" Le soulèvement du Ghetto de Gaza "
Camp de Khan Younès au Sud de Gaza en 1993
Si j'emprunte à Joseph Massad professeur de politique arabe et d'histoire intellectuelle à l'Université de Columbia le titre de son article c'est que je le trouve terriblement fort et beau et qu'il me parle car je souhaire qu'au-delà des morts et des blessés qui garderont à jamais l'empreinte du massacre qu'ils subissent aujourd'hui les Palestiniens parviennent quant à eux à sortir renforcés dans leur solidarité fraternelle et dans leur obstination à demeurer libres de cette infâmie.
Voici quelques extraits de son texte qui relient fort justement en ces jours où le fascisme est en train de prendre un autre visage les Juifs du Ghetto de Varsovie aux Palestiniens de Gaza.
Le soulèvement du Ghetto de Gaza
Mardi,6 janvier 2009
Joseph Massad
The Electronic Intifada
( … ) C’est d’ailleurs la même Tzipi Livi qui, il y a seulement quelques semaines, informait les citoyens palestiniens d’Israël qu’elle envisageait leur dénationalisation et leur déportation vers les bantoustans palestiniens, une fois qu’Israël et la communauté internationale auront reconnu à ces prisons de Cisjordanie le statut d’Etat palestinien indépendant, enfermé derrière le mur d’apartheid. ( … ) Contrairement à elle et aux dirigeants israéliens dont les idéaux et les projets de nettoyage ethnique visent à faire d’Israël un Etat purement juif vidé des Palestiniens ( Palästinenser-rein ), la plupart des Palestiniens croient qu’ils resteront sur leurs terres, même et surtout si cela souille la pureté d’un Israël juif.
Livni a également affirmé que les valeurs d’Israël étaient partagées par le “ monde libre ” et par les régimes arabes libérés qui sont les alliés du “ monde libre ”. Ajoutons que ces valeurs sont également partagées par les intellectuels arabes néolibéraux subventionnés par les Saoudiens, et par la direction de l’Autorité collaborationniste palestinienne casée dans la zone verte de Ramallah. Les valeurs civilisées d’Israël ne sont pas différentes de celles défendues par les Etats-Unis dans leur guerre constante contre les Arabes et les musulmans, et elles sont très proches des valeurs coloniales européennes de la grande époque du colonialisme et au‑delà.
Livni et les dirigeants israéliens parlent de droits de l’homme, de démocratie, de paix et de justice comme valeurs universelles, mais ils ne les appliquent qu’aux juifs et les refusent surtout aux Palestiniens. Cela n’est guère qu’une ruse israélienne. Souvenons-nous des propos impérissables de Frantz Fanon à cet égard : “ Quittons cette Europe qui n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde. ”
Le 19 avril 1943, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis se rencontraient aux Bermudes, vraisemblablement pour discuter de la situation des juifs dans l’Europe occupée par les nazis. Ce fut aussi le jour où les nazis lançaient leur attaque contre les juifs qui restaient dans le Ghetto de Varsovie, y rencontrant une résistance inattendue, pleine de courage. Bien peu est ressorti de la conférence des Bermudes et la guerre a continué contre le Ghetto de Varsovie, sans interruption. La résistance juive dans le Ghetto de Varsovie a exécuté des juifs qui collaboraient avec les nazis et s’est bravement affrontée à l’armée nazie avec le peu d’armement qu’elle possédait, avant d’être exterminée. Son soulèvement a toujours été une source d’inspiration pour les Palestiniens.
A l’âge d’or de l’OLP, symbole de la libération palestinienne, l’organisation déposait une couronne mortuaire sur le monument au Ghetto de Varsovie, en l’honneur de ces héros juifs quLa résistance des juifs du Ghetto de Varsovie contre l’occupant.
Szmul Zygielbojm était le dirigeant du parti socialiste juif, le Bund en Pologne et avait participé à la résistance contre l’invasion nazie en 1939. Il sera plus tard otage des nazis puis libéré et deviendra membre du Conseil juif, ou Judenrat - l’équivalent pour les nazis de l’ACP créée par les Israéliens -, qui fut chargé de la construction du ghetto juif à Varsovie. Zygielbojm s’est opposé à l’ordre nazi et a fui en Belgique, en France, aux Etats-Unis, et en 1942 il a fini à Londres où il a rejoint le gouvernement polonais en exil. Le 12 mai 1943, après avoir été informé que la résistance dans le Ghetto de Varsovie avait finalement été écrasée et que beaucoup de ses combattants avaient été tués, Zygielbojm a ouvert le gaz dans son appartement à Londres et il s’est suicidé pour protester contre l’indifférence et l’inaction des Alliés devant la situation désespérée des juifs dans l’Europe occupée par les nazis.
Ce qu’il a ressenti, c’est qu’il n’avait pas le droit de vivre après que ses camarades aient été tués en résistant aux nazis. Dans sa lettre de suicide, Zygielbojm insiste sur le fait que pendant que les nazis se rendaient responsables de l’assassinat des juifs polonais, les Alliés, par leur inaction, s’en rendaient aussi coupables :
“ D’après les dernières nouvelles qui nous viennent de Pologne, il est clair, au-delà de tout doute, que les Allemands assassinent actuellement les derniers survivants juifs de Pologne avec une cruauté sans borne. Derrière les murs du Ghetto, le dernier acte de cette tragédie se joue.
La responsabilité de cet assassinat de toute la nationalité juive de Pologne repose d’abord sur tous ceux qui y ont participé, mais indirectement elle retombe aussi sur l’ensemble de l’humanité, sur les peuples des nations alliées et leurs gouvernements qui, jusqu’à ce jour, n’ont pris aucune véritable mesure pour mettre fin à ce crime. En regardant passivement cet assassinat de millions d’enfants, de femmes et d’hommes sans défense, ils ont pris une part de la responsabilité...
Je ne peux continuer à vivre et à rester silencieux pendant que les survivants de la communauté juive de Pologne, dont je suis un représentant, se font assassiner. Mes camarades dans le Ghetto de Varsovie tombent les armes à la main dans une ultime bataille héroïque. On ne m’a pas permis de tomber comme eux, avec eux, mais je les rejoins après leur mort à tous.
Par ma mort, je tiens à exprimer ma plus profonde protestation contre l’inaction dans laquelle le monde s’est contenté de regarder et qui a permis la destruction du peuple juif... ” ( … )
Le peuple palestinien, comme Zygielbojm avant lui, a très bien compris qu’Abbas, sa clique, les régimes arabes, les Etats-Unis et l’Europe étaient tous responsables de leur massacre tout autant qu’Israël. Zygielbojm a, dans son cas, condamné les puissances du monde pour leur indifférence et leur inaction, dans le cas des Palestiniens, les puissances mondiales et régionales sont des co-conspiratrices et des partenaires actifs dans le crime.
L’écrasement du soulèvement du Ghetto de Gaza et le massacre de sa population sans défense seront une tâche relativement aisée pour la machine de guerre militaire superpuissante israélienne et la direction politique sadique d’Israël. C’est en rapport avec une détermination palestinienne renforcée à continuer de résister à Israël, une détermination qui va se révéler beaucoup plus difficile à affronter pour Israël et ses alliés arabes.
Si des milliers de Palestiniens tués et blessés sont les principales victimes de cette dernière guerre terroriste israélienne, le principal perdant de tout cela sur le plan politique sera Abbas et sa clique de collaborateurs. Le défi pour la résistance palestinienne maintenant est de continuer à refuser à Israël le droit de dominer sa population, de voler sa terre, de détruire ses moyens de subsistance, de l’emprisonner dans des ghettos et de l’affamer sans résister.
La seule constante dans la vie des Palestiniens de ce dernier siècle d’atrocités sionistes a été de résister contre le projet sioniste de les rayer de la surface de la terre. Tandis que le sionisme, depuis son implantation, recherche et recrute des collaborateurs arabes et palestiniens dans l’espoir d’écraser la résistance palestinienne, ni Israël ni aucun de ses collaborateurs n’ont été capables de l’arrêter.
La leçon que le sionisme a refusé d’apprendre, et refuse toujours d’apprendre, c’est que le désir ardent des Palestiniens de se libérer du joug sioniste ne pourra pas s’éteindre, quelle que soit la barbarie à laquelle peut arriver Israël dans ses crimes. Le soulèvement du Ghetto de Gaza marquera à la fois un nouveau chapitre de la résistance palestinienne au colonialisme, et la dernière brutalité coloniale israélienne dans une région où les peuples n’accepteront jamais la légitimité d’une implantation coloniale européenne raciste parmi eux.
Et comme chaque jour depuis que le massacre de Gaza se poursuit voici quelques mots de poésie palestinienne... Il s'agit d'un poème de Mahmoud Darwich qui est suivi d'un extrait d'un entretien qu'il a eu avec le poète libanais Abdo Wazen dont il est né un livre Entretiens sur la poésie publié aux Ed. Actes Sud.
La terre nous est étroite et autres poèmes
Ed. Gallimard, 1994
Mahmoud Darwich
“ Onze astres sur l’épisode andalous ”
La vérité a deux visages
Et la neige est noire
La vérité a deux visages et la neige est noire sur notre ville
Nous ne pouvons désespérer plus que nous ne l’avons fait, et la fin marche vers
Les remparts. Sûre de ses pas
Sur ces dalles mouillées de larmes. Sûre de ses pas
Qui mettra en berne nos étendards ? Nous ou Eux ? Et qui
Nous donnera lecture du Pacte de paix, ô roi de l’agonie ?
Tout est apprêté pour nous. Qui dépouillera notre identité de nos noms ?
Toi ou Eux ? Et qui posera en nous
Le sermon de l’errance : “ Nous avons été incapables de briser l’encerclement
Remettons les clefs de notre paradis à l’émissaire de la paix, et nous serons saufs… ”
La vérité a deux visages. Notre emblème sacralisé était un glaive dans nos mains
Et un glaive pointé vers nous. Qu’as-tu fait de notre forteresse avant ce jour ?
Tu n’as pas combattu car tu crains le martyre, mais ton trône sera ton cercueil
Porte ton cercueil et préserve le trône, ô roi de l’attente
Ce départ nous laissera poignée de poussière
Qui enterrera nos jours après nous ? Toi ou Eux ? Et qui
Hissera leurs bannières sur nos remparts : Toi ou
Un cavalier désespéré ? Qui suspendra leurs cloches sur notre voyage
Toi ou un pauvre garde ? Qui suspendra leurs cloches sur notre voyage
Toi ou un pauvre garde ? Tout est apprêté pour nous
Pourquoi éterniser la fin, ô roi de l’agonie ?
Les cinq entretiens avec Abdo Wazen ont été publiés dans le quotidien arabes de Londres Al‑Hayât, en décembre 2005. Celui avec Abbad Beydoun a paru dans le quotidien de Beyrouth As-Safir, le 21 novembre 203
Traduits de l’arabe ( Palestine ) par Farouk Mardam-Bey
Actes Sud, Collection “ Mondes Arabes"= ”, octobre 2006
Présentation de l’éditeur :
Dans ces cinq entretiens avec le poète libanais Abdo Wazen, Mahmoud Darwich apporte de précieuses informations sur sa vie et son œuvre, et notamment sur ses derniers recueils marqués à la fois par un renouvellement thématique et par une grande exigence formelle. Prolongeant son précédent livre d’entretiens, La Palestine comme métaphore, il précise ses positions sur l’engagement politique de l’écrivain, rend hommage à quelques grands poètes européens du XXe siècle, aborde sa production poétique arabe depuis le début des années 1950 jusqu’à nos jours et, surtout, explique comment naît un poème, à partir d’une idée, d’une sensation, d’une image ou d’une cadence. L’ensemble est sous-tendu par sa lancinante réflexion sur la frontière ténue entre la poésie et la prose.
L’entretien avec Abbas Beydoun complète ses propos sur le métier de poète et sur les débats qui agitent la scène poétique arabe.
Abdo Wazen – Vous avez dépassé la soixantaine, mais vous ne cessez de rajeunir sur le plan poétique ?
Mahmoud Darwich – Mon secret n’est pas si compliqué.
Abdo Wazen – Il n’est pas simple non plus !
Mahmoud Darwich – Je ne dis pas qu’il est simple d’un point de vue littéraire, mais il l’est dans ma manière d’en parler.
D’abord, je ne me satisfais jamais de ce que j’écris et je suis perpétuellement en quête d’un nouveau langage qui permette à ma poésie de devenir … plus poétique, si je puis dire. J’essaie sans relâche d’alléger la pression qu’exerce le moment historique sur mon écriture poétique sans pour autant ignorer ce moment.
Ensuite, je ne crois pas aux applaudissements. Je sais qu’ils sont passagers, trompeurs, et qu’ils peuvent détourner le poète de la poésie. Je suis en fait hanté par cette idée parce que je n’ai pas encore écrit ce que je voudrais écrire. Vous me demanderez : "Et que voulez-vous écrire ?" Et je vous répondrai : "Je n’en sais rien !" Je me meus dans une contrée inconnue, à la recherche d’un poème qui soit capable de dépasser ses conditions historiques, de vivre dans un autre temps. Voilà ce que je cherche, mais comment parvenir à l’expliciter ?
Il n’y a pas de réponse théorique à cette question. La réponse se situe forcément dans la création poétique elle-même. Tout ce qu’on dit à propos de la poésie n’a de sens que s’il est réalisé effectivement, dans l’écriture poétique. Je suis toujours inquiet, insatisfait de ce que je fais, et c’est là mon secret.
Je vous dis en toute sincérité : je ne lis jamais ma poésie, je ne la relis pas, si bien que je l’oublie. Cependant, avant de la publier, je ne cesse de la réécrire et de la polir. Une fois le recueil édité, je considère qu’il ne m’appartient plus, qu’il appartient désormais aux lecteurs et aux critiques.
La questions la plus difficile que je me pose alors est la suivante : que faire maintenant ? Je me sens totalement démuni, habité d’une inquiétude existentielle. Serai-je capable d’écrire de nouveau ? Chaque fois que je publie un livre, j’ai l’impression que c’est le dernier.
Site de François Xavier sur Mahmoud Darwich
http://mahmoud-darwich.chez-alice.fr/entretiens.html