharpe rouge liant les lèvres pour éviter de crier de froid en courant presque alors que cette quarantaine à laquelle je ne croyais pas m'arrivait de plein fouet en sens inverse ?
            Oui. Comment vous dire que j'avais toujours peint ou écrit dans des lieux qui ne se prêtaient à rien d'autre qu'aux bourrasques ? Comment vous dire que j'abandonnais au long des rues étrangères à l'heure du crépuscule des toiles où rayonnaient des sexes de femmes telles des grenades et des carnets inachevés ?
           Et que s'attroupaient parfois autour de cette jungle de couleurs sans nom offerte aux semelles macadam des gens qui regardaient comme s'ils avaient été dans un musée silencieux et graves.
          Pourquoi restais-je en dehors de moi-même compagne d'un banc vert à quelques pas de la rumeur des verres s'entrechoquant ? Et des plaques de cuivre où des noms étaient écrits ainsi qu’on le fait sur les colliers des chiens. Peut-être était-ce à cause de mon ami le joueur de guitare dont le père était africain et que j'avais retrouvé un matin après trois jours de recherches insensées aux urgences de l'Hôtel Dieu avec pour nom "inconnu".
           Il me semble que nous avons toujours été des inconnus tentant désespérément de créer un monde à la lisière de celui qui marchait sur nous en nous perforant de ses talons hauts et sur nos créatures de papier qui faisaient crisser de joie les trottoirs.


A suivre...

Partager cet article
Repost0
16 octobre 2008 4 16 /10 /octobre /2008 19:03

Petits soldats
Epinay, mercredi, 15 octobre 2008

 Petits soldats comme on se joue
De vous on oublie le poème
On oublie la chanson
La chanson que vous écoutiez mouillés de boue
Petits soldats où irez-vous ?
Petits soldats que deviendrez-vous ?
La chanson rend fous jeunes garçons
Du poème les mots nous font frissons
Dans la nuit vous crevez comme le grain qu’on sème
Brune moisson de l’aube blême
Petits soldats on met en joue
Votre innocence la boisson
De toute enfance même
Le fanal balance au pas lent de la chanson
C’est votre premier rendez-vous
La porte se referme après vous
Dans les rues de Berlin le poème
Va dans les rues de Bagdad c’est le même
Petits soldats las sans le sou
Petits soldats perdus et saouls
La pluie bleue des rimes qu’on aime
Charme vos verres d’amère boisson
De nos jeux injuste rançon
Ce sont vos vies qu’on noue
Au fil du temps qui tisse le monde sans vous
Vagues silhouettes café-crème
Ombres de laine ombres debout
Petits soldats à la façon
Des paroles de la chanson
On vous emballe on vous emblème
On vous range dans la boîte à joujoux
Vous reviendrez à la mi-carême
Et comme si vous étiez du plomb même
On oublie le poème on oublie la leçon
Petits soldats où dormez-vous ?
Petits soldats à quoi rêvez-vous ?
A la douceur des jours lorsque les mains bohêmes
Dans l’âme des jeunes garçons
Rejouent l’enfance joie suprême
Pas un mot pour Lili Marlène et même
Pas un mot pour Malbrough.
 

Partager cet article
Repost0
14 octobre 2008 2 14 /10 /octobre /2008 16:20

                                    “ Plus rien d’épique… ” 
Mardi, 14 octobre 2008 

        Tenir un blog surtout quand par ailleurs on écrit pour soi et pour les autres quand on fait un peu critique litt. comme je fais et beaucoup de récits coups de vent pour notre revue des Cahiers des Diables bleus c’est un job à plein temps… S’occuper d’une revue même petite et prendre le temps d’écrire des articles au quotidien qui témoignent de la réalité et d’autres choses dans une cité de banlieue ça demande d’en avoir envie et de savoir que c’est lu et que ça fait bouger des choses dans la tronche des lecteurs lectrices et chiens de rues Ouaouf ! Ouaouf !
          Et puis peut-être aussi que l’époque où c’qu’on vit est un moment de total autisme où chacun vit avec soi et ses potes et le reste basta… donc y a des gus comme moi qui ne sont pas des piliers de réseaux ou de familles de pensée pouah ! qui se posent la question au moment où dépassés par les événements style Salon des Revues comme c’ui qu’on vient de se farcir : mais pour quoi donc et pour qui donc que je me casse à réaliser un blog si à la première occase y souffle dessus le vent du désert comme le Simoun y a plus qu’un peu de poussière rouge sang et voilà !
          Moi contrairement à des tas d’gens je me vis très bien dans la solitude c’est ça qui permet d’écrire… de travailler comme disait Céline et par ces temps de folie où les rats retapent le rafiot vu qu’ils z’ont bien l’intention de continuer à bâfrer à jouir à profiter face aux autres d’ailleurs qui s’la crèvent de faim et d’autre chose aussi j’voudrais avoir une p’tite cabane de pêcheur pas loin de Saint-Malo et rester là et voilà ! Ouaouf ! Ouaouf !
          Mais y a p’tit Louis et ses images trop belles et nos projets de réaliser nos Cahiers des Diables bleus avec un ou deux copains et copines qui ne nous lâchent pas les pattes comme Patrick Navaï et Françoise Bezombes avec qui on voyage depuis trois piges maintenant et les larguer je n’peux pas alors forcé on continue… Ouais mais on va infléchir la courbe pour cause que nos p’tites créations “ d’artistes sans art ” elles sont très hard à fabriquer et qu’on a pas envie de les standardiser mais au contraire de les raréfier et d’les faire encore plus extras et magiques…
          Donc y en aura moins et on va tâcher de les rendre sorcières pour celles et ceux qui voudront venir voir se bouger sortir d’leur gourbi un jour peut-être… Car le monde virtuel des blogs c’est joli mais quand ça donne pour finir que les gens qui viennent regarder des images et lire des textes n’font pas un p’tit effort pour découvrir à l’occasion d’un Salon les gusses qui se dépatouillent avec pas de fric et toute l’énergie qu’on veut pour que ça existe… et pas plus ils ont la curiosité des Revues en papier et en poils alors basta…
          Donc l’écriture de notre blog des Cahiers va redevenir tranquille pépère ce qu’elle était y’a deux ans avant que j’y passe mes nuits et que j’n’écrive plus assez pour moi et que les mots s’éparpillent au fil des gouttes de rosée rouge sang du désert s’évaporent s’effacent Pfuitt… Pfuitt… Serez pas étonnés d’être prévenus et p’t’être qu’alors z’aurez envie de faire c’qu’on appelle je crois : interaction… Allez à plus… Ouaouf ! Ouaouf !
    

Partager cet article
Repost0
7 octobre 2008 2 07 /10 /octobre /2008 22:59

Dites-leur de me laisser passer suite...

          Mais ce qui rajoute encore au plaisir du secret des mots dans un livre de nouvelles est qu'on se prend à chercher, sans chercher vraiment, celle qui pour nous figure le coeur. Aussi le lieu où siègent le tambour et son officiant pour mon goût dans ce texte, est celui dont je ne vous dirai rien précisément. Parce que chacun doit chercher lui-même l'emplacement de sa propre cérémonie. Rien, si ce n'est qu'il se déploie à mes yeux tout entier dans le mot “ soleil ”.

Abdelkader Djemaï a choisi pour cette nouvelle qui me touche particulièrement en raison de tant d'or caché, le titre volontairement contradictoire de “ La Nuit de l'Eclipse ”. Titre d'autant plus étrange si l'on songe que cette “ éclipse solaire, la dernière du millénaire, attendue dans une sorte d'excitation inquiète pour le mercredi 11 août ”, est associée dans le texte, au seul peintre qui ait connu la grâce de poser sur la modeste surface de ses toiles le soleil lui-même. Et que ce peintre-là est bien le même qui a apprivoisé la magique mouvance des atomes dans sa Nuit étoilée, et est mourt en s'écoulant doucement par un grand trou noir qu'il s'était fait dans la poitrine, poursuivi par ceux qu'il nommait “ les anthropophages ”, au coeur de l'été, le 29 juillet 1890.

“ Identité Je voulais être SOLEIL J'ai joué avec les mots J'ai trouvé L'ISOLE. ” écrit Daniel Maximin, cité par Christiane Chaulet-Achour dans son récent livre La trilogie caribéenne de Daniel Maximin. Isolé comme soleil l'est le créateur dans son geste qui le résume et le fait éclater. Le fait mourir mais mourir modestement au grand carnaval des mots. Pour parler du livre d'A. Djemaï je voudrais emprunter encore cette citation à C. Chaulet-Achour, tirée de l'essai que je viens de citer : “ Aussi la seule manière de parler efficacement du passé, sans se faire piéger par lui, c'est d'adopter une écriture carnavalesque pour échapper au culte et garder sa lucidité en exerçant son pouvoir de dérision. ” 

Je crois qu'en effet la langue de la dérision qui nous fait légers et celle de la sensualité qui nous relie avec notre “ animalité ”, avec notre “ jardin originel ”, sont celles qui nous permettent le mieux de nous ébattre au-dessus des champs de bataille, passé présent confondus, et d'écrire notre soleil au centre de notre nuit.

Par ces mots s'ouvre le livre :

 

“ Ressemblant à un morceau de bois mort, le plus vieux des villageois avait dit, d'un ton presque laconique, que le jeune postier ‑ il devait avoir vingt­‑six ans ‑ était arrivé dans cette région de pierres, d'arbustes et de fournaise par l'autocar de huit heures. Ce matin-là, sous le soleil déjà redoutable, il avait longé la grande rue pour rejoindre la petite agence où il allait désormais vivre et travailler. ”

( “ La guêpe ” )

           Dès le départ les deux mots-clefs sont lancés : “ soleil ” et “ mort ” qui pourrait s'écrire : soleil est mort. Mort de ne plus pouvoir être vu, être contemplé comme dieu ou déesse de vie auquel on dressait de petites statuettes reconnaissantes, des temples géants, des pyramides et des sculptures d'animaux totem. Soleil puissance féconde, ignorée par des êtres avides de leur propre soleil, de leur glorieuse et démente démesure n'ayant d'égale que leur dangereuse médiocrité. Que ne sommes-nous encore en train de vouer un culte primitif au soleil comme matrice généreuse au lieu de regarder le monde à la manière de ce jeune garçon, comme un fruit coupé en deux : “ une précaution qui lui permettait de couper, tel un citron, les murs, les objets et les personnes jusqu'à cette hauteur précise et rassurante… ”

      Ou comme ce géant fou aux chevilles grossissant d'un seul coup dans la nuit, “ des pieds horribles qu'il retirait en tremblant avant qu'ils ne débordent de la bassine, ne se mettent à grimper le long des cloisons et à courir sur le plafond ”, qui marche sur la ville morte, ne pouvant plus rien voir d'autre que sa silhouette monstrueuse.

Soleil est mort donc, mais pas pour tout le monde car qui pourrait empêcher le peintre ou l'écrivain de continuer à fleurir l'autel de ce petit dieu soleil et vie comme l'acte créateur lui-même ? Acte qui n'a de sens que dans ce qu'il se partage, dans ce qu'il est notre commune mesure. L'art est notre “ soleil fraternel ”. L'astre descendu de son trône. Il appartient à chacun et n'appartient pas. Et celui qui prend la responsabilité d'offrir son œuvre comme soleil possible au regard des autres est forcément amant de la plus grande liberté et gourmand insatiable de la vie.

Aucun effort à fournir pour écarter la mort de sa trajectoire, il l'ignore, elle n'existe pas, elle ne le concerne pas. Dévoreur de lumière il se balade, clochard céleste dans ces cités nouvelles où d'immenses monuments aux morts lui servent d'écritoire. Facétieux et rusé en diable, il retourne le sort et utilise un innocent panier de prunes “ suaves, parfumées et juteuses ” pour faire exploser en mille morceaux “ l'ingénieur en informatique et l'heureux papa d'une famille honnête et pieuse ” s'apprêtant à “ se rendre au marché pour y déposer tranquillement le panier en osier dans lequel palpitait, comme le ventre d'une bête redoutable et sanguinaire, une bombe artisanale recouverte d'une feuille de journal ”.

Prenant tout à revers il fait parler les morts, ou plutôt il prête voix au “ trou de silence ” par lequel la mort est entrée dans la tête “ côté jardin ” de l'écrivain de théâtre. Voix qui va prendre la suite de celle du “ grand trou noir de l'écriture ”. Il n'est pas seulement celui qui joue comme un chat à donner des coups de patte aux mots, il met aussi le doigt sur leur falsification. Le point de départ de toute erreur de vie est peut-être de ne pas voir que tout a un double sens. Et que le désir de “ passer de l'autre côté ” peut ne pas être seulement l'expression d'un libre choix.

 

“ J'aurais voulu aussi me mettre dans la peau de la limace ou de la tortue qui vit dans la montagne et qui, malgré sa lenteur, finira par passer de l'autre côté. J'aurais souhaité aussi être un lièvre, un hérisson pour franchir librement la frontière qui court entre les buissons, les plantes sauvages et les arbres. ”

( “ Dites-leur de me laisser passer ” )

 

L'homme qui se dit qu'il ne dispose d'aucune liberté s'il ne peut même pas, comme un mouton destiné à l'abattoir, franchir une frontière, n'est-il pas lui-même réellement en train de courir à “ l'abattoir ” ? Car en même temps que nous l'entendons crier son désir de passer outre ‑  d'outrepasser ‑  nous ne pouvons pas ne pas nous dire que ce qui le mène c'est “ aussi ”ce qui le refoule ‑ ce qu'il refoule de lui ‑ le besoin inconscient d'être accepté, reçu chez ceux qui furent ses anciens maîtres. Nous pouvons tout sauf ce que nous donnons de pouvoir aux autres de nous interdire de pouvoir.

Soleil est mort parce que l'homme se voile la face de honte. Car seuls peut-être les poètes et les gueux le considèrent-ils encore comme leur unique prophétie, celle qui fait de l'homme un être rayonnant de sa liberté. Un des héros du texte, Diogène-clochard, exprime bien qu'il est le centre de ses préoccupations :

 

“En voyant l'affiche qui le fit saliver, l'estomac de l'homme aux cartons se creusa encore plus. C'est à ce moment-là qu'il s'aperçut que le panneau lui cachait aussi le soleil.”

( “ L'Affiche ” )











A suivre...

Partager cet article
Repost0
6 octobre 2008 1 06 /10 /octobre /2008 23:21

La Closerie des Lilas suite...

          Il me semblait que nous les enfants des banlieues vers de grisées nous n'avions pour amis parmi les poètes et les artistes que les créatures fantasques et les fous qui gardaient avec la réalité d'une société que nous trouvions très vieillotte des relations illusoires de pacotille. Je trouvais au sculpteur Brancusi que j'avais découvert grâce à mon ami le joueur de guitare familier de l'atelier et des petits jardins aux cabanes étonnantes de l'Impasse Ronsin un charme dû à ses rondins de plâtre sur lesquels il faisait dîner les invités les plus distingués.
          J'imaginais bien ces gens en complets noirs d'un certain chic sortant de là maquillés de terre ocre de poussière blanche et sans doute d'un peu de boue récoltée dans les recoins obscurs des jardins roussis par l'automne à la chemise retroussée et abritant de fantomatiques statues couvertes de givre que seule la lune venait couvrir d'un léger vêtement aux paillettes argentées.
          Oui. Brancusi et ses sculptures étranges et provocantes aurait pu sans soucis appartenir à notre monde en marge des feux des projecteurs… notre phare-ouest éclairé uniquement la nuit par d'énormes réverbères qui nous empêchaient de dormir et rendaient l'obscur des parkings luisant de glace noire. Nous y étions les petits dieux païens des temps modernes avec pour armes les bombes aérosol dont les couleurs brutales épuisaient celles de peintres captifs à l'intérieur des ateliers de la Grande Chaumière sous la lueur rose cendre de la verrière.
          La Closerie des Lilas… oui j'en poussais la porte cet après-midi-là un peu après dix-sept heures en pensant je ne sais pourquoi à Boris Vian et à un de ses poèmes que j'aimais le plus et qui s'intitulait "Vous mariez pas les filles". Je l'aimais parce qu'il me faisait rire de ce désarroi quotidien qu'était pour nous autres funambules la vie avec les pieds sur terre. Et à cause de mon ami le joueur de guitare qui ne partageait son lit qu'avec elle.
          J'avais un grand plaisir à vous revoir parce qu'en me parlant de Marguerite Duras que je n'avais jamais lue et de la revue dans laquelle vous écriviez à l'époque à côté du banc vert un peu mousseux fidèle à mes déconvenues vous m'aviez donné accès simplement à ce que j'avais longtemps cru être un temple. Et parce que votre visage était beau. Parce que vous n'aviez pas d'âge pour moi tout en étant sans doute de l'âge des femmes que j'aimais aussi car elles abordaient la soixantaine telles de grandes déesses oiseaux. Des oiseaux femmes légères et parfumées.
          Pourtant je pensais bien que vous me poseriez la question tant redoutée après laquelle il me faudrait me résoudre à mentir à nouveau sous le frémissement complice de votre regard gris comme une des encres lavées d'Hokusai. Mentir à la moiteur douce du lieu semblable à une serre d'êtres rares. Mentir au piano qui s'en moquait et ne jouait que pour lui-même et pour un homme en costume très ordinaire qui arrivait seulement vers sept heures lorsqu'on commençait à être aussi serrés les uns contre les autres que dans l'autobus qui descendait la rue de l'Ouest et que je n'empruntais pas. Mentir au garçon qui apportait machinalement une assiette de petites olives vertes dans lesquelles je croquais joyeusement en les saisissant avec mes doigts.
          En passant cet étrange tourniquet tamis vertical j'avais repéré aussitôt votre visage. Ce n'était pas encore l'heure où les écrivains rejoignent chacun leur table ou celle d'un illustre prédécesseur étiquetée d'une petite plaque de cuivre telle qu'on en pose sur le collier des chiens pour ne pas les perdre.
          Mon blouson de cuir de journaliste qui était assez vaste pour autoriser plusieurs pull-overs m'a paru alors un peu lourd comme si une certaine pesanteur s'était sournoisement perchée sur mes épaules. Mais je me suis réconfortée aussi vite en songeant qu'aux artistes toute dégaine est permise même et surtout en certains endroits de la rive gauche.
          La question n'a pas jailli de vos lèvres tout de suite car le champagne aidant vous aviez oublié que vous ne saviez rien de moi ou si peu. Vous ne pouviez soupçonner combien ma présence en face de vous à cette table de la Closerie était incongrue voire insensée autant que l'aurait été celle d'un crocodile dans le lit d'une courtisane.
          En m'égarant au gré de l'encre grise du lavis qu'Hokusai avait fait à vos yeux et à vos boucles cendrées je cessais d'être constamment sur mes gardes comme il convient lorsqu'on sort de son territoire pour entrer dans celui des autres. J'étais émue par l'ingénuité avec laquelle vous me parliez de vous pendant que le dictaphone absorbait pêle-mêle nos voix et les sonorités barbares de ce bar mondain dans lequel entraient des gens qui étaient pour moi des ombres sans visage.
          - Et quel métier faites-vous en dehors de l'écriture ?
         Au moment où vous formuliez la question qui demeurait posée devant moi comme une chose épluchée à vif qu'on ne sait par quel bout prendre je pensais curieusement à la phrase que l'ange Heurtebise répétait avec obstination à Cocteau dans l'ascenseur le menant chez Picasso : "Mon nom est sur la plaque… Mon nom est sur la plaque…"
          Je cherchais désespérément des yeux dans le miroir géant s'étirant derrière vous une inscription venant à mon secours et n'en dénichant aucune je me suis résolue à proférer des paroles qui certainement allaient me rendre aussi ridicule que Pinocchio tentant de masquer ce nez qui n'arrêtait plus de grandir.
          Qu'aurais-je pu vous dire ?
          Qu'à la nuit largement tombée j'allais accomplir une besogne si absurde que je me refusais à la nommer car elle ne comportait aucune gloire ainsi que c'était le cas pour mes amis blacks d'il y a vingt ans déchargeant de lourdes plaques de plâtre d'un four incandescent.
          A l'époque de notre gueuse jeunesse nous n'imaginions pas pour nous de destin autre que l'errance accompagnant ce qui aurait pu s'appeler mise au monde d'un monde plus doux comme la voix de Nina Simone quand elle descendait dans les graves mais nous n'y pensions pas.
            A l'époque de notre gueuse jeunesse dans les cités de banlieue je ne pouvais pas croire qu'un jour je boirais tranquille et attablée là où un des poètes  que j'aimais avait écrit à son frère de sang perdu quelque part aux rebords de l'enfance qui nous garde des froidures avec son manteau d'insouciance ces mots incroyables : "… venez chère âme… on vous espère… on vous attend…"
          Ces mots qui me blessaient l'intérieur des paumes quand je les regardais tailladées et fraîchement couvertes d'écailles de couleur sanguine séchées après avoir travaillé toute la nuit à vider des cartons de papier sur des tapis roulants de caoutchouc noir.
A suivre...

Partager cet article
Repost0
3 octobre 2008 5 03 /10 /octobre /2008 23:50

             Ma chienne de banlieue...
               Epinay, Mercredi, 1er septembre 2008   El aid mabrouk !                

       Ouaouf ! ouaouf ! un vrai temps de chien qu’il fait depuis le mois de juin et même avant ! sauf ce mois de septembre tellement chouette qu’il a été c’est quelque chose… Eh ouais… tout le mois du Ramadan il a fait une douceur et une lumière soleil et tout qu’on avait pas vu depuis… depuis je n’sais plus quand… bon faut rien en déduire évidemment… Ouaouf ! ouaouf !
      Aujourd’hui c’est l’Aïd… Ouais je sais c’est pas une exclusivité de la cité où on crèche nous autres tous touillés pareils qu’à l’intérieur d’la meilleure des chorbas… c’est l’Aïd sur toute la terre partout où y a des Muslims c’est l’Aïd la fête la teuf la grande la vraie après les trente jours et surtout les nights de ce mois de Ramdam comme on dit qui nous a bien surexcités et auquel on participe évident Gaulois ou pas pris dans l’atmosphère de la rue… des parkings des trottoirs des p’tites boutiques et des gens… mieux que ça comme frénésie tu peux pas…
      Des mois de Ramadan j’en ai vécu plein et de toutes sortes depuis que j’fréquente assidu mes poteaux arabes et africains musulmans alors vous voyez que ça fait une paie et sûr que j’en ai des souvenirs extras pas ordinaires comme on en vit qu’à ces moments-là… Des soirs du côté de Belleville avec mes frangins d’Algérie on se retrouvait dans un p’tit restau “ comme au bled ” qu’ils disaient… moi le bled je n’connais pas mais c’est tout comme ça vous l’savez… le boui-boui il a des murs faïencés blanc bleu indigo et turquoise et vert d’océan… je n’sais pas pourquoi ça me fait penser à l’Andalousie… Un bout de mémoire qui se goure probable… Ouaouf ! ouaouf !
      Ça sentait bon la chorba en train de cuire tout de suite quand on entre les feuilles de menthe fraîches les poivrons grillés le café un peu amer… On entrait et le patron un Algérien qui avait la peau sombre des hommes du désert très grand un keffieh autour du cou nous apportait tout de suite des dates dans une soucoupe et du lait…
      Ensuite on partageait la chorba légumes et viande un bol à ras bord avec du pain pour tremper et si tu en reveux pas de soucis y’en a plein la marmite tu as qu’à demander… Les frangins algériens mettaient un cuillère énorme d’harissa dedans et la soupe prenait une couleur ocre rouge qui me faisait songer à l’argile des ksour cuite par le soleil et aux bouquins de Malika Mokeddem…
      Pour finir le repas on prenait toujours des bakhlawas des gâteaux fourrés à l’amande et au miel parc’que ce sont les meilleurs de tous y paraît… Moi les gâteaux arabes de toute façon si je commence à en goûter je m’arrête plus… dates amandes miel sésame c’est trop ce que j’aime ça… la douceur des mets sucrés et parfumés aux essences de fruits pistache cannelle et de fleurs d’orangers des contes des Mille et une nuits et les saveurs délicates et épicées de l’Orient c’est mon bonheur !… Mais c’est vrai que les bakhlawas du Ramadan avec le thé à la menthe meilleur tu n’peux pas !
 
      Le thé à la menthe dans notre boui-boui d’avant c’est gratuit autant de petits verres décorés tout l’monde connaît qu’on peut en boire et ensuite y a encore des dates si on veut… Un de mes frangins d’Algérie le photographe Djamel Farès m’avait rendue plus heureuse que la reine de Palmyre quand il m’a dit un jour qu’on faisait un entretien chez moi et que je lui avais préparé un thé à la menthe traditionnel dans la petite théière bleue du désert que mon thé était excellent ! Moi qui ai jamais mis les pieds en Algérie la fierté que j’avais Ouallah !
          Ouais… de ces soirées-là j’avais une sacrée nostalgie les nights de ce mois de Ramdam dans notre cité d’Epinay… faut dire qu’on est bien placés nous autres avec notre quatrième étage juste face au bistrot truc et à la boucherie musulmane et que même si on n’voulait pas participer les tables dehors en bas avec les gâteaux le coca et les jus de fruits le thé et plein d’autres bonnes choses… et tout l’monde assis autour sur les chaises plastique ou les banc béton en train d’attendre que le soleil se tire de l’autre côté ça incite pas à rester enfermé chez soi…
          Les nights de Ramadan ici on les vit à donf comme les autres on n’dort pas forcé y a la zic dehors et les gens qui causent qui rient qui mangent qui boivent… c’est la détente enfin qu’ils ont guettée la journée entière et ça dure jusqu’à ce que le jour il se pointe ou quasi c’est comme ça… Avec les p’tits qui courent se poursuivent en criant le bonheur total pour eux qui d’habitude sont claquemurés à l’intérieur des apparts minuscules… ils jouent se bousculent se chamaillent et y’a personne qui les envoie coucher… c’est Ramdam…
         Dans la cité tout l’monde se met à ce rythme nocturne et cette année plus que les autres la fête se répand de tous les côtés parc’que c’est encore un peu l’été et que nous autres on est beaucoup dehors sur black bitume pour prendre l’air et puis les choses elles sont devenues trop dures ces mois passés… C’est la grosse zermi qu’a rappliqué avec ses rangers et qu’a écrasé les moins chanceux parmi tous les moins friqués qu’on est déjà d’ordinaire sur son passage… Alors là on oublie et on se retrouve ensemble comme s’y’avait toujours la fraternité des années ouvrières de la banlieue c’est bon !… Ouaouf ! ouaouf !
          Donc pendant un mois c’est la cité entière qui ne ferme pas l’œil avant 4 heures du mat et pourtant elle est grande la cité !… Faut un quart d’heure pour la traverser d’un bout l’autre c’est dire… Des fois c’est un peu hard vu que le matin faut se lever pour aller trimer et c’est juste le moment où on roupille terrible dehors pas un bruit les commerçants ils ouvrent tard c’est le rythme du Ramadan c’est comme ça… Et le soleil rouge par la fenêtre énorme il monte dans le ciel tout seul il fait ce qu’il veut…

         Aujourd’hui personne n’a eu besoin de me dire que c’était l’Aïd quand je suis arrivée au bord de la rue de Marseille débarquant comme tous les mercredis de mon repaire parisien ou personne ne soupçonne au quotidien que c’est le mois de Ramadan sauf d’avoir entendu l’info à la téloche… Le première personne que j’ai croisée c’était une jeune femme qui descendait d’une voiture vêtue d’une longue robe mauve avec ceinture à la taille et petit décolleté mode escarpins blacks et ses cheveux crêpés et sa peau couleur café elle avait une sacrée classe ! Elle portait avec mille précautions un plat recouvert d’un torchon en tissu brillant doré … pas besoin qu’on me dise c’était des gâteaux !
          Et quelques pas derrière elle sur le trottoir un homme avec un kamis blanc brodé très beau et le keffieh à peine noué autour de la tête qui volait autour de lui comme un drapeau palestinien courait avec son fils aussi vêtu de blanc et de neuf pour attraper le bus chacun avec un énorme sac de matloh les pains de semoule algériens pendant qu’une famille entière transbahutait le couscoussier plein et les plats de terre cuite avec la semoule recouverts de papier alu qui scintillait… Cadeaux nourriture qu’on partage en abondance compte tenu des moyens modestes vêtements neufs qu’on achète pour l’Aïd et pas des trucs de marque pour sûr !… Ouais… notre cité quand elle fait la fête elle a son allure des grands jours que personne peut rivaliser avec !
         Dans l’escalier de notre block au deuxième j’ai rencontré notre voisin turc qui sortait avec sa gamine habillée avec une robe rose mi longue et des bracelets de poignets qui carillonnaient et elle aussi elle portait précieusement un énorme géant plateau de gâteaux… on s’est salué et j’ai eu le temps de renifler le parfum de la fleur d’oranger qui se mêlait avec les odeurs d’épices à tous les étages et de cuisine qui se préparait… Enfin avant d’arriver à notre quatrième une dame black avec deux loupiots qui marchaient tout juste… on se connaît pas mais on se sourit parce qu’aujourd’hui y a l’atmosphère conviviale magique partout…
         Mais le plus petit c’est pas un sourire qu’il avait c’est carrément un rire qui éclatait dans sa frimousse quand il m’a regardée et il s’est retourné et il s’est mis à taper dans ses mains en criant : “ Bonjour ! Bonjour ! ” et il m’a balancé sa joie d’enfance légère en plein cœur et c’était aussi extra qu’un immense envol de papillons au milieu des escaliers gris béton…
          Et toute la soirée j’ai songé au bonheur possible si c’était chaque jour comme ça la vie et je me suis dit que vraiment c’est ici dans notre cité parmi les gens que j’ai envie d’être longtemps toujours… Là c’est mon royaume et là je suis chez moi… Bonne fête à toutes et à tous ! El aid mabrouk !               

Partager cet article
Repost0