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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

14 juillet 2008 1 14 /07 /juillet /2008 01:59

Djamel Farès Les créateurs de chez moi suite...

        Mais de 1960 à cette photo prise en 1971 où sont donc passées toutes ces images? L'Algérie est-elle entrée également dans la marge ? D. Farès approuve : “ Cette marge étroite, l'Algérie sans laquelle… ” La voix reste en suspend comme la révolution algérienne pour nombre d'entre nous qui ne l'ont pas connue. C'est une chance inouïe pour moi que notre rencontre… je vais enfin voir des images de ce que J. Sénac a appelé : “ Soleil dans le regard de tous ” capturées par quelqu'un qui y a réellement participé. Djamel me détrompe en sortant de leur coin noir au milieu de nombreuses boîtes alignées quelques négatifs qui semblent anciens et n'ont pas été touchés depuis plusieurs décennies.

D. F.
: Je considère aujourd'hui qu'il y a toute une période de ma vie où je n'ai pas de photographies. Entre 1960 et 1966 mes archives photographiques ont disparu. Il s'agit de celles de 1962 et des photographies de théâtre qui avaient le plus de sens. C'est une partie de mémoire qui est quelque part ou peut-être éparpillée, je ne sais pas. C'est probablement cette chambre noire qui a permis de fabriquer d'autres images. Je me suis reconstruit une mémoire à partir de la photographie de ma grand-mère. Les images qui se trouvent derrière elle accrochées sur son mur sont comme des strates ou comme des petits bouts éclairés par un projecteur. Lorsque tu regardes cette photo tu as une lecture globale avec un personnage et un décor, et si tu rentres dans l'image tu t'aperçois qu'il y a plein d'éléments qui racontent une histoire. Mais ils ne la racontent pas tout de suite. Certaines choses sont couvertes par d'autres qu'on ne peut pas soulever. Elle dessinait pour ne pas perdre la mémoire. C'est donc une image fondatrice qui est venue prendre la place d'autres que je n'ai plus.

          Mise à part l'image de Boumedienne en mars 1978 lors d'une conférence internationale avant qu'il ne tombe malade les photos de la révolution algérienne ont disparu avec la révolution… Soit. Et celles du théâtre algérien avec le théâtre tant pis pour moi… Faute d'images nous nous réfugions à nouveau dans les mots pour évoquer cette période où le théâtre algérien vibrait de toute part.

          “Je veux que tu sois l'Agnès Varda du Théâtre National Algérien.”

D. F.
: La seule chose que je pouvais dire à une époque et qui me plaisait beaucoup c'est que j'étais photographe de théâtre. C'est vrai que j'ai fait des milliers de photographies de théâtre. Mais maintenant que puis-je dire ? La question qui se pose est bien celle de la trace. Qu'est-ce qu'on va laisser ? Mohamed Boudia me disait : “ Je veux que tu sois l'Agnès Varda du Théâtre National Algérien. ” J'ai travaillé comme photographe du T.N.A. jusqu'en 1966 tout en étant journaliste à Alger ce soir, et c'est ce qui a été fondateur pour moi. Mohamed Boudia m'avait prêté son appareil photo, et on épinglait mes photos tout autour de la pièce chez Alain Viguier qui était professeur à l'Ecole nationale d'art dramatique. Il me disait : “ Celle-ci est bonne, tu peux la garder, celle-là, non ”.
          S'il ne subsiste que peu de traces de ce passage au T.N.A. en revanche c'est une photographie d'Alain Viguier qui sera pour D. Farès avec celle de sa grand-mère et celle du peintre Aksouh le point de départ, de l'exposition sur les créateurs d'Algérie La Source et le Secret à L'Institut du Monde Arabe. En regardant la photographie d'Aksouh on est attiré par une des caractéristiques de ces images, leur construction géométrique s'appuyant sur des courbes ou des diagonales qui s'opposent ou se rejoignent, et les dessins d'intensité lumineuse et de “ couleurs ” du noir profond et épais au blanc presque total. Rectangles, carrés, losanges se frottent et marquent l'espace comme dans une composition cubiste parfaitement calculée. La luminosité intérieure y est renvoyée et reflétée dans un mouvement très dynamique par ces plans comme par les facettes d'une lentille aux biseaux multiples. Il s'agit de ce métier que tout artiste se doit d'acquérir afin d'être vraiment libre d'inventer sa propre forme créatrice.

Alain Viguier


1966.
Retour en France avec passage obligé à Jeune Afrique comme beaucoup de photographes ayant un lien avec le Tiers-Monde. Puis confrontation avec le métier de photographe d'une manière plus classique. Nouvel apprentissage avant de repartir.

D. F.
: A ce moment-là j'ai expérimenté un tas de choses qui m'ont appris mon métier. La photographie de plateau à la télévision, le travail en studio et en agence. Mais il s'agissait toujours de photographies où une distance s'imposait comme dans l'architecture par exemple. C'était un travail esthétique d'abord. A cette période également j'ai suivi les cours d'ethnologie de Germaine Tillon et j'ai travaillé au laboratoire de sociologie de Bourdieu. C'est à partir de 1971 que les voyages en Algérie sont devenus une nécessité afin de rapporter des images de là-bas d'une part, et de pouvoir laisser des images là-bas sur la relation que j'avais avec les gens. L'idée sera alors de créer un lien entre ici et là-bas.

          Il y a effectivement deux moments différents dans ma façon de travailler. La période des reportages que ce soit en Algérie ou ailleurs qui a donné des photographies d'autant plus construites qu'elles correspondaient à l'influence que j'ai reçue du réalisme socialiste puis la période plus intimiste où les gens me laissaient entrer “ chez eux”.

         “ Il y a des images que l'on ne peut pas faire.”

          Cette phrase prononcée au sujet d'un écrivain que D. Farès n'a pas photographié parce qu'il n'y a pas eu d'histoire qui permette de créer un lien entre le regard et celui que l'on regarde se prête également au voyage qu'il a fait dans le Chili de Salvador Allende.

1970.
L'oeil du phare revient avec un léger décentrage. N'y a-t-il pas un étroit rapport avec la révolution algérienne ? Et justement, aucune photographie de ces moments forts ne semble satisfaisante.

D. F.
: J'ai passé trois mois à sillonner le Chili en pleine effervescence à la suite d'une rencontre avec un Chilien à Paris, avec lequel j'avais longuement parlé de la révolution algérienne. Je me demande comment cela peut être la révolution chilienne, lui disais-je. Eh bien vas-y… Le Chili fait partie de mon histoire sur le plan politique.
C'était la période d'après 68 où les idées foisonnaient mais je n'ai jamais été militant d'un parti et je m'y suis rendu par curiosité surtout. J'ai été formidablement bien accueilli et j'ai pu rencontrer un certain nombre de dirigeants syndicaux et de responsables. J'y ai appris beaucoup de choses sur le plan professionnel. Mais je considère que j'ai un peu raté la rencontre que j'aime faire avec les gens et qui distingue mes photographies de simples clichés de reportage.

1975.
Un temps discontinu au fil duquel l'oeil se guide à l'étoile. Le désert. Un désir infini dans lequel les hommes se déplacent pour demeurer ce qu'ils sont. Des traces de pas sur du sable, une écriture qui a sa place parmi les autres.

         
“ Les gens ont l'impression que quelque chose se poursuit dans le temps bien après mon départ.”












A suivre...

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11 juillet 2008 5 11 /07 /juillet /2008 11:50

L’oiseau sauve-âge
A Louis
Mardi, 10 mai 2005 

" C'est l'oiseau sauvage ! L'oiseau sauvage ! "
Le doigt des enfants fusille le temps
Tu l’as dessiné sur l’écran mirage
Derrière le verre image éclatée
Rebel et volage il s’est envolé

L’oiseau sauvage s’est fait violence
Il est entré dans l’ambulance
A l’intérieur plein d’alambics
Ça coulait dur du sang d’étoiles
On a pris le pouls de l’oiseau
Sauvage un tuyau en plastique
On a branché rapide dans son dos

C’est l’oiseau sauvage ! L’oiseau sauvage !
Volage et rebel le temps a volé
Lanterne magique il te l’a donné
Sur un écran bleu c’est New York City
Terrain vague cruel tout comme ici
Et des Blacks de Harlem qui se régalent
A chanter le blues il y a vingt ans
Leurs costumes blancs coulent dans le sang
D’étoiles muselées que tu étales
Sur les murs de béton et c’est chaud !

 
L’ambulance est une ferme-prison
Où goutte à goutte leur vie s’égoutte
Dans les alambics bouent des tas d’oiseaux
Sauvages que les Blacks de Harlem ont
Tatoués aujourd’hui sur la peau
Trente ans c’est long bleu le halo
Qui clignote les chants de leur déroute

“ C’est l’oiseau sauvage ! L’oiseau sauvage ! ”
Le doigt des enfants dénonce le temps
Volage et rebel connaît pas les cages
Des années tuées par les doigts tendus
Dessus l’écran silhouette rivale
Des flics armés de lanceurs de balles
Tu le dessines Il est vivant
Corsaire doux rêvant nos rages

Le cri de l’ambulance fait violence
A ceux qui boivent du sang d’étoiles
Qui font le plein à la pompe d’errance
Oiseau sauvage ils lui ont injecté
Des essences strange dans l’ambulance
Des flots de pavots et le paysage
Qu’on invente ici et qu’on se partage

“ C’est l’oiseau sauvage ! L’oiseau sauvage ! ”
Un vieux singe triste au fond d’une cage
Tendus vers lui des doigts d’enfants tuent
Son regard fier son rebel virage
Qu’il prendra demain quand l’oiseau sauvage
Fera gicler le verre aux nuages
En ruisseaux de blues orange le jus
Qu’on mélange au sang des cités orages

L’ambulance emporte ses alambics
Où les Blacks de Harlem ont mis
Des jeunes moineaux ivres de musique
Qui explosent dans les cités d’ici
Sur le trottoir un aveugle perdu
Frappe son chien noir comme lui
On ne sait pas si quelqu’un a vu
La peur jaillir comme un incendie

“ C’est l’oiseau sauvage ! L’oiseau sauvage ! ”
Amour marécage on vit hors du temps
L’oiseau sauvage s’est fait violence
Il est sorti de l’ambulance
Tu le dessines Plus d’alambics
Les mômes d’ici cassent le présent
Hors d’usage bombe à retardement
Dans la Cité coule le sang d’étoiles
Pas question de mettre les voiles
Des mains d’ouvriers qui ont la pratique
Ont coupé déjà le verre des cages

“ C’est l’oiseau sauve-âge ! L’oiseau sauve-âge ! ”
 

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9 juillet 2008 3 09 /07 /juillet /2008 11:34

Maille à l'endroit... maille à l'envers... suite...

           Vlim vloum ! Les dessous de la Cité ont des couleurs de champ printanier. L’odeur du sax hurlant soleil et banquise aux reflets de citron vert dérivant est inoubliable pour qui s’est roulé un jour avec l’air innocent d’un lapin en goguette de haut en bas d’un pré nacré de rosée. Et je ne dis pas ça pour les escargots qui eux ont leur feuille de salade à mastiquer à la table des cafés. Ensuite on a beau se laver ça ne part pas… Et on garde l’odeur sur soi jusqu’à ce qu’elle s’en aille au gré d’un tambour où tourne une lessive sans émotions…
        Je ne sais pas ce que vous en pensez mais il m’a semblé soudain que de commencer l’histoire avec ce conducteur de motrice aux chaussettes tricotés ça risquait de déranger qui n’aurait pas l’habitude de fréquenter les espaces de l’autre côté… Il vaudrait mieux que le conducteur de la motrice accepte de refermer son pardessus et qu’il porte comme tout le monde des chaussures noires cirées.
          - D’accord… il a murmuré l’air entendu… mais alors il n’était pas question que je franchisse la porte de verre… Pour quoi faire ?… C’était à prendre ou à laisser… Maille à l’endroit… Maille à l’envers… Vous comprenez ?
          Certains considèrent que les poètes mêlent souvent leurs chaussettes trouées aux histoires qu’ils bordent dans des lits de feuilles et d’herbes. C’est vrai mais quoi de plus élégant que des ongles de pieds vernis de perles de rosée ? De plus élégant et de plus joli…
          Cette musique du sax je l’entends à chaque fois que je descends dans les dessous du soir au hasard… Elle insiste pour me séduire moi qui n’aime que Mozart et Thelonius Monk avec quand même une petite exception pour le concerto de trompette de Haendel. Mais il ne faudrait pas croire pour autant que je vais l’empêcher d’entrer dans l’histoire…
          D’ailleurs elle a raison d’insister car ses sonorités graves m’attirent irrésistibles comme si quelqu’un jouait du sax au fond de l’océan.

          Ecoutez… écoutez braves gens…
          Le costume du conducteur de la motrice m’inquiétait et surtout ses chaussettes en grosse laine tricotées par sa grand-mère… Maille à l’endroit… Maille à l’envers… Ainsi que ses moufles toutes semblables qu’il défaisait à chaque fois qu’il lui fallait appuyer sur le bouton où il était écrit “ Stop ! ” avec l’index en lettres rouges. J’avais bien remarqué qu’il ne portait pas de chaussures et j’avais sorti de ma poche ventrale un petit carnet à spirale afin de ne pas oublier de noter tout cela…
          Normalement c’était moi qui décidais aussi pour cette histoire de chaussettes… Et puis non ça n’est pas vrai puisque les gens sont là tous nus devant nous avec leurs grosses chaussettes bleu turquoise tricotées maille à l’endroit… maille à l’envers… par les doigts tordus de rhumatismes attrapés au lavoir de l’hiver d’une grand-mère qui a fini elle aussi dévorée par le loup de l’histoire…
          Et que de la grand-mère personne n’a jamais parlé pour finir alors que le loup lui évidemment… Vlim vloum !…
         Le conducteur de la motrice du métropolitain se farcissait huit fois par jour la ligne Montreuil-Pont de Sèvre en chaussettes et moufles bleu turquoise pour bien prouver qu’il n’avait rien à demander à personne et qu’il avait retrouvé sa dignité.
           - Ça n’est pas donné à tout le monde… il me répétait en actionnant une nouvelle fois le bouton qui décidait de la fermeture des portes.
          Non… ça n’est pas donné à tout le monde…
          Pour les moufles c’est un peu plus compliqué mais je peux tenter quand même de noter l’explication sur une des pages du petit carnet à spirale car si je n’ai ni chaussettes ni moufles tricotées exprès pour moi je possède une grosse écharpe avec fierté qu’un vieil écrivain m’a donnée afin de m’habituer à passer d’un côté à l’autre de la vie…
          Dans notre jargon de passeurs de grains de blé sur des tamis de lune on appelle ça une métaphore poétique. L’écharpe du vieil écrivain c’est comme la mélodie grave irrésistible du sax de la jeune fille au regard bleu faïence explosé posée au pied des amoureux ensorcelés par leur danse d’amour. C’est un laissez-passer quoi… Un laissez-passer pour demeurer nuage printanier dans un monde cruel et insensé.
          A l’intérieur de ses moufles le conducteur de la motrice retrouve ses mains d’enfant. Ses mains qu’il frottait gelées au-dessus du poêle charbonnant que sa grand-mère bourrait de boulets avant de lui raconter l’histoire du grand sorcier qui voyageait au centre de la terre et que personne… non personne ne pouvait empêcher de refermer les portes entre le rêve et la réalité… Vlim vloum !…
          - Ça n’est pas donné à tout le monde… il me répétait en saisissant entre ses dents de loup la moufle de sa main droite avant d’appuyer avec grandeur sur le bouton rouge. Et l’histoire s’arrêtait aussitôt.
          Non… ça n’est pas donné à tout le monde… d’être le conducteur d’Histoire…

          Ecoutez… écoutez bien…
          Je ne sais pas si quelqu’un vous a déjà offert la joie ravissante de passer de l’autre côté alors que vous étiez depuis un moment de votre calendrier une grande personne… Si ça vous est arrivé vous reconnaîtrez le bonheur rien qu’à l’odeur…
          Vlim vloum ! Le spectacle des clowns n’est jamais fini… Ils acceptent de recommencer chaque jour à se déguiser comme s’ils étaient des intermittents de la vie.
          Vlim vloum ! Quelques minutes le nez à l’air et le reste du temps sous la terre. Pourquoi caressons-nous les lèvres du vent avec nos masques de fard blanc ?
           Oui… Les dessous de la Cité ont des couleurs de champ printanier. On n’imagine pas combien les gens qui entrent dans la terre en s’enfonçant à l’intérieur d’une taupinière de verre et de métal accomplissent de métamorphoses au cours d’une journée sans l’intervention des fées…
          Au-dessus ils sont chevaliers graves et conquérants tentant d’attirer vers eux les regards vert pomme des princesses caissières de super marchés. Au-dessous ils acceptent de revêtir les tenues bariolées et frivoles du diable Carnaval. En dessous c’est la fête sans fin des transports en commun où on peut jouer le personnage qu’on veut. Ça ne remontera jamais à la surface.
          Au moment où on descend dans les galeries éclairées par des lampions on a déjà pris la décision somnambule d’entrer dans la caverne d’Ali Baba où le trésor est une poignée de grains de blé éternellement jetée sur un tamis de lune…
         A chaque fois que je plonge à l’intérieur des courbes et des replis de son théâtre où les acteurs sont des débutants pour la vie je sais que je vais faire la rencontre inespérée sans laquelle ma journée serait un trou de souris… Ne serait-ce que celle d’un chat de gouttière à regard humain. C’est là que je vais piocher mes personnages les plus fragiles ou peut-être bien qu’ils m’attendent en contre point de ceux du jour qui ont de plus en plus de mal à trouver la porte toujours ouverte pour entrer dans l’histoire.
          Les êtres d’en dessous savent aussitôt qui je suis et ils déposent auprès de moi un regard tendre et malicieux qui me donne l’envie irrésistible de ne plus les quitter… La rencontre est toujours légère et délicate comme le souffle qui rebrousse les poils d’un chat de gouttière à regard humain. Je le sais et je l’envisage telle qu’elle n’a pas la possibilité de me décevoir. Je mène un combat de taupe contre les déceptions solides comme des monuments aux mots morts.

A suivre...

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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 11:05

Djamel Farès
Petite fresque-portrait d'un photographe
“ Les créateurs de chez moi ”

 Toutes les photos de cet article sont de Djamel Farès. Elles ont été publiées dans le cahier Parl'image La source et le secret n°56. Elles ont été exposée à l'Institut du Monde Arabe en 1990. 

      “ Si j'essaie de remonter le cours du temps entre gestation et achèvement, il me semble que j'aurais pu faire un roman autobiographique au lieu d'un album : en effet, j'ai toujours parlé -  et fait parler ‑ de mes photos, bien plus souvent que je ne les ai montrées. Et puis, je me suis rendu compte que, pour l'essentiel, mon discours reposait sur une triple référence à trois photos bien précises : celle de ma grand-mère, celle du comédien-metteur en scène Alain Viguier, et celle du peintre Mohamed Aksouh : trois portraits qui me tenaient au coeur pour des raisons a priori différentes, mais que je rassemblais dans ma tête sous un titre qui ne s'écrivit que tardivement : “ Les créateurs de chez moi ”.

Laurence Farès / Djamel Farès, La Source et le Secret

 Autoportrait

      En bord de mer un phare qui ne jette qu'un fin clin d'oeil sur les pierres et sur l'eau. Voilà l'image à partir de laquelle nous allons entrer dans les photographies de Djamel Farès. Une petite brèche de lumière oscillant autour d'un centre inconnu. Inconnu le photographe qui regarde et soudain immobilise un bref fragment de temps. Mais l'essentiel est-il le centre ou bien le lien que la photo révèle entre le regard et l'instant privilégié que l'oeil capture et éternise? Le photographe fait éclater la prétendue linéarité du temps pour la reconstituer à sa guise en laissant dans l'ombre des déchets d'histoire comme des bouts de pellicule inutilisés.

Djamel Farès
: Jean-Pierre Belland habitait à côté de Saint-Eugène juste à la sortie d'Alger, un endroit qui s'appelle “ Les Deux Moulins ”. Il y avait un phare au-dessus de chez lui qui éclairait pendant la nuit la mer et la colline de l'autre côté. En regardant ce faisceau qui balayait la nuit, on découvrait petit à petit les choses sortant de l'obscurité. C'est bien plus tard en y réfléchissant que j'ai fait le rapport entre l'image de ce phare et l'image de la mémoire ainsi qu'avec le travail de la photographie. L'image de la mémoire parce qu'il y a des choses qui te restent que tu essayes de retrouver mais dont une partie t'échappe toujours. 
C'est ce que fait le faisceau du phare qui provoque une superposition d'images. Le regard est pris par ce qu'il vient de voir qui disparaît au moment précis où quelque chose d'autre apparaît qui disparaît à nouveau et ainsi de suite. Cela correspond au mouvement de la photographie. La photographie que l'on regarde n'est pas seulement ce moment-là mais ce qu'il y a avant et après, ce qu'il y a dans l'image et autour de l'image. La difficulté de la photographie réside dans cette dynamique de l'histoire qui continue de se dérouler qui continue d'enregistrer.

      C'est justement ce qui m'intéresse dans l'idée d'esquisser le portrait d'un photographe algérien qui de plus ne prétend être ni reporter ni chroniqueur d'une époque. Cette quête de mémoire qui m'implique autant que lui dans le choix que nous allons devoir faire ensemble des images significatives de son travail créateur. Comme toute personne curieuse de l'histoire des Algériens et de notre histoire commune je suis à la recherche d'images à la fois intimes et porteuses de sens… à la fois esthétiques et m'autorisant au rêve à mettre au côté des mots de l'histoire que d'autres Algériens m'ont racontée. Je sais que pour D. Farès comme pour tout artiste la création et la vie sont mêlées. C'est pourquoi chacune des images que nous allons sortir de l'ombre seront des repères précis qui s'ils ne suivent pas une chronologie ordinaire n'en sont pas moins des points à partir desquels le récit s'articule et parfois bifurque.

      1962.
C'est auprès du peintre-ami Jean-Pierre Bellan et à Alger que Djamel commence donc à s'insinuer dans l'oeil du phare qui triture les icônes invisibles du quotidien. Les Algériens en cette année de révolution sont aussi en quête d'images d'eux-mêmes sorties de la nuit. L'Algérie n'est ni au centre ni à la périphérie. Elle est partout à la fois.
      C'est la fin de l'exécutif provisoire en juillet au Rocher Noir et l'arrivée du G.P.R.A. à Alger. Plongeon dans un bain de foule qui inaugure une prise de contact avec le reportage plaqué à l'immédiateté de l'histoire. Instantanés d'un rêve qui devient réalité. A ce moment-là il n'y a aucune distance entre ce qui est vécu et ce qui est photographié. Comme tous les jeunes Algériens, D. Farès vit ce qui doit être le début de la construction d'un pays.

Jean-Pierre Bellan    Peintre

" Il parait toujours rentrer de la plage de la Pointe-Pescade ; il traine dans ses cheveux l'odeur du jasmin ; dans ses yeux, la couleur d'une vague de la méditerranée.
Mais sa peinture monte comme un cri du tréfond de la douleur de sa renonciation. " D.Farès


D. F. : J'ai fait partie de ceux qui ont été présents à l'aéroport et témoins du retour du G.P.R.A. à Alger, ce qui a dû prendre au moins une journée compte tenu de l'affluence populaire et de l'euphorie. Je me suis rendu en voiture en dehors d'Alger avant que l'armée n'arrive. Tous ceux qui ont eu un rôle important dans la guerre d'Algérie étaient là. C'était un moment extraordinaire de vie. Ensuite il y a eu une période d'activité intense où on faisait tout à la fois. J'effectuais des reportages pour Alger Républicain, j'étais instructeur bénévole de photographie, je participais également à ce qu'on appelait les Ciné-Pop. On prenait la camionnette et un projecteur, on emportait des films du genre du Cuirassé Potemkine, et on se baladait à travers l'Algérie. René Vautier était à l'origine de ce genre d'expéditions. C'était tellement prenant qu'on ne songeait pas à exposer nos images.

      1962.
Djamel prend des centaines d'images de la révolution algérienne… mais qu'y a-t-il d'écrit derrière dans cette partie sombre qui ne se montre pas ?
      "L'écrit c'est une image pour moi."

      1960.
D. Farès qui vient juste d'avoir le baccalauréat à Paris déclare à tout hasard : “ Je veux devenir photographe ”. Aujourd'hui ici à Paris alors que nous avons décidé de retracer ensemble sa trajectoire il ouvre un cartable duquel il sort un cahier à spirale assez épais pour qu'on devine qu'il est le receleur de plus d'une histoire.

D. F.
: J'ai plein de cahiers comme celui-là, des gros, des petits. J'utilise absolument tout. Et parfois je fais écrire les gens, je les amène à faire des plans ou des dessins. Je me fabrique des petits carrés où j'essaye de placer les choses afin d'être totalement libre au moment de photographier. Lorsque je prends mon appareil je peux alors laisser libre cours à une espèce de fébrilité parce que le cadre est construit.

       
De certaines pages couvertes d'écriture et de croquis il ne subsiste que la marge choisie et mise en relief typographique. Découpée. D'autres pages au contraire sont entièrement noircies de mots.

D. F.
: Une marge sans laquelle l'équilibre de la page ne saurait exister. Ceux que je photographie ici ne sont pas tous Algériens. Mais chacun occupe sa place unique par ce qu'il montre de lui comme ma grand-mère l'a fait dans cette photo qu'elle m'a offerte un jour il y a longtemps en Algérie.

      De cette photo, qu'il désigne comme premier signe fixe dans le temps D. Farès reparlera souvent en dégageant à chaque fois un peu de ce qu'elle lui a révélé de son rapport avec ceux qu'il photographie, et qui sont comme sa grand-mère simplement “ des gens ”
      “ J'aime photographier les gens. ”
      Ils sont là “ les gens ” aussi présents dans ces lignes qu'ils le sont sur les photos. Certains ont écrit une lettre… un poème… fait un dessin que le cahier a reçu avec gratitude et curiosité. Ecriture double. Ecriture périphérique de leur vie qui est l'unique manière de leur permettre de parler d'eux.



Gida la grand-mère de Djamel Farès














D. F.
: Cette façon de photographier a débuté après l'exposition sur les artistes algériens présentée à l'I.M.A. en 1990 dont le coeur était la photographie de ma grand-mère. A partir de là j'ai dit aux gens chez qui je suis allé faire ce travail qui consistait à raconter un moment de leur vie : ‘Les photos que je vais faire avec vous vont s'inscrire dans ma propre histoire’. Cela signifiait avant tout prendre le temps de rencontrer ceux qui acceptent mon regard sur eux, et parler avec eux.
Au début je ne faisais qu'écouter et puis je me suis autorisé à prendre des notes. J'ai appris à noter d'une façon très rapide et néanmoins assez fidèle. Quelquefois je parviens à transcrire la phrase dans son intégralité pour retrouver vraiment l'intonation, la syntaxe, la manière dont parlent les gens. C'est ce qui me permet de construire des images en fonction de cette parole. 

      Ces gens sont la marge aussi celle que la ligne de mire du phare n'éclaire pas directement mais peut-être comme des ombres derrière un écran blanc simples silhouettes. Aller voir derrière l'écran. Du langage ils nous restituent la matière et la forme initiale. Des images-signes graffiti. Pour les reconstituer l'oeil va devoir effectuer un certain détour en passant par le regard-miroir d'une vieille femme pleine de malice.

      1971.
Djamel photographie sa grand-mère dans sa chambre avec pour toile de fond le mur de sa chambre où elle a accroché des dessins qu'elle a faits alors qu'elle a failli devenir aveugle. Après avoir subi l'opération de la cataracte elle a retrouvé la vue et ses images intérieures.

D. F.
: Jusqu'à cette exposition de 1990 je considérais cette photo comme une photo de famille que je ne montrais pas. Je l'avais prise lors d'un de mes voyages en Algérie. C'est Aksouh qui m'a dit qu'elle racontait une histoire et en particulier mon histoire. Parce que je suis aussi présent à l'intérieur, alors que je devais avoir cinq ans, dans un cadre que ma grand-mère avait posé dans sa chambre.

      " Tes aïeux n'ont pas fini d'occuper la mémoire des générations. Songe qu'aujourd'hui encore les gens jurent par ton grand-père Sidi Hamd Ou Yahia qui accrochait sa planche à une étoile. Oui, une étoile! Quand il avait fini d'écrire sa sourate sur cette écritoire sacrée, il faisait un signe de la main. Une étoile descendait du ciel. Il accrochait alors sa planche à ce clou céleste. [… ]
Elle guettait une réaction de moi, jaugeant l'effet produit par ses paroles sur mon imagination subjuguée par la révélation des pouvoirs qui étaient les miens et dont je ne soupçonnais même pas l'existence. "
Laurence Farès / Tewik Farès,

La Source et le Secret



Mohamed Aksouh    Peintre








A suivre...

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4 juillet 2008 5 04 /07 /juillet /2008 11:10
Maille à l’endroit… Maille à l’envers      
            Artistes sans art… comme un préau d’enfants… ” Louis Fleury
A Jean

       Ecoutez braves gens… écoutez bien…
      Attention ! Vlim vloum ! C’est la balade du métropolitain… Vlim vloum ! Attention ! Fermeture des portières pendant que dans les coulisses on glisse au chef d’orchestre sa partition.
      Vlim vloum ! Petite lampe rouge allumée. C’est un théâtre… On peut y aller. La représentation des clowns qui ne font rire que les escargots bavards dégustant leurs feuilles de salade à la table des bistrots va commencer.
      Ecoutez bien l’histoire écrite assurément pour que les escargots bavards puissent couvrir de bave les signes noirs et les feuilles de papier blanc avant de les manger et de s’endormir au milieu de leur rire digestif. Ecrire pour rire juste avant les escargots…

      La représentation des clowns se donne toujours dans les sous-sols tandis qu’en surface les chaussures effacent des vérités légères comme des grains de blé sur un tamis de lune.
      En surface les vérités légèrement passées au crible du passé nous tombent dessus. Nous qui doutons de tout elles nous font poussières de son sur nos frimousses. Alors que dans les sous-sols…
      Vlim vloum ! Attention !
      Les dessous de la Cité ont des couleurs de champ printanier. Moi qui fréquente depuis ma naissance au monde ces endroits que d’autres fuient en grognant parce qu’ils leur préfèrent ses dessus bien léchés je sais ce que je dis.
      J’ai même par un jour de folie en dentelles noires eu l’occasion toute neuve alors que je désespérais de rencontrer ne serait-ce qu’un chat de gouttière au regard humain de faire le trajet durant dix stations de ce chemin sans croix pour souffrir un peu zut alors ! à bord de la motrice au gros museau aveugle du métropolitain… Ça n’est pas peu dire…
      Le conducteur avait remarqué mon nez écrasé tel Escargot époustouflé par la première neige et mes yeux bulles de savon décolorés scotchés sur la vitre qui nous séparait indéfiniment…
      Alors au prochain arrêt avant que la sonnette allume sur les bobines des enfants assis derrière leurs masques de gens des airs affamés de fêtes foraines et de tours de manège il m’a fait signe de passer de l’autre côté.
      Vilm vloum ! Ecoutez bien…

      De l’autre côté on attaque pas forcément les braves gens avec des couteaux d’argent et des épées dégainées à mains armées. De l’autre côté les doigts mal aimés grattent des guitares au milieu des halls de gare tandis qu’un petit singe acheté dans un magasin de ciboires et de pendules où le diable vous rend la monnaie de votre pièce fait la quête en tendant sa casquette violette aux voyageurs rares. Et des centaines de chats gris de fumée assistent à la représentation assis en rond avec leur nez rouge de clowns plastiqué qu’ils ne retirent qu’à l’aube lorsque la fraîcheur de l’air les disperse.
      Enfin c’est ce qu’il paraît parc’que de l’autre côté si les clowns en dessous de soirée m’y invitent très souvent vu qu’aussi bien bottée que chat je suis et que je possède comme le singe mendiant une casquette j’n’y vois souvent que des ombres roussies sur les rebords… on dirait de vieilles photos ou bien des silhouettes dont le dos se perd parmi le fracas des lumières et des nuits… Vous imaginez si écrire avec ça c’est facile…
      De l’autre côté ceux qui traversent les portes de verre Vlim vloum ! se frôlent avec les ailes de leurs pardessus couvert de givre et clignotant de mille feux mais ils ne se voient pas. Ou bien quand un très grand hasard maquillé de rouge à lèvres les fait se dévisager pareil que le conducteur du métropolitain et moi ça signifie que le traîneau du temps a décidé de faire une pause un instant dans la géante course endiamantée des hommes comédiens et des femmes trapézistes...
      Vlim vloum ! Le conducteur du métropolitain avait des allures de fille sous ses vêtements de garçon c’est certain. Lorsqu’il a entrebaîllé son pardessus couleur cendres et fumée que le vent frais de l’aube disperse j’ai vu qu’il portait un pyjama en soie vert pomme et lilas et de grosses chaussettes de laine tricotées à la main par sa grand-mère… Maille à l’endroit… Maille à l’envers… Et pas de chaussures… Ah non ! Surtout pas… 
      Ce sont les chaussettes tricotées par les grands-mères un peu dépassées qui permettent de ne pas être mis au courant forcément… Et lorsqu’on conduit une motrice dans le ventre de la terre il vaut mieux qu’il y ait de la distance entre ses pieds et les frissons à haute tension. Un conducteur du métropolitain n’a pas le droit de se laisser aller à certaines émotions pour la raison bien connue des escargots bavant sur les feuilles de salade des bistrots que c’est un métier sérieux…
      Seuls les poètes et les artistes à la rigueur peuvent se dispenser des chaussettes de grands-mères les isolant du courant d’ère parce qu’ils sont des bouffons c’est bien connu. Donc pas de chaussures à l’intérieur de la motrice où je me glisse sur mes chaussettes trouées mes bottes de chatte bottée à la main.
      De l’autre côté quand on y est… Vlim vloum ! rien d’étonnant à ce que les gens s’affublent de toutes sortes d’accoutrements puisque le lieu s’y prête et que l’espace du dessous est un vaste cirque assurément. Le conducteur du métropolitain qui voyait mes yeux verts fendus dont les pupilles de jais s’élargissaient percer l’obscurité m’a montré le fonctionnement des manettes et des feux clignotants sur le tableau de bord semblable au cockpit d’un petit avion. Pendant que nous nous enfoncions dans la boue noire des tunnels je pensais à Saint Ex. et à sa carlingue frissonnant et se secouant tel un gros chien remontant à la nage l’océan des étoiles…
      A l’intérieur de la motrice la moquette était aussi épaisse qu’une prairie au printemps et je cherchais dans l’ombre rousse des taupinières. Le conducteur du métropolitain a secoué sa longue carcasse qui se cognait contre les parois de verre et d’acier de la machine avant de me préciser que cette ligne-là justement possédait des replis et des cachettes moelleuses propices aux amoureux. Il avait dû se dire en lorgnant sur mes chaussettes trouées que je cherchais quelqu’un à aimer…
      Vlim vloum ! Mais dans les dessous de la ville les portes de verre et d’acier se referment toujours pour séparer les rêves doux de leur réalité.
      - Non… que je lui réponds outrée par son regard voyeur sur mes chaussettes super marché que mes bottes cachent d’ordinaire avec bonté.
      - Non ! Ça n’est pas vrai… je ne cherche personne pour réparer mes trous… Je suis poète ça suffit bien…
      Et d’ailleurs comment on peut s’aimer dans des lieux à l’odeur rance et biologiquement reconnaissable de rat crevé même si on dispose de banquettes couvertes de velours rouge au pied desquelles une saxophoniste adolescente au crâne rasé et au regard faïence explosé joue comme une jeune déesse un air très ancien ?
      - Elle joue toute la nuit… Et même quand les grilles du métro sont refermées sur le dos à rebrousse-poil des courants d’air elle continue…
      Il a jugé utile de me dire ça comme si j’n’en faisais pas partie moi aussi de ces dessous de soie alors que je fréquente ces endroits que d’autres fuient en grognant depuis ma naissance au monde… C’est vrai… vu que cette histoire je suis en train de l’écrire il est important qu’il me mette au courant de certains détails… Des détails dont il ne sait pas quoi faire lui le colporteur qui doit avant toute chose conduire la motrice à bon port dans l’affaire… Maille à l’endroit… Maille à l’envers… 
     
      Ça y est… C’est énervant… Mes gros orteils ont entrepris de sortir des trous de mes chaussettes et je ne peux plus les contrôler.

A suivre...

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3 juillet 2008 4 03 /07 /juillet /2008 11:40

Migrations… 

              Nous voici arrivés enfin… ouf !… à ce moment de l’année que je préfère : l’été… L’été c’est d’abord par magie la saison où l’ami Louis et moi on est nés eh oui ! tous les deux on a le soleil pour camarade et sa paluche frangine bonne et jaune comme le spectre d’argent qu’on débarbouille pour lui faire rendre ses couleurs… sa paluche qui nous tient bien vu que ni Louis ni moi on arrive à supporter l’hiver et ses froidures…
            L’été c’est le bleu pas croyable dans le ciel de la cité qui si on a de la chance s’installe pour nous remplacer celui de Saint-Malo où on se tire chaque année rejoindre la grande silhouette mirage de Céline sur la plage du Sillon et se remplir les poches de sable et de galets ronds et doux mais rien qu’une semaine et encore c’est déjà pas mal !
             Alors voilà… on est prêt à larguer les amarres de notre blog des Cahiers des Diables bleus pour un petit mois car après notre errance au creux des joyeuses vagues vertes c’est à Epinay qu’on retourne et qu’on se pose comme les cormorans blacks et là on va travailler à notre prochain Cahier La banlieue des travailleurs qui devrait être prêt pour octobre et à nos nouveaux Petits Cahiers dont vous aurez la surprise en septembre…
            On vous abandonne donc tout ce mois de juillet mais en fait on ne vous abandonne pas du tout ! J’ai bien pensé que beaucoup d’entre-vous qui n’ont pas plus de sous que nous autres ne partent pas ou à peine et c’est dur de ne même plus pouvoir lire ses articles habituels sur le blog qu’on apprécie et où on se balade avec curiosité et passion quand en plus tout le monde s’est tire ! Ce vide-là je l’ai connu y’a quelques années quand je n’savais pas encore ce que c’était qu’un blog avant de vous avoir rencontrés toutes et tous et je n’voudrais pas que vous soyez aussi largués par nos p’tits mots complices fraternels…

           Donc on vous a préparé des articles et des images pour tout ce mois d’absence et même si ça ne remplace pas une vraie présence à qui on peut penser ou écrire c’est sûr… ouais même… eh bien vous saurez en les lisant que nous en les écrivant on a fort songé à vous et qu’on n’vous oublie pas… 
           C’est un peu décousu et cahotique et vous retrouverez le fil de vos lectures habituelles début août avec des petits décalages dans les articles mais vous ne nous en voudrez pas car on a trop besoin de ce petit break… on est fatigue à mort !
            Et vous pouvez comme d’habitude participer et réagir si ça vous dit… on sera tellement heureux de vous lire et on vous rapporte de nos promenades marines des tas de p’tits galets ronds et doux des étoiles de mer couleur de lune des renards d’océan et mille autres choses pas “ miraginables ”… On vous souhaite un agréable été très fou et très insouciant et à celles et ceux qui restent dans nos banlieues un bleu indigo turquoise lapis-lazuli encore plus féerique que toujours… 
                                                                                               A très bientôt !…
  
 

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2 juillet 2008 3 02 /07 /juillet /2008 11:58

La part du pauvre suite...

Ecoute…

  













             Sarah connaît plus d’histoires que moi car elle est d’une famille à racontars comme toutes les familles de la Cité palabrant du haut de la cage d’escalier ainsi qu’elles feraient autour d’un arbre géant. Sarah m’assure que Clarisse est en fait un esprit bienfaisant qui a pris une apparence humaine pour l’instant… Il faut dire que Clarisse le Guadeloupéen qui a le plus sale boulot qu’on imagine hanté par cette broyeuse à la mâchoire terrible dont le hurlement hystérique rendrait sourd et abruti n’importe qui ne se met jamais en colère. Au contraire il chante et sa voix nous arrive comme un ruissellement de cailloux clairs… Ecoute… Khaled l’aveugle… Ecoute…

Sarah m’assure qu’elle a vu Clarisse qui est vêtu pareil que nous d’un bleu et d’un chandail troué modern style lui tombant presque au genou avec une cagoule d’où ne sortent que ses yeux narcisses et nuit entrer dans l’entrepôt sapé d’un boubou blanc brodé d’argent… Et pieds nus sur le béton qui a aussi de petites dents de vampire mou… Ce qui explique que Clarisse le Guadeloupéen n’ait jamais de lacets car normalement de chaussures il n’a pas non plus mais il les met afin que personne ne le soupçonne…

- Qu’on le soupçonne de quoi ?… je demande à Sarah en essayant de forcer mon cerveau qui noctambule à l’aveuglette à suivre sa course au gré de la poussière rouge des chemins d’histoires… Rouges… rouges et noires…

- Mais d’être un ange !… elle confirme en ajoutant avec dépit :

- Tu ne suis pas du tout… C’est pas la peine…

Elle fait la moue en retournant avec rage le carton qu’elle vient de crever d’un coup de cutter et vide ses intestins de papiers sur le tapis. C’est un carnage blanc qui n’a pas de fin et qui nous mangerait les mains et la tête et le cœur si on ne le pervertissait pas en jouant aux histoires tout juste. C’est comme ça depuis qu’on a débarqué ensemble dans l’entrepôt la même nuit et qu’on a vu avec horreur ce qui nous attendait… D’être englouties… Dévorées… Dépecées de nos rires… Mais pour que ça marche il ne faut pas que l’une des deux laisse tomber l’autre avec ses mots dans le vide…

Le plus souvent c’est moi qui raconte et Sarah ne perd rien de mes histoires qu’elle avale comme du lait. J’ai un domaine d’imagination envahissante dans lequel j’habite sans fermer les portes… Ce sont des portes de vent d’ailleurs comme celles de l’entrepôt qui battent la chamade en même temps que le corps de la ville la nuit autour de notre corps à nous fragile.

Sarah quand c’est son tour ne raconte que les choses qu’elle voit et qui sont vraies dur comme fer. Et elle y croit si fort que tout son corps tremble par petites secousses au point que même Benjamin le vieux militant qui n’aime pas les superstitions n’ose pas la contredire. Rouge… rouge… noire et rouge…

- Mais… si c’est un ange Clarisse… alors c’est forcé qu’il ait des ailes…

- Bien sûr qu’il en a. Et d’ailleurs s’il en avait pas comment il aurait fait pour venir ici depuis la Guadeloupe puisqu’il a pas un rond ?…

            Ça c’est l’affirmation qui me cloue le bec tellement elle exagère… Elle ment de toutes ses dents… Et ravie de m’avoir médusée elle se jette dans un fou rire en battant des mains… Elle attaque le carton suivant comme si elle éventrait un tamanoir… Elle poursuit son histoire d’ange noir travesti d’un habit de plumes blanches que je ne pourrais voir moi que sous la forme d’un gros volatile balourd incapable de voler justement.
         Un goéland Clarisse ? Ça oui certainement. Un type qui avec ses membres tellement longs qu’il se cogne partout comme un clown peut t’emmener où il veut quand il démarre ses chansons créoles sous la houle folle de la broyeuse…

C’est Sarah qui a raison. Elle aussi elle voit comme toi Khaled l’aveugle avec un lézard furtif de lumière dorée qui ne garde des gens que ce qu’ils donnent en passant… La légèreté des murmures de papillons à l’intérieur d’un flacon de verre.

 

Ecoute… Khaled l’aveugle… chaque soir depuis la terrasse du Tanagra assise face à mon soleil je me disais qu’en prenant ma course jusqu’à mon cagibi pour préparer la musette je finirai par m’arrêter à tes trop grandes chaussures de clown le temps de poser dans ta main une des pièces que j’avais préparées depuis si longtemps. Je me disais qu’avec toi parce que tu avais ce regard de bonté tranquille je le pourrais.

Je le pourrai parce que tu rendais au geste de donner son innocence. Mais ce qui m’ennuyait pendant que le goût juste amer du thé me chavirait c’était de ne pas connaître ton nom…

 

Ecoute…

Avant cette nuit infernale du 23 mai Sarah ignorait que j’avais toujours eu des problèmes avec mon nom… Elle l’avait pris comme il venait en faisant semblant que ça allait de soi… Certainement elle pensait qu’il y avait des tas de choses étranges dans la vie et qu’on aurait pu leur poser à chacune des questions sans qu’il y ait de réponse. Alors… il valait mieux se contenter du murmure des papillons à l’intérieur d’un flacon de verre.

Ecoute…

Cette nuit du 23 mai elle ressemblait vraiment aux autres avec son bleu indigo dans lequel plonger tout entière. Et il faisait si chaud que j’avais même attaché les bretelles de la salopette autour de ma taille par-dessus le tee-shirt rouge cerise trop grand qui flottait comme un cerf-volant sur ma peau. Je prenais le vent en poupe du côté des camions aux remorques de grosses tortues leurs carapaces se touchant avec Benjamin et les types qui buvaient leurs bières… Ils somnolaient un peu avant de repartir brouter le macadam leurs trop grandes chaussures collées à la pédale de l’accélérateur jusqu’à ce que la route devienne un sentier poussiéreux de lune…

Je ne sais pas ce qui m’a pris de retourner comme en suivant une piste avec les pieds du côté de l’entrée de l’entrepôt où le vent me semblait apporter l’été une odeur marine et des crissements de coquillages…

Sûrement Sarah venait d’arriver et on allait pouvoir se dire des choses avant que la machine se mette à nouveau à nous frotter les paumes comme des galets. De l’autre côté j’ai entendu la voix de Clarisse le Guadeloupéen qui parlait à quelqu’un que je ne pouvais pas voir dans l’entrebâillement du portail d’acier gris matou. J’ai cru que c’était un de ses copains qui passait parfois pendant la pause et tous les deux ils n’arrêtaient pas une minute de jacasser.

Mais là c’était différent parce que Clarisse avait l’air de répéter toujours les mêmes mots comme il le faisait quand il chantait… Mais il ne chantait pas. On aurait dit qu’il se repliait dans sa langue comme derrière un bouclier de mots qui porc-épiquent.

Alors je me suis approchée de la porte en essayant de me fondre le plus possible à l’intérieur du clair-obscur rougeoyant de l’entrepôt. Et j’ai entendu que la voix à laquelle Clarisse le Guadeloupéen répondait était celle d’une femme…

Presque aussitôt je l’ai reconnue et j’ai senti une sorte de patte aux doigts glacés se glisser dans mon dos sous le tee-shirt rouge cerise flottant cerf-volant. Il faut dire que les accents aigus qu’elle déployait exaspérant les voyelles telles des billes d’acier frottées je les connaissais au point d’en avoir une terreur terrible dans les replis de l’estomac…

- Laissez-moi entrer !… Je vais lui crever les yeux… Cette fille est un monstre vous entendez !… Vous connaissez son nom ,… Vous imaginez ça un nom pareil ?… Elle va savoir qui je suis !… Je vais lui crever les yeux !…

Ça finissait par ne plus avoir de sens tellement ça couinait comme un égorgement. Et les sonorités graves de Clarisse le Guadeloupéen lui retiraient le pouvoir de venir nous faire du mal. Je distinguais l’ombre de son corps aux membres trop grands de clown qui barrait le passage de son bouclier dansant.




A suivre...

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1 juillet 2008 2 01 /07 /juillet /2008 12:14

Hélène Cixous Alice Cherki/Frantz Fanon portrait fin

        Mais cette volonté de Fanon d'appliquer son expérience d'un moment de l'Histoire à une réflexion sur l'universalité et les causes réelles des violences réflexives échappait sans doute aux intellectuels de gauche français de qui on aurait pu attendre dans ce contexte un intérêt pour cette analyse. Ils ne semblaient pas en effet s'intéresser ni à ce moment-là ni après aux témoignages de ce que vivaient dans leur corps les Algériens ni même aux terreurs balbutiées des jeunes appelés. Tous ceux qui ont lu bien des années plus tard les récits réunis par Jean-Luc Einaudi dans son livre La Ferme Ameziane ont été frappés par la honte et les silences à peine rompus au travers desquels se font ces “ aveux ” d'un corps qui n'a aucun moyen de s'absoudre de son désarroi par le cri ou une quelconque gestuelle.
        Peut-être est-ce cette conscience lucide et visionnaire tout autant dans sa pratique médicale que dans le champ de son écriture qui va mener Fanon à dire de lui-même à cette époque : “ Je vais trop vite, (… ) et j'ai peur de me retrouver seul . Cette modernité dans la pensée et dans l'action il continuera de les appliquer en préconisant dans un de ses articles “ l'ouverture des portes des services psychiatriques, ‘ open door ’ déjà pratiqué dans les pays anglo- saxons. ” Il avait à ce moment également travaillé à mettre en place “ l'hospitalisation de jour ”. “ C'est là, à l'intersection des combats politiques, des innovations psychiatriques et des connivences amicales, (… ) que Fanon écrira, outre des articles et des conférences, L'An V de la révolution algérienne ”, livre qui paraîtra chez Maspéro en 1959.

“ Dans cet écrit, Fanon ne mentionne aucune des grandes déclarations, chartes et autres démonstrations de dirigeants. Il relate des manifestations simples et courantes de la vie quotidienne concernant non pas une élite mais le petit peuple. Il s'appuie sur son expérience à Blida, ses contacts avec les malades, leurs familles, les infirmiers, les militants locaux, et aussi sur son travail à Tunis, où il est amené à rencontrer de nombreux combattants et réfugiés algériens, traumatisés ou pas, venus des villes et des montagnes. Les récits de ces militants, réfugiés et malades venus de différents coins de l'Algérie en guerre sont une des sources essentielles de ce livre.”
Frantz Fanon Portrait

        On a déjà vu combien Fanon se sentait proche de l'Afrique avec sa participation au Premier Congrès des Ecrivains et Artistes noirs ainsi qu'aux développements et débats de Présence africaine fondée en 1947 par Alioune Diop. A partir de 1958 il y effectue de nombreux séjours durant lesquels il “ se fait le chantre de la solidarité africaine ” et se lance “ à corps perdu dans la réalisation de cette unité panafricaine ”. Cette façon d'ouvrir le champ de la révolution algérienne à toute l'Afrique est l'affirmation d'un destin commun à inventer respectant les particularismes “ des peuples construisant une nation ”, au large d'une ségrégation souvent évoquée entre Nègres esclaves et Algériens colonisés. Et à l'inverse elle exclut l'idée de combat pour “ la négritude ” ce qui en reviendrait à un monde clos sur lui‑même. Ici encore tout est mouvement et mise en acte créatrice d'un possible ouvert et néanmoins singulier.

… l'inévitable passage par la violence… ”  

        Après sa participation à Tunis en janvier 1960 à la Deuxième Conférence des pays africains naît entre autres de son intervention un texte intitulé Pourquoi avons-nous choisi la violence ? qui préfigure le développement de la symbolique de la violence des Damnés de la Terre. Il projette d'ailleurs en cette année 1960 le plan d'un livre qu'il abandonnera qui aurait été intitulé Alger-Le Cap et qu'il propose à François Maspero. Se sachant atteint de leucémie dès décembre 1960 il entreprend avec la méthode qu'il a toujours utilisée celle de la dictée de rédiger ce qui sera son dernier manuscrit.
        Dans son esprit, ce livre est en partie une réponse au besoin “ d'une telle réflexion en Afrique et en Algérie , et plus largement “ dans les milieux politiques du Tiers-Monde . La demande acceptée d'une préface à Jean-Paul Sartre qui “ partageait avec lui l'espoir ou l'exigence d'une autre relation des hommes entre eux ”, et sa rencontre avec celui-ci et avec Simone de Beauvoir seront une “ ultime reconnaissance aussi de la part de quelqu'un qui avait profondément marqué son trajet intellectuel depuis ses vingt ans ”.
        Fanon, à travers ce texte nous met en face de l'inévitable passage par la violence personnelle d'abord et peut-être - la question reste posée à ceux qui s'avouent l'échec des mouvements non-violents - par la violence collective. Démarche de la pensée qui reste dans l'inachèvement par la force des choses. Les Damnés de la Terre parus chez Maspéro en novembre 1961 seront interdits dès leur parution comme plusieurs des livres de Fanon et d'autres écrivains à cette époque confirmant ainsi que nous n'étions pas encore prêts de transformer nos interdits en inter-dits.

        “ De même que dans Peau noire, masques blancs, il écrit à partir du corps, mais à corps perdu au sens propre comme au sens figuré. Et cette écriture soutient l'intensité du contenu des cinq chapitres qui composent le livre. (… ) Fanon ne s'arrête plus seulement à la description de la situation coloniale, même s'il la reprend encore plus fermement que dans L'An V. Il analyse la décolonisation “ qui doit porter sur l'être ”, “ être une décolonisation de l'être ”.
Les Damnés de la Terre - Frantz Fanon Portrait

        La théorie de Fanon à laquelle nous sommes bien obligés de souscrire si nous voulons tenir compte et de l'authenticité de nos expériences vécues et de l'observation d'un monde où nous évoluons, en état constant de “ violence soft ”, est que la “ décolonisation de l'être ” ne peut se faire sans violence, compte tenu de la violence que secrètent les sociétés et les différentes formes de pouvoirs. Cela concerne la situation coloniale, mais il en va probablement de même pour toute forme d'aliénation, individuelle ou collective.
        Aliénation qui nous renvoie toujours au corps car le plus souvent dans une situation de contrainte et d'humiliation seul le corps peut exprimer son refus “ par une tension permanente ”. La question “ où passe la violence du colonisé ? ” peut être élargie par exemple à celle du choix ou du non-choix pour nous-mêmes colonisés par les concepts de la société de consommation et aux actes de ruptures qui en résultent.
       Ce sont des formes de violence indirecte qui ont le plus souvent dans le monde occidental pris la place de celles des conflits et des contraintes exercées par les religions les coutumes archaïques et les oppressions diverses. Mais l'absence de choix réel de société pour un individu en est une tout aussi destructrice par la marginalité sans issue qu'elle finit par provoquer.

“ Aujourd'hui, nul ne peut échapper au constat que ce sont les sociétés qui secrètent la violence, même si elles la dénoncent, et cette dénonciation les rend encore plus violentes. ”
Frantz Fanon Portrait

        Les parti pris de Fanon à ce sujet ont paru à beaucoup de ses amis à la fois incompréhensibles et exagérés le classant du côté des apologistes de la violence. La plupart d'entre eux n'ont pas admis la théorie selon laquelle la décolonisation de l'être serait un “ temps de ‘ désordre absolu ”. Sa réflexion sur les similitudes entre l'état du colonisé et celui du malade mental tous deux exclus des rapports humains et sociaux auxquels chaque être libre peut normalement prétendre en arrive à la conclusion du “ non-langage ” excluant toute possibilité de communication autre que celle souvent “ brute ” voire brutale du corps.
        Mais Fanon qui en tant que Noir a eu à affronter les insultes raciales sait de quoi il parle lorsqu'il dit que “ la haine ne saurait constituer un programme ”. Etant entendu qu'elle n'est destinée qu'à un temps précis de la prise de conscience de soi et à être dépassée. Il insiste notamment sur ce qu'il pensait être le rôle de tout véritable révolutionnaire “ ouvrir l'esprit, l'éveiller, le mettre au monde, ‘ inventer des âmes…”
        Fanon se réfère toujours en raison de la période précise où il vit qui est celle de la décolonisation des pays d'Afrique à des sociétés où les individus ont été colonisés ou réduits à l'état d'êtres inférieurs. “ Mais il prolonge cette analyse au-delà de la situation coloniale, car pour lui toute société qui n'ouvre pas à ses membres - surtout les plus déshérités - un espace de parole non dévalué est violente, et cette violence qui les exclut appelle la violence pour conquérir le pouvoir de s'exprimer.” Cette référence à la parole reconnue et à une non‑hiérarchisation des langages utilisés pour se dire renvoie dans notre univers citadin de la modernité au dialogue devenu impossible entre ceux des espaces périphériques dont la langue est de plus en plus orale et métissée et ceux qui occupent la place privilégiée à l'intérieur de la cité où la langue dite classique est considérée comme unique véhicule de la culture.
        En fait, cette réalité du dominant-dominé que les sociétés occidentales avaient exportée au loin se retrouve désormais enclose à l'intérieur de leurs murs et il n'est pas étonnant que Les Damnés de la Terre aient été un livre phare pour les Noirs américains des années soixante. Ceux qui faisaient partie des deux mouvements les plus importants de cette époque, les Black Panthers et le Black Power étaient confrontés également à la réappropriation de la violence tournée jusqu'ici contre eux et au moyen de s'en servir pour se construire. “ Cette violence est utilisée de façon mesurée comme autodéfense, puis comme revalorisation.”

        Quant à la société du spectacle dans laquelle nous vivons et élaborons nos propres mises en scènes intimes pour résorber cet excès d'insupportables tragédies quotidiennes s'y côtoient comme des continents à la dérive et s'y frôlent les plus grands impensés des violences et des aliénations ancestrales qui nous manient telles des marionnettes au-dessus d'une scène où nous ne mettrions jamais pied à terre. Cette sensation d'être suspendus hors de son corps‑même d'être manipulé par des forces inconnues d'être agi à sa place est ce qui arrive à chacun de ceux qui n'a pu faire le choix de ce qu'il veut être en rupture avec ce qui le nie. Peut-être notre chance est-elle aujourd'hui de ne pouvoir fuir cette civilisation métisse qui est venue à nous avec les premiers ouvriers immigrés il y a une quarantaine d'années et qui est devenue la nôtre.
        C'est elle qui est en train de nous entraîner malgré nous à penser cet impensable et à inventer une langue pour le retracer. Ceux qui ont fait le choix de l'écriture comme médiateur entre la cruauté d'un monde qui leur demeure étranger et les rejette de toute façon et la violence qui en eux demeure génératrice de vie de mouvement, de passion créatrice en devenir peuvent sans doute faire également leur cette affirmation : “ L'écriture devient la scène où réinscrire le drame de son rapport au monde. ”
        Cette langue dont nous avons besoin aujourd'hui “ truffée d'images issues du corps et des sensations ” pour nous dire multiples Fanon en pressentait et en inventait il y a quarante ans certains rythmes que celles et ceux qui ont vécu comme moi un métissage culturel au cours de leur enfance et de leur adolescence reconnaissent. A nous désormais pour qui l'origine n'est qu'un terrain vague infini entre ici et ailleurs de tenter de répondre à la question posée par Alice Cherki à la fin de son livre : “ Comment déconstruire une langue et la faire vibrer autrement ? ”

Image du Magazine Fumigène 2007       

       “ S'ouvre ainsi la liberté qu'une langue en affecte une autre et qu'elles acquièrent finalement toutes les deux le même statut, celui de ne jamais pouvoir vraiment dire l'origine. ”
Frantz Fanon Portrait

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30 juin 2008 1 30 /06 /juin /2008 22:58

Destinée d'araignée

Epinay, dimanche, 22 juin 2008

File file petite araignée
L’étrange fil de ma destinée
Ton recoin obscur rare au soleil
Pétille de savanes sans pareilles

Ton chemin sous l’argent et les palmes
Englouti jette des grappins calmes
Sur mes mangroves d’argile naines
Sur mes marigots graves à la traîne

Toi tisseuse de lisse nocturne
Et moi ravisseuse des cothurnes
Ecarlates des chats de Sumer
Ou d’Abyssinie détroussons chimères

Et caféiers d’Erythrée qui glissent
Liqueur d’ébène sous nos pelisses
Qu’aux yeux des fillettes on se pare
De rimmel d’or noir de khôl de Harar

Vers l’Arabie heureuse acrobate
Sur ton filin frêle je me hâte
Les feux sourds d’Orient nous fiancent
Leurs laines nous vêtent d’outre nuances

 
File file petite araignée
La quenouille nue de nos étés
Comme les femmes le coton noir
D’Aden je rembobine notre histoire

Tu sais seule les sources nomades
Donnant naissance à nos promenades
Indigo teinte nos labyrinthes
Et boit la rosée des cités éteintes

Dans mes pas de géante tu tends
Ta corde à linge et la lune y pend
Ses draps où dorment des photophores
Gouttes d’eau vertes qui sont nos trésors

Toi ouvrière inconnue des contes
Ton attente reine à tout s’affronte
Tu défais le jour au pas des nuits
Ta navette noue du rêve à l’ennui

Quand tes doigts fins trament mes roseaux
Mes burineurs d’aveux ton fuseau
Défie mes chants outrage tu changes
Mes frissons d’encre rageurs sous les langes

Chevalière des licornes grises
Au lacet des frondes d’algues prises
Tu cardes des chardons hérissons
Bleus les cris des hommes à l’unisson

File file petite araignée
Sur le sol de cuivre dédaigné
Que danse l’écheveau de ton escorte
Guérisseuse de mon chagrin d’eau forte

File file petite araignée
L’étrange fil de ma destinée
Ne cesserons jamais de relier
L’obscure clameur des voix oubliées.























Commune libre de Drancy 1928

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27 juin 2008 5 27 /06 /juin /2008 23:40

Une enfance bohême d'écrivain ordinaire suite...

       Elle se rappelle de ce moment-là où elle voulait trop fort entrer dans le campement s’asseoir au milieu d’eux faire partie de la grande tribu venue d’ailleurs…
        Les seuls qui se tenaient debout c’était les hommes qui portaient le même béret noir que Sergio et qu’Antonin elle ne voyait que leur silhouette trapue et sombre car ils tournaient le dos au reste de la gare grouillant et agité comme s’ils montaient la garde sur quelque chose perdu là-bas au bout des rails qu’elle ne pouvait pas deviner…
        Cet endroit vague à l’autre bout très loin qui faisait partie de leur passé et qu’ils semblaient vouloir retenir à tout prix jusqu’à ce que soudain une autre voix qui surgissait de ce côté-ci le leur à l’extérieur du cercle une voix avec les accents rauques et graves comme celle de Sergio quand il parlait avec ses frangins espagnols un peu plus que trois mots alors… une voix les alpaguait les faisait sursauter se retourner d’un bloc leurs longues vestes de laine brune bondir direction de ceux qui arrivaient…
        C’était des gens de chez eux sûr vu comme ils se serraient dans les bras se tenaient fort au cœur du tohu-bohu de l’immense entrepôt et tout autour le campement frémissait bruissait s’ébrouait… il avait l’air de reprendre de la vie pareil à un voyageur enfin arrivé et qui va pouvoir retirer ses chaussures et boire le café très fort de l’accueil et de la bienvenue…
        - La bienvenue !… la bienvenue !… c’était ça qu’ils criaient avec des grands gestes des moulinets des manches qui dépassaient de leurs costumes de travailleurs d’ici les autres… ceux-là qui arrivaient déboulaient fonçaient de l’intérieur de la foule qui s’en fichait bien ils avaient gardé le béret c’était un signe qu’on ne pouvait pas leur enlever…
        A chaque fois qu’ils venaient dans ce coin de la gare avec Antonin et qu’elle retrouvait au même emplacement le campement qui attendait elle posait la même question et il lui répondait en serrant sa main pour l’emmener :
        - Pourquoi ils sont là ?… ils ont pas de maison ?…
       - Ce sont des gens du Sud chez eux c’est la misère alors ils viennent pour chercher du travail… donner une vie meilleure à leur famille…
        - Ils vont aller où pour trouver une maison ?
        - Dans les cabanes de la banlieue… les Portugais c’est à Champigny qu’ils crèchent… par là… c’est de l’autre côté…
        Il faisait une sorte de geste et elle regardait elle essayait d’imaginer où c’était … par là… elle y arrivait pas c’était trop loin sans doute… mais juste à côté de là où elle habitait y en avait plein des cabanes dans les terrains où les chiens aboyaient quand on passait contre le grillage et les bouts de tôle qui faisaient des sortes de barrières… elle aimait bien… un bidonville ça s’appelait… 

        Elle a sauté Hop ! Hop ! la motrice du TGV elle somnolait quand elle l’a dépassée la gare les escaliers roulants où les pigeons radinent les râfleurs de casse-croûte en haut vite fait elle traverse retrouve la rue avec les palmiers qui font les vigiles elle les connaît bien les maîtres du désert… Elle les a retrouvés partout où elle est allée paumer un peu d’la peau de ses pieds sur les trottoirs bitumes des villes maquillés de sable rose du Sud oh ! pas très loin… mais ils lui ont toujours donné leur force quand elle craquait de partout…
        Quand elle ramait dans les parages de Cordoue qu’elle avait percuté les centaines de piliers rouges blancs de la mosquée et ses mirages que ça lui faisait là-dedans… des caravanes de chameaux qui piétinaient le sable rose sous le chargement des plaques de marbre qu’il avait fallu pour construire ça… des milliers de chameaux au poil ocre roux et café crème épais rebroussé par les bourrasques de sel et sur leurs babines aussi et les grands touaregs enroulés capuchonnés leur cheich indigo et leur burnous à l’intérieur de la mosquée vous croyez pas ?…
        Que je vous largue avec tous ces détours c’est ce que vous vous dites probable mais non… C’est qu’à chacune de ses sorties forcées direction Montpellier et sa bande de palmiers elle se voit au dessous du porche phénomène la hauteur d’un éléphant d’Afrique pas moins de la mosquée de Cordoue et elle bondit dehors de la gare et c’est pareil que la fois d’avant… La rue qui monte de la gare tout le monde la repère celle qui va d’une foulée débouche sur la Place de la Comédie et ses bistrots luxe pour les gens qui pompent la bohême des gamins au bord des caniveaux avec leurs chiens mais c’est rien que de la mauvaise imitation…
        La rue elle la voit du parvis même elle lui grimpe au fond des mirettes et ce qu’elle croit sûr c’est que quand elle n’la verra plus avec ses délires mirlitons ça sera total bouclé la bonne aventure… La rue alors que je vous la décrive… C’est une avenue plus large que si on mettait plusieurs dizaines d’éléphants de front avec leur équipages et le sol il époustoufle alentour de ses dalles marbre ivoire frottées que ça reluit comme des draps qui sont des nappes de soleil… un damier rutilant qu’éblouit de ses blocs d’ambre qu’ont l’air obscurs appuyés aux blancs des coupoles et des palais… C’t’une rue pour des princes des palais orientaux que les maîtres palmiers gardent de chaque bord normal mais non !…
         Y’a pas de palmiers du tout vous rêvez vous autres !… C’qu’y a ce sont des colonnes des rouges et des blancs emmêlés comme des chandelles de pierre figées coulées là des chevalières immobiles qui ont rejoint la toiture des bleus marins tellement indécents que les ciels d’ici vous dénudent au premier regard venu pour le plaisir c’est tout… Les colonnes elles sont là j’vous jure que je n’vous emberlificote pas d’histoires… Elles font qu’un avec le streaptise des bleus de la voûte ses dessous de soie qu’elle lui balance c’est dingue !… C’est à c’moment-là qu’elle se réveille pour de bon et qu’elle se me décide avec le sac à dos où y a son matériel d’écriture son bouquin de Bukowski qui n’la quitte pas et ses fringues bouchonnées à remonter en plein milieu malgré les véhicules à moteur qui se sont gourés d’époque sur ses sandales de brousse la rue dallée de marbre que le sable rose barbouille…

        La chaleur du Sud aussitôt elle lui colle mais c’est bon et ça lui donne encore plus le goût des mirages sur la langue le sel qui se glisse et elle lèche ses lèvres desséchées en faisant frotter les semelles des sandales sur le sol qui crisse… la sueur à l’intérieur de la chemise dans le dos lui dit qu’elle est arrivée et malgré tout le reste elle sent la joie de Cordoue qui la mord et lui refile sa folie…     
        Au troisième coup de langue sur ses lèvres salées comme d’océan la salive s’évapore plus vite l’air chaud épais lui plaque son cheich sur la bouche et elle visionne dans un éclair la petite figure du greffier Oncle Ho qui attend qu’elle radine le soir en haut de l’escalier le bout de sa baveuse coincé entre ses deux canines de félin dans sa posture de Sphinx des banlieues comique et vorace…
        Elle a sauté Hop ! Hop !… bondi en avant sans s’arrêter pas une petite pause sinon elle savait c’qui l’attendait du côté des jeunes assis au pied de la fontaine qui les postillonnait de rosée avec leurs chiens rigolos qui cherchaient tous à s’arracher les muselières et elle s’est dit que c’est pas aux chiens qu’il faudrait les mettre… Elle a traversé la place dans l’angle à gauche pour attraper une ruelle tordue parmi les plus moches mais où ça commence à sentir bon dès le début les odeurs moites de la boulange qui mènent un combat de catch jusqu’au bout avec des relents de pisse et des frissons de menthe qui pousse sur les fenêtres…
        Elle a acheté cinq petits pains au lait dans la même boutique depuis des années son parcours familier du centre ville pour tenir toute la séance de grignotage de ses p’tits sémaphores dans sa tête qui lui servent pour son écriture… ce qui l’attend ces réunions à en plus finir que les filles de la revue où elle est correctrice lui font ingurgiter une fois par mois c’est pire… tous ces bouts de son temps à suivre les caravanes de chameaux et d’éléphants qu’on va lui voler parole de lézard !…
        En engloutissant le premier petit pain elle a encore la vision flash d’Oncle Ho vautré sur le paillasson guetteur placide des heures qui passent au moins une bonne raison pour qu’elle revienne… avec les trains c’est toujours la question… mais Oncle Ho et la mosquée de Cordoue cette aventure verticale comme la lumière violette qui tombe sur eux de la coupole percée d’alvéoles de nacre… je vous raconterai… Ouais y a pas… faut vraiment qu’elle revienne… Hop ! Hop !…
A suivre...                    
           

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