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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

Texte Libre

Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

19 novembre 2009 4 19 /11 /novembre /2009 00:26

Ils n’ont vraiment pas honte…

Epinay, 11 novembre 2009     

 

Ouaouf ! Je ne sais pas ce que vous en pensez vous mais moi les commémorations ça m’a toujours fait suer et ça a une odeur de truc réchauffé des centaines des milliers de fois pour nous enfumer le terrier bien comme y faut et qu’on se laisse faire ouallah !… Heureusement qu’y a des types formidables qu’on peut encore aimer et respecter nous autres les ouistitis de la lune des qui ont la plaisante idée de les prendre à rebrousse-poil les commémorations en nous laissant à nos pâquerettes le jour pile des flonflons obligés ressassés rassis… Ouaouf !

Y a notre Léo qui s’est tiré un 14 juillet c’est du pas croyable quand on y repense et ça incite à la vraie révolte la bonne la totale celle des ouvriers de la CNT à Barcelone et des travailleurs grévistes en France dans cette fameuse année 1936 et de tant d’autres encore… Et pis pour ce 11 novembre ahurissant de bêtise gonflante quand on sait qui et comment ils l’ont magouillée la petite guerre pour les tenir les prolos justement hein ? eh bien on a désormais le combattant palestinien Yasser Arafat qui lui n’a jamais rien lâché de la cause de son peuple comme le dit si justement René Naba dans on article et sur son blog… Ouaouf !

J’sais pas ce que vous en pensez mais moi franchement je trouve qu’ils sont gonflés et que vraiment alors ils ont pas honte… Ouaouf ! Ouaouf ! La honte d’ailleurs l’achouma comme ils disent les Arabes… eux les blaireaux qui décident des teufs bourges et nationalo machin ils ne savent pas du tout ce que c’est faut croire depuis le temps qu’ils se remplissent le bide avec la misère des p’tits mômes palestiniens et qu’ils dévorent de la barbaque nourrie au tourteau de soja cultivé volé aux populations des pays d’Afrique qu’ils regardent en se bidonnant crever la gueule ouverte ! Ouaouf !

Donc y a deux jours ils nous ont encore une fois tous ensemble les marioles des radios nationalo… toujours ce mot que j’arrive pas à écrire c’est pas du langage chien rien à faire ! Ouaouf ! enfin vous voyez de quoi on cause mézigue et le clébard des rues… encore une fois bourré les esgourdes avec la fête incontournable de la chute du mur… Y a pas à dire ils l’ont bien vissée leur opinion que la population qu’est à l’écoute est bonne pour l’abrutissage l’équarrissage le laminage intérieur complet et le vidage de toute sa compréhension de l’histoire des êtres qui l’entourent et qu’on peut y aller Zouh !…

Faut quand même pas manquer de souffle au‑dedans de son gros ballon rempli à donf de vide qui leur sert de ciboulot pour venir nous bassiner avec le conte qu’y aurait eu d’un coup comme ça la fin d’un monde pourri d’un côté celui des autres les ahuris méchants des communos avec leurs idées qui ne font rien qu’à empêcher de vivre gras repus ravis et de l’autre l’arrivée providentielle et vermeilleuse d’un monde heureux et bon… Ouaouf ! le leur le “ nôtre ”… Enfin pas le mien ni celui du clébard sauvage et rebelle qui m’accompagne Ouaouf !

Faut être dégoutté de rien du tout pour nous faire des pages et des pages de raminagondis sur la liberté qu’est arrivée avec ses bottes de sept lieues la gredine… et qui a submergé toute l’Europe le reste on s’en tape de sa présence bienveillante youpi ! Mais si jamais on l’avait la liberté désormais ça serait la liberté de quoi au juste ? Probable que la seule l’unique qu’ils ont été capable de répandre de renverser de bitumer sur tous les autoroutes de la pensée la seule qu’est convenable à leurs yeux de grands libérateurs du monde blanc judéo‑catho gréco‑latin c’est d’en avoir pas lerche d’idéal et d’idéologie et surtout pas de ceux – les idéaux – qui donnent envie de se révolter ensemble contre leurs magasins à bouffe et à choses qui débordent qui débondent qui dégueulent et qui nous ont anéanti notre intuition populaire en un siècle à peine…

Ouaouf ! La liberté d’entrer à donf les pattes ligotées le museau muselé le cerveau électrochoqué dans leur société mondiale morbide qui fait que pour vivre comme des blaireaux vieux et moches avec des apparts des baraques à crédit des bagnoles des écrans géants des consoles de jeu des fringues de pseudos riches des bijoux des sacs à main d’imitation des billets du loto des collines de déchets nucléaires à crédit faut noyer les moutards du Sud dans des marées blanches de lait qui coûte pas assez cher et des marées noires de biocarburants raflés aux forêts du Brésil par des hectares de canne à sucre qui sucrent les fraises de la p’tite planète crevée pourrie comme un chien Ouaouf !

Sûr que cette liberté‑là elle a honte de rien elle… Et les murs qu’elle construit qu’elle bétonne qu’elle fomente à l’intérieur de la tronche des gens depuis qu’ils ont arrêté de lutter solidaires pour des utopies humaines et généreuses et qu’ils se sont laissés investir par le plaisir mortifère de posséder le plus d’industries d’armement le plus de généraux et de militaires dévoués le plus de centres de torture et de polices secrètes bénis par les curetons les rabbins les imams et tous les autres adorateurs du dieu qui déjà quand on était p’tits nous pompait l’air à nous empêcher de roupiller le matin pour aller servir les messes de la bêtise et de la soumission à des tyrannies de frustrés et des promesses de s’en mettre plein le cornet destinés à protéger leurs fabuleuses et fascinantes sociétés d’adorateurs du pognon et de la mort sont les plus convenables qui soient…

Mais bon… si vous pensez un peu hein ? Si vous réfléchissez qui c’est la clique qui fomente cette foutaise de farce et qui s’en met plein les fouilles pour finir sur le dos des p’tits loustics du Sud et de ceux du Nord qui vont suivre avec leur liberté sucette chocolat‑vanille qu’ils l’ont léchée jusqu’au bâton et qui faut yoyoter de la touffe pour croire qu’on va en avoir encore pour longtemps…

Alors là si vous jetez un coup d’œil du côté du mur qu’on voit que lui quand on veut regarder ouvrir grand ses chasses et qu’il est deux trois fois plus haut que l’autre celui “ de la honte ” le mur de la Palestine occupée que je vous cause hein… Celui‑là pour le coup il est debout dressé entre l’Occident et l’Orient entre les riches et les pauvres entre les colon et les colonisés entre les bourreaux et leurs victimes… ouais… d’accord… mais surtout vous avez remarqué ce qu’il fait ce mûr en premier d’abord de tout hein ?… Ouaouf !

Eh ben voilà je m’en vais vous affranchir d’une bonne rigolade que vous avez peut‑être flairés ouistitis roublards que vous êtes… Ce mur qu’on voit que lui il planque dedans son ombre énorme la plus grande imposture qu’y ait et qu’on n’remarque pas quand on est au pied… du mur justement c’est la prodigieuse unanimité du retour en arrière rétropédalage toute vitesse qu’y a désormais que l’autre ( le mur faut suivre hein ! ) il est tombé badaboum !… Vous avez vu comment d’un seul remous de haine et de désir de mort elles se sont retrouvées réunies collées toutes les trois religions et leurs sous sacristies leurs subdivisions leurs rampantes commères asservies à leur dogme du délire de ratatiner en bloc les millions de gugusses qu’en sont pas de leur passion à crever de trouille et à vouloir asservir le monde à leurs peurs… Les trois du même mouvement elles en font plus qu’une ! Trop en extase les blaireaux de pouvoir relooker leur obsession à poussière de l’Interdit de vivre et de s’éclater ensemble qu’on croyait nous autres avoir virée définitif dehors Zouh !

Ben ouiche ! Les revoilà les séparateurs les coupeurs de viande en quatre les exclueurs les adorateurs des étiquettes baveuses : “ infidèles… roumis… goims… ” les prophètes élus semeurs de malédictions et tous et chacun par un de ces mail messianiques du tonnerre Ouaouf ! Ouvrez vos esgourdes vous allez l’entendre aussi le message qui confirme que vous êtes les seuls à avoir pigé la bonne parole et d’ailleurs y en a qu’une c’est pas compliqué : la mort… Ouaouf ! Allez‑y regardez‑les tous n’importe où qu’ils déboulent les zigomars ils ont le même goût pour la viande saignante et le même discours qui consiste à obliger les autres à entrer dans leur système d’aliénés ou à crever… 

Les Lech Walesa modérateur et empêcheur des révoltes ouvrières grand pote de JP2… Slobodan Milosevic promoteur du nationalisme ethnique fils d’un prête orthodoxe… ne sont que deux petits exemples récents des frangins de Franco et de Pinochet tous soutenus par l’église catho dans leurs “ combats pour la liberté ”… Et ça serait trop long de citer toute la clique des rabbins du parti sioniste religieux qui ont des postes clefs dans l’armée israélienne et qui sont prêts à ratatiner tous les “ Amaleks ”… chats, chiens et n’importe quel être vivant non “ ami des juifs ”, on se contentera du rabbin Abraham Shapira bien connu pour ses fatwa… Pour les musulmans y aurait foule aussi donc on se contentera aussi de Sayyid Qutb théoricien des Frères Musulmans et ses notions de rupture par rapport à la société impie et de reconquête. Et pour tout dire ce mur de Palestine qui est juste un remake de l’autre en Orient il permet une fois de plus de faire vendre les installations de sécurité militaires les plus sophistiqués et d’entretenir l’idée fixe et tellement nécessaire à ceux qui veulent faire régner la terreur que la guerre est toujours là embusquée au pied du mur… Ouaouf ! Ouaouf !

Et si on commençait par les abattre vraiment ces murailles qui entourent les recoins de peurs ancestrales qu’on a dans le crâne… les psychoses collectives ou singulières… les certitudes avalées depuis des siècles que de l’autre côté c’est la mort alors que la mort on se la trimbale tous plus ou moins et que les plus efficaces promoteurs de cimetières ce sont ces prétendus dispensateurs de “ la bonne parole ” qu’est la plupart du temps rien d’autre qu’un cantique d’extermination et de haine pourri de bêtise et d’ignorance ! Si vous me croyez pas allez‑ y donc faire un tour dedans l’Ancien Testament pour voir et vous allez bien rigoler… Ouaouf ! D’ailleurs tiens, rien que pour le plaisir et après je vous lâche je vous en donne à renifler juste un tout p’tit bout… ouais un tout p’tit bout pour la curiosité hein ?

“ Quand tu approcheras d’une ville pour l’attaquer, tu lui offriras la paix. Si elle accepte la paix et t’ouvre ses portes, tout le peuple qui s’y trouvera te sera tributaire et asservi. Si elle n’accepte pas la paix avec toi et qu’elle veuille te faire la guerre, alors tu l’assiégeras. Et après que l’Eternel, ton Dieu, l’aura livrée ,entre tes mains, tu en feras passer tous les mâles au fil de l’épée. Mais tu prendras pour toi les femmes, les enfants, le bétail, tout ce qui sera dans la vielle, tout son butin, et tu mangeras les dépouilles de tes ennemis que l’Eternel ton Dieu, t’aura livrés. ” 43 ( Deutéronome 20 : 10‑16 ). Et si vous voulez en savoir plus sur ces textes pleins d’amour je vous conseille de lire la suite :

 www.isesco.org.ma/francais/gaza/documents/dimension raciste.pdf

C’est pas piqué des vers !

Beurk ! Non seulement c’est des assassins mais des cannibales en plus… Tien ça me coupe l’appétit… Ce soir je vais à la niche sans dîner foi de clébard anar athée et rebelle ! Ouaouf ! Allez je vous salue bien !

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18 novembre 2009 3 18 /11 /novembre /2009 20:27

Le fils du coq blanc suite...
 Photo de Yourbartender
              
               Ecoute… écoute…

Asikel debout devant le mualem revoit la tentative dérisoire du crapaud coupé en deux par le fer de la bêche d'un homme-furet pour fuir son propre corps. Lieu subit d'un enfer de cendres. Au moment où il le voyait il sentait toute la douleur du crapaud passer à travers lui. Elle se répandait en lave folle… En pétillements… En escarbilles dans les sillons de son être… Creusé… Béant… Un désir puissant comme celui de féconder la terre de sa semence poussait en lui… Le tordait tel un linge… Désir d'enlever la souffrance du crapaud… De la jeter au fond du puits sec… De l'y enterrer vive…

Asikel debout devant le mualem revit l'étrange transformation de son corps à ce moment-là. La sensation insupportable d'une boule de feu à l'intérieur du ventre. Et la certitude qu'une malédiction est entrée en lui. Le présage d'une pluie d'éclats de verre et de silex calcinés. Qu'il ne peut emporter nulle part. Il se souvenait qu'alors le sorcier était arrivé. Alerté par les appels du coq blanc qui suivait l'agonie de la bestiole et la terreur d'Asikel… Le sorcier… Il avait écrasé le crapaud avec une grosse pierre du feu. Aussitôt Asikel avait perdu le mal de son ventre et la force qui poussait au creux de ses reins.

Asikel debout devant le mualem se rappelle des paroles du sorcier qui avait ouvert ses mains d’enfant serrées contre son ventre. Il avait déposé dans chaque paume trois grains de blé vert et trois pépites d'ambre.

- Fils… celui qui a les mains ouvertes reçoit autant qu'il peut donner… Toutes les choses de l'eau… de l'arbre… du nuage d'abeilles et des cheveux de femmes s'inscriront en toi comme sur le sceau d'agate…

- Celui qui a le don de guérir broie dans ses flancs la douleur… Toi tu broieras les grains du silence entre tes dents… Il coulera du puits de ta bouche les mots de l'eau qui chante… Les mots des rigoles de plâtre qui bercent le palmier… Les mots des lèvres du feu…

- Je te donnerai le secret des paroles fils… mais prends  bien soin de ne pas les livrer aux vents qui chahutent les plumes du coq…

- N'oublie surtout pas… Trois grains de blé vert que tu planteras dans l'argile ne seront pas perdus… Trois pépites d'ambre que tu planteras dans tes yeux ne s'éteindront jamais…

- Lorsqu'on te demandera de parler fils… songe… si tu n'as pas envie de donner à chacun de ceux qui est présent un des grains de blé vert de ta terre et une des pépites d'ambre de tes yeux… envie comme tu as eu envie d'ôter la douleur de la poitrine fendue du crapaud… alors tais-toi.

 

Ecoute… écoute…

Depuis ce jour Asikel qui avait avalé un oiseau ne racontait plus les histoires qu'au coq blanc et à sa mère. Le reste du temps il se taisait. Il se taisait tellement qu'on disait qu'il avait avalé sa langue par-dessus l'oiseau. Et les gamins le surnommaient en lui jetant des poignées de sable : le muet.

Le mualem qui connaissait une partie de l'histoire de l'enfant se sentait pris par le même charme qui émanait de la femme. En feuilletant le cahier d'écriture il lui semblait s'égarer dans un monde minéral où les arbres morts se muaient en cristaux de silice. Ils offraient leur armure de coquillages creuse aux bracelets mouvants des reptiles. Les traces infimes du fennec le disaient encore… le chemin n'était qu'à l'intérieur de soi-même.

Au beau milieu d'une des pages Asikel avait écrit :

Les dunes aux pieds qui marchent frapperont aux portes des maisons… Elles jetteront leur œil de sable par les lucarnes… Elles franchiront le seuil… Et la margelle du puits avec la traîne noire des corbeaux… Elles couperont la langue du kanoun… Alors nous partirons sur le dos des petits ânes… C'est comme ça que le pays des dunes redeviendra le pays de la pierre d'Anu… le pays de la pierre tombée du ciel…
A suivre... 

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17 novembre 2009 2 17 /11 /novembre /2009 23:08

Le fils du coq blanc suite...

Quant aux fillettes et aux femmes le mualem ne les regarde pas. Ou s'il le fait c'est en passant comme on regarde une mule qui verse sa cargaison d'oranges. C'est interdit. Sans quoi il y aurait orgie bien entendu. Qui a déjà vu hommes ne pas faire orgie de femmes quand le harem ouvre son clair-obscur d'entrailles parfumées aux silhouettes pailletées de hanches frémissantes ? Homme est un être qui meurt de faim. Et la femme est nourriture du début à la fin. Femme achève de nourrir homme infiniment sans faim. Et hommes gardent la porte du harem contre les étrangers venus prévenir les femmes que dehors il y a de géants garde-manger prêts à les remplacer. Le mualem ne s'en mêle pas car il n'y a rien de plus violent qu'un homme affamé.

- Asikel… Asikel…

 

Ecoute… écoute…

La mousse froide des murs de l'école grimpe le long des jambes de l'enfant. A chaque fois la voix du mualem le surprend à prendre l'apparence d'un arbre. Comme ça doit être simple d'avoir des racines. Asikel retire ses pieds de sa terre de feuilles d'arbres tombées et d'humus ébahi de sauterelles. Il se dirige de table en table avec le cahier d'histoires qui bat au fond de son coeur-tambour.

Il aurait bien aimé Asikel… mais ça il ne le dira jamais à personne pas même au coq blanc son ami que le mualem de l'école soit un tout petit peu son père. Une moitié de père seulement. Puisque l'autre moitié c'était le coq blanc. Et le palmier où viennent les pierres de foudre quand il frotte le ciel. Ça l'aurait arrangé cette paternité éclatée. Ainsi il serait Asikel l'enfant-gazelle une poignée de chaque être de la terre vivante.

Ça n'était pas possible… qu'il se répétait Asikel. D'abord parce que le mualem avait un garçon en priorité de père du même âge que lui… et avec beaucoup de soldats qui prouvaient son droit par le sang. Ensuite parce que la melma n'aurait jamais… jamais pu tolérer qu'Asikel soit tombé du palmier dans le ventre de sa mère par l'intermédiaire de son homme et des caresses de ses doigts.

Le palmier enchantait le ventre de la lune. Et Asikel n'avait pas de père pour sa mère vêtue de ses cheveux rouges. Sa mère tout entière à lui. Sa mère qui dansait en faisant voler le sable des étoiles autour du palmier. Sa mère toute la terre qui faisait tinter les khal khal de ses pieds rouges.


- Eh bien Asikel veux-tu nous conter cette histoire puisque tu sais faire chanter les mots de notre langue dans ta bouche...

- Oh non mualem… non...

La réponse a  frappé tel un pied sur le seuil nue. Elle était une abeille de gel au milieu du cercle jaune des éperviers. Dire non en ce temps c'est une pitrerie de haut vol. Le mualem considérait avec inquiétude et un grain d'ironie l'enfant étrange aux cheveux de semoule claire et aux yeux de pierre noire. Enfant silencieux et grave. Il n'a pas peur de lui Asikel...

- Non ?

- Non mualem… je vous en prie... non mualem.

Ceci était dit… il songeait le mualem avec la voix qu'on prend quand on parle au sable. Lorsque les hommes du chemin l'ont quitté. La voix qui défie le vide. Et peut-être que l'enfant cambré de silence lui est secrètement cher… Alors il en conçoit une sorte d'irritation mêlée de respect… et... d'envie.

Pire qu'un défi c'est une échappée. Au-delà de lui la boule de plumes se déployait. Insaisissable. Rouge… hors d'atteinte. Le mualem a pensé un instant à briser cette volonté d'argile… de sang… et de pépins de grenade. Issue d'une femme dont la beauté le bouleverse quand il la rencontre sortant juste du hammam. Et fardée de gouttes d'eau.

Mais on ne saisit pas l'épervier dans le cercle jaune de son vol. Sauf par un jet de fronde qui le condamne à mort. Il ne capturera pas l'âme d'épervier d'Asikel. Bien plus haut… plus haut que le soleil… Asikel se taisait parce qu'il y avait une raison plus forte que sa vie… Plus grande que le palmier qui enchante la lune… Plus profonde que sa bouche derrière le voile de son cri… Le mualem le sait… Asikel ne parlera pas. Et la mousse froide des murs de l'école le savait. Et le coq blanc le savait. Sous la torture il ne parlerait pas... On ne parle pas avec la mort.

 

  A suivre...
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16 novembre 2009 1 16 /11 /novembre /2009 23:33

      Je vous ai déjà parlé de notre collaboratrice Françoise Bezombes une fidèle amie des Cahiers des Diables bleus depuis leur création en 2006 ou presque et la créatrice du Crasseux qui nous suit dans chaque Salon et diffuse nos Cahiers partout où elle va avec obstination et acharnement... A l'occasion de leur départ pour la Bretagne Françoise et son mari Robert qui est notre photographe nous avaient promis de continuer à se balader sur les petits chemins mais cette fois-ci au bord de l'océan et de nous envoyer des mini-reportages dont vous allez découvrir en exclusivité le premier ce soir...

      Maintenant qu'ils sont un peu installés au milieu des cartons depuis un mois dans la petite maison des hirondelles ils vont pouvoir vous faire profiter régulièrement de leurs découvertes et nous aussi d'ailleurs car aux Cahiers des Diables bleus on est tous amoureux de la Bretagne ! Alors en route et n'oubliez pas que désormais Poullan-sur-Mer est non seulement la ville de Le Clézio mais aussi celle de Françoise et du Crasseux !                                                 



Balade nature

Françoise Bezombes

Lundi, 9 novembre 2009

 

 

Amis du blog de Dominique Le Boucher, laissez-vous porter dans une balade finistérienne. Embarquement immédiat !

 

Lundi dernier, après quelques jours de pluie soutenue, au réveil nous avons eu le plaisir de découvrir un ciel bleu sans l'ombre du moindre nuage. C'était presque à prendre le petit déjeuner dehors comme dans la pub de l'ami Ricoré ! Aussi, l'après-midi, direction l'un des coins sauvages de la côte entre Douarnenez et la Pointe du Raz. Nous avons quitté la départementale pour nous rendre à la Pointe du Millier.

Un millier de quoi me direz-vous ? Eh bien tout simplement un millier d'étincelles de beauté qui séduisent les yeux lorsqu'on chemine sur le sentier côtier. Sentier où l'on doit cheminer à la queue leu-leu tant il est étroit. On surplombe les rochers découpés et les vagues qui viennent les assaillir. Nul bruit hormis celui de la mer. Une maison blanche, comme posée là par la main d'une fée des landes, semble surveiller la baie de Douarnenez. Les jours de tempête elle doit vibrer sous les assauts des rafales furieuses. Eole doit bien se régaler dans sa furie à essayer de la déloger de son promontoire rocheux !

Un peu plus loin un muret de pierres sèches m'a fait songer à ceux que l'on voit en Irlande. Enfin d'après les photos que j'ai vues du Connemara dans des livres car, hélas, Eire n'a jamais reçu ma visite...

Et la dernière surprise de cette après-midi fut la découverte d'un moulin : le moulin de Keriolet. Après nous être enfoncés sous des pins dans un chemin nous sommes arrivés dans un petit vallon où était niché un moulin ancien à aube entièrement rénové par des passionnés et qui se visitait. A l'extérieur le bruit de la cascade arrivant sur la roue était on ne peut plus agréable et à l'intérieur de la bâtisse on pouvait voir les grains se faire broyer et la meule tourner comme autrefois. Ce bond en arrière dans le temps était si émouvant et ressourçant que je me suis surprise à chantonner :

“ J'entends le tic-tac de la meule et du moulin quand tout va bien... ”, une chanson chantée par mes amies du groupe de chant breton “ De l'Une à l'Autre  ”…

Et bien sûr je suis repartie avec mon sachet de farine à l'ancienne pour la confection de mon prochain far breton !

 

En tout cas nous avons été bien inspirés de sortir au grand air lundi car ensuite le temps s'est dégradé ; jeudi et vendredi nous avons essuyé notre première tempête bretonne et ce fut en quelque sorte notre “ baptême ” offert par les éléments déchaînés. Ceux qui habitent en bord de mer ont dû avoir un sacré spectacle !

J'espère, chers lecteurs des Diables bleus, que je vous aurai bien promenés et que les photos de Robert vous auront bien fait rêver...

 

Et comme l'on dit ici : Kenavo ! ( au revoir ! )

 

 

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14 novembre 2009 6 14 /11 /novembre /2009 20:32

Cet article est publié sur le site : www.info-palestine.net
Du fleuve à la mer

Samedi 14 novembre 2009

 

Gilad ATZMON

 

      Cessons une bonne fois pour toutes de nous bourrer le mou sur l’Amérique augmentant-la-pression-sur-Israël-pour-qu’il-gèle-les-colonies-en-Cisjordanie.

 

       Toute la fascination pour ce sujet est un pur produit des labos des docteurs folimage sionistes. Elle a pour but de détourner l’attention de la cause profonde du conflit : le vol de la Palestine et des Palestiniens au nom d’un “ retour des Juifs à la maison ”. L’appel à arrêter les constructions israéliennes en Cisjordanie ne vise qu’à nous donner la fausse impression que le vol de la Palestine a commencé en 1967. Les faits sont connus de beaucoup d’entre nous, mais pas de tous. C’est en 1948 que la grande majorité des Palestiniens ont été expulsés de leurs villes, villages, champs et vergers.

      Ce qui se présente comme une initiative de paix usaméricaine mettant la pression sur Israël pour qu’il mette un terme à son expansion en Cisjordanie est en fait un agenda promu par les sionistes au sein de l’administration usaméricaine qui se rendent compte, tout comme Sharon vers la fin ( de sa carrière ), que la seule chance pour l’État juif de survivre à la prochaine décennie, est de rétrécir aux dimensions d’un petit shtetl ( ghetto ). La solution à deux États est en effet le dernier effort pour maintenir en vie le sionisme.

      Netanyahu est loin d’être stupide. Il comprend tout ça. Il sait que le rêve de son père du révisionniste sioniste de père ( Benzion Mileikowsky alias Netanyahou, secrétaire de Ze’ev Jabotinsky ) d’un “ grand Eretz Israel ” est inaccessible.

 

      Haaretz rapporte aujourd’hui que le Premier ministre israélien, à Washington, a admis qu’il était résolu à la solution de “ deux États vivant côte à côte ”. Toutefois, il a souligné que “ le droit des réfugiés palestiniens à retourner dans leurs foyers dont ils ont été expulsés, ne serait pas mis sur la table. ” Apparemment, un Premier ministre faucon israélien affronte délibérément le péché originel d’Israël à savoir l’expulsion de la grande majorité des Palestiniens. Toutefois, le fait qu’il insiste pour dire qu’il ne sera pas “ mis sur la table ” ne peut signifier qu’une chose : qu’il est déjà sur la table. “ Ils ”, poursuit M. Netanyahu, “ doivent abandonner le fantasme d’une invasion d’Israël par des réfugiés, renoncer aux revendications irrédentistes [ 1 ] sur le Néguev et la Galilée, et de déclarer sans équivoque que le conflit est bel et bien terminé  ”.

      De toute évidence, M. Netanyahou exprime ici le souhait qui est partagé par la plupart sinon par tous les Israéliens. Ils rêvent tous d’ouvrir leurs yeux un beau matin, pour découvrir que tous les Goyim, les Palestiniens, les Arabes et les Musulmans viennent de quitter la région.

      Je tiens à signaler à Netanyahu et à tous les Israéliens qui veulent bien l’entendre que cela ne va pas se passer comme ça. Autant une invasion de “ réfugiés ” palestiniens est un cauchemar ancré chez les Israéliens, autant il est loin d’être un fantasme palestinien. C’est plutôt une réalité qui attend son heure. Israël a perdu sa chance de se réconcilier avec ses voisins. Il a échoué à régler son conflit avec le peuple autochtone de cette terre. Le sort d’Israël sera déterminé par les “ faits sur le terrain ” à savoir la démographie. En termes de réconciliation, Israël a passé la zone non-retour. Son sort est scellé. Une Palestine du fleuve à la mer n’est plus une question de “ si ”, mais plutôt une question de “ quand ”.

 

      Contrairement à la plupart des Israéliens qui rejettent la cause palestinienne, M. Netanyahou a admis aujourd’hui que les Palestiniens ont effectivement été expulsés. Pour la première fois les “ revendications irrédentistes ” des Palestiniens sont évoquées par un Premier ministre israélien. Et pourtant, M. Netanyahu et ses gens devraient cesser de se faire des illusions. Ce n’est pas seulement du Néguev et de la Galilée qu’il s’agit. Il s’agit en effet de chaque bout de terre entre le fleuve et la mer : Tel Aviv, Jérusalem, Haïfa, Beer Sheva et chaque village, verger, terrain, rivière et arbre entre les deux. La seule question qui reste ouverte est : combien de temps faudra-t-il pour que le Shekel s’effondre ?         
      Combien de temps faudra-t-il aux Israéliens pour saisir qu’ils habitent sur des terres volées ? Combien de temps faudra-t-il avant que les Israéliens se rendent compte que la bataille est perdue ? Combien de temps faudra-t-il pour que les Israéliens intériorisent le fait évident qu’ils ont une fois de plus réussi à se placer sur le mauvais côté de leurs voisins ?

 

Note [1] Irrédentiste : quelqu’un qui prône la récupération culturelle et historique de son territoire.

 

Du même auteur :

 

Un automne à Shanghai - 24 octobre 2009

L’IDF ou le scalpel d’Israël - 23 août 2009

Adhérer au Club Minyan de l’Aipac, moi ? Vous voulez rire ? Très peu pour moi - 19 juin 2009

Le pétage de plombs d’Aaronovitch et la démolition du pouvoir juif - 13 avril 2009

La guerre contre la terreur intérieure : Fin de l’Histoire juive - 23 mars 2009

Gilad Shalit : La Grande Illusion - 20 février 2009

Gilad Atzmon : “ C’est Israël, qui a besoin de la Turquie ! ”  - 12 février 2009

Une interview de Gilad Atzmon - 24 janvier 2009

 

11 novembre 2007 - Cet article peut être consulté ici :

http://www.gilad.co.uk/writings/fro...

 

Traduit par Fausto Giudice

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13 novembre 2009 5 13 /11 /novembre /2009 23:04

Le fils du coq blanc suite...

Ecoute... écoute…

Asikel est assis sur du feu au pied des arbres rouges… Aux pieds d'Asikel la bête s'est faufilée… Larve gonflée des ordures qu'on ne nettoyait pas. Et qui rampaient sous les portes. Le bête prenait sa nourriture à même la chair des hommes. Quand le type au visage aplati de hamster a ouvert la cage grillagée de sa chaussure au bout ferré et sans lacet Asikel était déjà parti… Le type a touché du pied le ventre d'Asikel. Quelque chose semblait pris dans les vêtements où mêlé à la peau… Lentement… Un grand papillon de nuit s'est dégagé des chairs entaillées… Un grand papillon de nuit blanche… Il s'est perdu au bout de l'obscurité où vacillaient des flammèches vertes…

 

A l'orée de l'école aux murs blancs de chaux les arbres sont devenus des pupitres où on enferme les lézards volants du désert. Les lézards volants qui connaissent le chemin. Les arbres sont devenus des bancs qui empêchent la course des pieds de l'enfant-gazelle. Dehors la fournaise tourne dans le cercle des éperviers. Dehors il y a les gouttes jaunes de sueur du palmier. L'école est un puits de mousse froide. Un rayon de nuit qui fabrique une ombre aux choses miroitantes du vide aveugle.

Asikel rêve au coq blanc qui marche sur les grains de foudre sans se brûler et qui lui a donné sa confiance. Il n'y a plus de doute dans le cœur ébouriffé d’Asikel volant du tableau où picorent des mots arrondis aux angles jusqu'au palet de craie entre les doigts du mualem. Le coq blanc doit être son père. Le porte-plume qu'Asikel vient de poser au fond de la rainure de l'arbre-pupitre entre dans la danse de l'histoire qu'il a écrite avec ses yeux. Comme d'habitude il a usé toute l'histoire avant l'heure. Et il court avec le coq blanc qui va venir l'attendre à la sortie de l'école. Il court au long des ruelles du village. Il court après ses yeux qui ont encore un peu de l'encre de l'histoire qu'il a écrite pour le mualem de l'école. Rien que pour lui.

Le mualem est un brave homme venu du Nord en vue de mettre dans la tête des petits Arabes du Sud des choses qui pourront leur servir à faire marcher la machine après… quand ils auront appris comment. Le mualem n'a jamais rien imaginé parce que le monde n'est pas fait pour qu'on l'imagine. C'est un homme plutôt généreux mais il n'a jamais mangé les fruits qui donnent l'imagination. Et il ne cherche pas à savoir si les petits mômes crasseux et batailleurs sont des créatures douées d'âme… ou s'ils ressentent de la douleur quand il les frappe avec la règle pour les punir d'employer d'autres mots que les siens… qui sont les seuls à dire la vérité.

Il pense comme tout le monde ici qu'il se planque un renard des sables derrière leurs regards. Leurs yeux sont toujours à demi fermés. Sauf quand ils jouent entre eux à des jeux cruels dont ils connaissent seuls les règles… et qui commencent par des jets de cailloux à toute volée. C'est souvent Asikel qui est la victime de leur avidité à prendre le moindre être vivant pour proie sexuelle ou pas même les poules.

Il ne les a jamais vus… il a entendu dire… Mais comme il n'a pas eu les fruits de l'imagination à sa portée il ne pense pas à penser que le corps peut être un soleil dedans… qui brûle d'envie de toucher… Toucher déjà c'est connaître autrement…

C'est pareil que mordre au cœur d'une grenade avec le rose du désir qui entre dans la bouche. Il a déjà vu deux mômes se battre en se mordant tels des renards.

Des fois il les observe au centre de la cour qui est un tissu de poussière rouge…  il voudrait par inadvertance savoir qui ils sont. Mais ça lui passe vite… il ne peut pas partager l'exaltation de leur sang où coulent mille soleils. La preuve c'est qu'à la plus petite occasion ils se jettent les uns sur les autres et forment une boule… un nid de jeunes chacals qui roule en hurlant dans la terre ocre. Ils ne savent pas où s'arrête leur corps. Ils ne sont qu'un corps toujours prêt à se rassembler pour se dissoudre. Avec toujours ces gestes et ces mots vulgaires qui les font plus vieux que leur âge. Parfois il lui semble qu'ils sont vieux comme les vieux vraiment vieux assis contre le mur de l'école… et qui tendent le cou afin de voir dedans. Le mur de l'école ne s'ouvre pas. Parfois il se demande si ce sont bien des enfants. Est-ce que toute leur vie n'est pas déjà passée de l'autre côté du mur assise vieille le dos tourné ?

Mais pas Asikel.

 

Le mualem le regarde prendre la piste du Sud… Bien au-delà de l'oasis… Avec ses yeux d'eau noire et de khol qui tanguent à la mesure du pas. Où va-t-il Asikel maigre et racé éclair fauve de la gazelle dans sa gandoura pâle ? Où va-t-il ?… Il scande des mots dont il ne connaît pas le sens au rythme d’un tambour lointain… Des mots conçus par chaque grain de sable. Qui est-ce qui marche avec ses pieds ? Quelle éraflure à l'intérieur des mamelles cachées des dunes ? Quelle rose de sable au sommet du cairn ? Quel bâton planté au creux du nombril du vent lui font monter dans les reins et danser jusqu'au fond de la gorge le balancement halluciné des chants ?

Asikel ne voit pas le mualem qui le regarde car il suit la trace laissée par les nomades. Sur les tablettes d'argile vierge il marche. Asikel profite du moindre mot pour tordre le cou à l'écriture sage de son cahier et inaugurer des royaumes. Le mualem devine à travers les Cités merveilleuses et les guerriers chevauchant des oiseaux géants l'influence du vieux sorcier au coq blanc. Celui qui saupoudre dans l'imaginaire de l'enfant les parfums épicés du secret. Qui lui greffe une graine de mémoire. Une graine de la terre d'ici. Une graine d'un paysage. Une graine de grenade.

Au fil des pages du cahier d'Asikel qui n'a pas de père le mualem pourrait lire la guerre tapie sous les tas de dattes endormies de silence et de mouches. Entre les couches de sel qui veillent sur les tranches de tomates et de poivrons. Dans les jarres de terre immobiles. Derrière les cils des femmes qui attendent. Au fil des pages du cahier d'Asikel qui ne raconte jamais ces choses-là. Et qui raconte seulement l'histoire d'un homme grand et de son nom.

- Asikel... Asikel...

 





A suivre...

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12 novembre 2009 4 12 /11 /novembre /2009 22:57

Encore un p'tit extrait de mon très long récit-conte d'Alphabête-city, mais celui-là est très très étrange... enfin vous allez voir...


Le fils du coq blanc

 

Ecoute… écoute…

Asikel est assis sur du feu. Il sait par la stridence violette à haute tension et la répétition de plus en plus vite… de plus en plus... des traits de flèches derrière lesquels court le câble électrique qu’il ne doit pas bouger.

Il sait… Surtout pas bouger… La douleur percute la fleur molle de son cerveau. La fleur qui meurt. Il ne doit pas bouger… La fleur aux sanglants pétales… Sinon il se perdra…

Il enfantera par le ventre les filaments laineux et phosphorescents. Les filaments comme les vermicelles de l'arbre mangé par les chenilles métalliques. L'arbre des dieux rouges… Les filaments que secrète la bête rouge dans son groin qui mâche. Mâche les chairs écartées. Et les pieds de l'homme du vent qui va porter la lettre à Nedja. La bête qui pousse entre ses cuisses et qui sortira de lui… S'il bouge… Il l'enfantera. Et elle ne laissera de lui que le vide béant. Une pelure d'orange autour de la patte du coq blanc.

- L'arbre des dieux rouges… S'il bouge il s'enfoncera au fond du fleuve… S'il bouge… Les soldats de plomb qui retiennent la grille se redresseront. Et de cellule en cellule… le bruit incroyable… le miaulement du fer dans du fer… s'amplifiera. Il comblera les oreilles du fleuve… Et les bouches des baignoires de faïence… Où il se noiera.

S'il bouge… Les soldats de plomb… Imperturbablement… Sans âme qui vive… Franchiront les grilles de la page qu’il a arrachée de toutes ses forces et pliée en quatre. Ils le mettront en joue… Un par un… Sagement alignés… Avec le savoir-faire et la tranquille innocence… Et ils le tueront… Ils abattront l'arbre des dieux rouges… L'innocence du petit garçon au tablier noir du mualem de l'école…


Asikel sait qu'il les laissera faire car l'enfant a toujours exercé sur lui un pouvoir despotique. Il avait découvert le secret qu'Asikel n'a confié qu'au coq blanc et aux interlignes sacrés que surveillent les janissaires. Certainement c'est lui qui est revenu pour le torturer à nouveau…  Pour le presser dans le foyer d'épines écarlates… Lui le fils du mualem. Lui jaloux du royaume d'Asikel. De ses essaims d'abeilles au creux des ruches-tronc bardées d'armures de palmiers. Candide Asikel. Il récoltait le miel des petits dieux. Des petits dieux de l'arbre rouge.

Abeilles de pluie. Dressées par lui. Et qui survenaient d'on ne sait quel calice. Quel Graal de figuier géant. Quelle poitrine éclatée et livrée des pastèques d'eau. Survenaient… à son coup de sifflet modulé sur trois tons. Exactement identiques au crapaud qui supplie la lune des sons les plus aigus de la flûte.

Abeilles des petits dieux rouges. Zébrures acides dans la chaleur. Elles le couvraient d'une fourrure mouvante de loup d'or. Elles se noyaient parmi ses cheveux frisés. Le chatouillaient. Asikel dangereusement paré d'abeilles régnait. Il n'avait d'ailleurs rien à faire. Au grand mépris de toute la clique des hommes qui savent. Le miel se filait tout seul. Et dégoulinait en grumeaux de jeunes soleils entre ses doigts ouverts.


Asikel qui n'avait pas peur ne s'était jamais posé de questions sur la cérémonie des abeilles. Il n'avait pas peur. Il avait les mains du recevoir. Comme lui disait l'homme sorcier. Les mains qui ont touché la pierre de foudre. La pierre de ciel. Les mains de la pluie et du don.

Alors Asikel ne faisait rien. Rien que d'accueillir ce qui se passait au creux des arbres du royaume de sa tête. Ça fourmillait. Ça se culbutait d'affluence de créatures capricieuses à l'intérieur des arbres rouges d'Asikel. Et il restait parfois assis longtemps entre les jambes du soleil et de sa mère. A écouter ses arbres raconter. Grain à grain… la semoule des mots qui monte… monte... dans les plateaux de la balance...

Grain à grain… Au pied des arbres rouges… La semoule. Les raisins secs. Les abeilles et les étoiles filantes de sa mère. Et lui Asikel… rien que lui dans la semoule du plateau. Tandis que tous les autres ensemble… le fils du mualem de l'école et les soldats avec leurs fusils à gueule de trou qui tue aussi les chats juste occupés à se lécher la patte sur les murets de terre et de paille… Tous ils ne pèseront pas lourd. Et ils seront éparpillés. Et il n'y aura pas de mots dans la semoule du plateau… Et il n'y aura pas de mots parmi les grains de sable… Pas de mots pour les dire…


Ecoute… écoute...

Asikel est assis sur du feu. Et à la hauteur de son ventre les dents pointues de la bête rouge dansent. Asikel qui avait avalé un oiseau... Comme elle disait Neida quand il parlait… parlait... En l'embrassant dans le cou.

Au pied des arbres rouges Asikel rêve d'une goutte d'eau sur ses lèvres… Asikel n'a plus de langue… Et contre la lourde dalle de ses paupières il voit passer et repasser la silhouette fantomale du grand papillon blanc. L'homme sorcier avait prédit que le papillon blanc lui accorderait un fils mais qu'il n'en serait pas heureux.

Ecoute... L'image d'une dureté de métal froid… Dans le regard de ce type qui vient le chercher à certaines heures précises et qui lui passe la muselière.

Alors les petits dieux des arbres rouges l'abandonnent à son sort… L'homme qui le garde se contente d'obéir aux impulsions électriques qui ne circulent que par le bas des reins. Et remontent le long de la colonne vertébrale comme le serpent de la mort que rien n'arrête. Puisqu'il n'est là que pour ce rôle précisément.

Asikel songe que ce type… cette tête de Méduse… va le débarrasser de lui-même et de ses arbres rouges… Alors que lui-même ça devient grotesque à force de lambeaux et d'écoulements. Le changer en pierre... Pierre arrêtée parmi la semoule des mots sous les doigts de sa mère...

Ecoute... Il a tout écrit pour son fils... Toute l'histoire de la terre vivante et du coq blanc son ami. Qui battait des ailes en tournoyant rageusement. Le coq blanc… Il faisait jaillir des tourbillons d'argile et de sel… Au pied des arbres des dieux rouges… Quand la melma se moquait de lui en disant qu'il était tombé du palmier dans le ventre de sa mère. Asikel a écrit pour son fils la musique qui enchante les abeilles… Et le crapaud des eaux cachées…

Mais surtout… Surtout... Il lui a écrit le secret gravé sur le cylindre d'agate… Le secret… Qui imprimera le nom du peuple à l’intérieur de la rivière

de cendres et de glaise. Le nom scellé par l'empreinte… Le nom de l'homme et de la terre-femme… Le nom que le peuple de la pierre du dieu-ciel allait oublier… Le nom que les petits dieux rouges ont depuis longtemps perdu…

Ecoute... Le nom du sexe câlin et nerveux qui fendra le tissu de la mer. Le nom navire déployé. Corsaire Asikel hisse les voiles. Mais les voiles toujours elles veulent se coucher en compagnie des chiens immenses qui les protègent au pied des petits dieux rouges. Et le nom se ploiera. S'enroulera à la mesure de leur marche lente. Peut-être quand ils l'auront complètement oublié le nom tissé plus fin que les voiles il s'envolera dans la toile du cerf-volant. Il s'engouffrera au passage au milieu des champs de tournesols qui ont perdu la tête. Et il piquera droit vers Sîn le dieu-lune. Asikel ne savait plus pourquoi c'était si important de se rappeler du nom des femmes et des hommes des histoires… Mais les histoires elles le savaient…

A suivre...

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11 novembre 2009 3 11 /11 /novembre /2009 17:58

Extraits du texte publié sur www.info-palestine.net
et sur le blog de René Naba publié par Mondialisation


Yasser Arafat Mister Palestine for ever

Mardi, 10 novembre 2009
René Naba 

        “ Paris, 7 novembre 2009.
   Rien, absolument rien, ne sera épargné à celui que l’on a surnommé parfois, à juste titre, “ le plus célèbre rescapé politique de l’époque contemporaine ”, et ce prix Nobel de la Paix, un des rares arabes à se voir attribuer un tel titre, boira la coupe jusqu’à la lie.
        Le chef palestinien décédera pourtant le 11 novembre 2004, sans n’avoir cédé rien sur rien, sur aucun des droits fondamentaux de son peuple, pas plus sur le droit de disposer de Jérusalem comme capitale que sur le droit de retour de son peuple dans sa patrie d’origine. Sa stature sans commune mesure avec celle de son terne successeur, Mahmoud Abbas, un bureaucrate affairiste sans envergure et sans charisme, hante encore la conscience occidentale, cinq ans après sa mort. ( … )
         Carbonisé par ses atermoiements dans l’affaire du rapport Goldstone sur Gaza et par la rebuffade américaine à propos des colonies de peuplement, la renonciation de Mahmoud Abbas à une nouvelle mandature présidentielle apparaît d’autant plus cruellement pathétique qu’elle s’est accompagnée d’une cinglante leçon de courage que lui ont asséné de jeunes Palestiniens en opérant, non sans risque, une percée dans le mur d’apartheid à l’occasion de la commémoration du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, une action qui a retenti comme un camouflet à Mahmoud Abbas et à Israël, un défi à la léthargie des instances internationales, un cadeau posthume à Yasser Arafat, initiateur de la lutte armée palestinienne.

 
      Retour sur une vie de combat à l’occasion de la commémoration du 5 ème anniversaire de la mort de Yasser Arafat à l’hôpital militaire de Clamart ( région parisienne ), l’homme sans lequel la Palestine aurait été rayée de la carte du monde.


I. Le keffieh palestinien, c’est lui.


             
        Le keffieh palestinien, c’est lui. Son portrait en lunettes noires et Keffieh, en couverture du magazine Time, dans la foulée du premier fait d’armes palestinien contre l’armée israélienne, lors de la légendaire bataille d’Al-Karameh, le 20 mars 1968, provoquera un choc psychologique majeur au sein de l’opinion internationale, contribuant grandement à la prise de conscience de la lutte du peuple palestinien pour la reconnaissance de son identité nationale.
        Plusieurs dizaines de fedayin palestiniens, sous le commandement direct de Yasser Arafat présent dans le camp assailli, se laisseront ce jour là décimer sur place forçant l’armée israélienne à battre en retraite sous le regard impassible de l’armée jordanienne, demeurée durant la première phase de la bataille l’arme au pied dans la vallée du Jourdain.
         La bataille d’Al Karameh tire son nom, par un curieux clin d’oeil du destin, du lieu de la localité d’Al Karameh, la bourgade où s’est déroulé ce fait d’armes. Acte fondateur du combat palestinien sur le plan international, elle sera perçue et vécue comme “ la bataille de la dignité retrouvée ” en ce qu’elle lavera dans l’imaginaire arabe la traumatisante défaite de juin 1967, infligeant aux Israéliens des pertes humaines plus importantes que celles subies sur le front jordanien un an plus tôt. Elle galvanisera longtemps la jeunesse arabe dans son combat politique et propulsera la lutte du peuple palestinien au sein de la jeunesse du Monde. Par sa portée symbolique, elle passera à la postérité pour l’équivalent palestinien de l’antique bataille des Thermopyles, en ce qu’elle signait par le sang et le sacrifice suprême l’esprit de résistance des palestiniens et leur détermination à prendre en main leur propre combat.
        Publiée par la revue américaine, la photo du chef palestinien jusque là anonyme popularisera et le porte-parole de la cause palestinienne et le symbole de l’identité palestinienne. Elle précipitera la mise à l’écart de son calamiteux prédécesseur Ahmad Choukeiry et propulsera, dans le même temps, le Keffieh, la coiffe traditionnelle palestinienne, au rang de symbole universel de la révolution. Le Keffieh, à l’origine en damier noir et blanc, sera décliné depuis lors dans toutes les couleurs pour finir par devenir le point de ralliement de toutes les grandes manifestations de protestation à travers le monde de l’époque contemporaine.

      “ Tout cela était possible à cause de la jeunesse ( ... ), d’être le point le plus lumineux parce que le plus aigu de la révolution, d’être photogénique quoi qu’on fasse, et peut-être de pressentir que cette féerie à contenu révolutionnaire serait d’ici peu saccagée : les Fedayine ( les volontaires de la mort ) ne voulaient pas le pouvoir, ils avaient la liberté ”, prophétisait déjà en ces termes l’écrivain français Jean Genêt, un de leur nombreux compagnons de route de l’époque, qu’il immortalisa dans son inoubliable reportage sur le massacre des camps palestiniens de Sabra-Chatila, dans la banlieue de Beyrouth. ( Cf. Jean Genet Quatre heures à Sabra-chatila, in Revue d’Etudes Palestiniennes, N° 6 Hiver 1983 ). ( … )

 
      Dans le camp arabe, le Roi de Jordanie, Hussein le Hachémite, s’appliquera en premier, en septembre 1970, à le mettre au pas dans un épouvantable bain de sang, le premier du supplice palestinien, alors que les autres pays arabes s’emploieront à limiter sa marge de manœuvre, en infiltrant la centrale palestinienne, l’Organisation de Libération de la Palestine, de mouvements fantoches, désormais fossiles, à l’instar d’Al-Saika pro syrienne, du Front de Libération Arabe pro-irakien ou du Front de libération de la Palestine pro égyptien ou encore de la duplicité marocaine qui compensait un soutien affiché à la cause palestinienne par une collaboration souterraine avec les services marocains. De tous les grands pays arabes, seule l’Algérie accordera un soutien sans faille à la guérilla palestinienne, “ Zaliman kana aw Mazloum ”, oppresseur qu’il soit ou opprimé, selon l’expression du président Boumediene. ( … )

       Prenant par surprise New York au saut du lit, Yasser Arafat débarque le 13 novembre 1974 d’un avion spécial algérien dans la métropole américaine pour s’adresser, fait sans précédent dans les annales diplomatiques, devant l’assemblée générale des Nations unies, présidée à l’époque par le fringant ministre de affaires étrangères de Boumediene, Abdel Aziz Bouteflika.
      Fraîchement sacré par ses pairs arabes porte-parole exclusif des Palestiniens, le chef de l’OLP plaide la cause de son peuple, inexistant juridiquement, et inaugure solennellement une stratégie combinant la lutte armée et l’action diplomatique – “ le fusil et le rameau d’olivier ”, selon sa formule, pour retrouver une patrie, la Palestine, rayée depuis un quart de siècle de la géographie politique.
      Dans ce discours répercuté depuis la plus grande ville juive du monde jusqu’aux confins de la Péninsule arabique, le dirigeant palestinien, dix ans après la fondation de son mouvement au Caire, en 1964, évoque timidement la possibilité d’une coexistence judéo arabe. Arafat est au Zénith, secondé par la nouvelle puissance pétrolière arabe révélée par la guerre d’octobre 1973. ( … )


       Six mois après son sacre onusien la guerre éclate à Beyrouth, sombre présage, le 13 avril 1975, dans la quinzaine qui voit la chute de Pnom-Penh et de Saigon, les deux bastions américains en Asie. ( … ) Les rebondissements de ce conflit à projection régionale et internationale vont faire voler en éclats, au fils de sept années (1975-1982), la cohésion libanaise, la cohabitation libano-palestinienne et la solidarité arabe.
       L’Egypte fait la paix avec Israël et l’Amérique se lie par la clause Kissinger, qui subordonne tout contact avec l’OLP à des conditions équivalant, selon les Palestiniens, à une capitulation sans condition. Happé par la tourmente, Arafat touchera le fond de l’abîme, en juin 1982, dans Beyrouth assiégée, devenue pour ses adversaires le “ foyer du terrorisme international ”, et, pour ses sympathisants, le “ vivier de l’opposition tiers-mondiste ”. Abandonné de tous, il assure avoir humé dans son ancien sanctuaire transformé en camp retranché les “ senteurs du paradis ” ( Rawaeh al Janna ), le pressentiment de l’au delà.   
         Il quitte son fief de Beyrouth avec les honneurs de la guerre, mais, exsangue, son organisation, le plus important mouvement de libération du tiers monde, quasiment désarticulée.
        Douze ans après le septembre noir jordanien (1970), où les bédouins du Roi hachémite s’étaient donnés à cœur joie contre les Fedayine palestiniens, les Israéliens se livrent, à leur tour, à une chasse aux Palestiniens, dans Beyrouth, haut lieu de la contestation arabe, assiégée sous le regard impavide des dirigeants arabes. ( … )

          Premier coup de semonce, Issam Sartawi, l’homme de l’ouverture pro-occidentale, est assassiné, puis, fait inconcevable à l’époque, deux des plus fidèles lieutenants d’Arafat - Abou Saleh et Abou Moussa - entrent en dissidence, plus grave encore, le chef de l’OLP, fait unique dans l’histoire, est expulsé de Syrie en juin 1983.
          C’est la fêlure : les guérilleros se muent en desperados. Des Palestiniens portent les armes contre d’autres Palestiniens. Pour la troisième fois de son existence mouvementée, Arafat, comme il y a treize ans à Amman et l’année précédente à Beyrouth, est assiégé à Tripoli ( Nord Liban ), cette fois par les Syriens et les Israéliens. ( … )
           Amputé de ses deux principaux adjoints, Khalil Wazir, Abou Jihad, l’adjoint opérationnel sur le plan militaire, et, Abou Iyad, le responsable des renseignements, de son homme de confiance, Ali Hassan Salameh, officier de liaison auprès de la CIA, tous trois éliminés par les services israéliens pour tuer dans l’œuf tout dialogue entre Palestiniens et Américains, Yasser Arafat va faire l’objet d’un processus de diabolisation, qui débouchera quinze ans plus tard sur son confinement arbitraire sur ordre du boucher de Sabra-chatila, le général Ariel Sharon, sous le regard indifférent des pays occidentaux. ( … )
        L’invasion du Koweït par l’Irak, en 1990, fera fondre sur lui le souffle du boulet. Plutôt que de se ranger dans un camp contre un autre et accentuer la division du monde arabe, Arafat choisira d’endosser le rôle de médiateur entre Saddam Hussein et le Roi Fahd d’Arabie, talonné par l’Egyptien Hosni Moubarak trop heureux par son activisme belliqueux de restaurer le rôle moteur de l’Egypte sur la scène diplomatique arabe et justifier sa fonction de sous-traitant régional de la diplomatie américaine.
        Yasser Arafat sera mis au ban de la communauté arabe et internationale, plus précisément au ban de la coalition occidentale, l’alliance de vingt-six pays occidentaux et arabes mise sur pied pour châtier Saddam de son outrecuidance à l’égard d’une principauté pétrolière, le Koweït. Il ne devra son salut qu’à l’accord israélo-palestinien d’Oslo conclu quasiment à l’insu des chancelleries occidentales.
        L’homme, pour son audace, se verra gratifier du Prix Nobel de la paix, le 14 octobre1994, en compagnie des co-auteurs israéliens de l’accord d’Oslo, le premier ministre Itzhak Rabin et le ministre des affaires étrangères Shimon Pères. Conclu le 13 septembre 1993, l’accord d’Oslo devait conduire à l’autonomie de la bande de Gaza et la zone de Jéricho ( Cisjordanie ) avant de déboucher cinq ans plus tard sur la proclamation d’un Etat palestinien. Il ne tiendra pas un an.


II. La coupe jusqu’à la lie


      En 1995, Benyamin Netanyahu, le chef de Likoud, nouveau Premier ministre israélien, freinera l’application de l’accord avant de le vider complètement de sa substance dans l’indifférence des pays occidentaux. En toute impunité. C’est une nouvelle descente aux enfers pour Yasser Arafat dont le Nobel sera de peu de poids face aux avanies que les alliés occidentaux d’Israël vont lui infliger régulièrement. ( … )
       La suite est connue et porte condamnation de l’Occident et de ses pratiques déshonorantes : la pression finale mise par Bill Clinton, en 1999, pour arracher un accord israélo-palestinien en vue de redorer la fin de son mandat éclaboussé par le scandale Monika Lewinsky. Décrié par ses ennemis, dénigré par ses faux frères arabes, Arafat, seul contre tous, face au déchaînement médiatique sur les prétendues offres généreuses de Ehud Barak, ne cédera pas, sur rien.
         Deux ans plus tard, les attentats du 11 septembre 2001 contre les symboles de l’hyper puissance américaine mettent au goût du jour la thématique de la “ guerre conte le terrorisme ”, une aubaine pour son implacable ennemi Ariel Sharon et son disciple américain George Bush qui diaboliseront à outrance Yasser Arafat pour en faire l’incarnation du mal absolu, quand bien même le commanditaire de l’opération, Oussama Ben Laden, le chef d’Al Qaïda, n’était autre que l’ancien sous-traitant des Américains, celui-là même qui aura détourné vers l’Afghanistan des milliers de combattants musulmans pour faire la guerre aux soviétiques, les principaux alliés alors de Yasser Arafat du temps du siège de Beyrouth en 1982.
         2003, l’invasion américaine de l’Irak offre à Ariel Sharon l’occasion de confiner Yasser Arafat dans sa résidence administrative, avec la complicité honteusement passive des pays occidentaux, et, toute honte bue, certaines des plumes les plus réputées du monde arabe, tels des mercenaires de la presse, participeront à la curée. ( … )

        Dix huit mois de réclusion n’entameront pourtant pas la volonté de résistance du chef palestinien, qui décédera le 11 novembre 2004, sans n’avoir cédé rien sur rien, sur aucun des droits fondamentaux de son peuple, pas plus sur le droit de disposer de Jérusalem comme capitale que sur le droit de retour de son peuple dans sa patrie d’origine. Mieux, comme un intersigne du destin, son bourreau, Ariel Sharon, sera réduit, treize mois plus tard, le 5 janvier 2006, à un état végétatif de mort-vivant, transformé en « légume » selon le jargon médical, plongé dans un coma, à l’image de sa politique belliciste.
        Sa stature sans commune mesure avec son terne successeur, Mahmoud Abbas, un bureaucrate affairiste sans envergure, sans charisme, hante toujours la conscience occidentale, cinq ans après sa mort. Elle conduira les dirigeants occidentaux, sans crainte du ridicule, à de pathétiques contorsions : Hillary Clinton, Secrétaire d’Etat américain, en tournée au Moyen-Orient, de même que son prédécesseur républicain Condoleeza Rice, tel un rituel immuable, fleurissent régulièrement à chacun de leur passage à Beyrouth la tombe de Rafic Hariri, l’ancien Premier ministre libanais assassiné, mais persistent à négliger à leur passage à Ramallah ( Cisjordanie ), le mausolée de Yasser Arafat. Il en est de même de Nicolas Sarkozy, autoproclamé « ami du peuple palestinien », qui contournera Ramallah, le siège du pouvoir légal palestinien, pour rencontrer Mahmoud Abbas à Jéricho, lors de son voyage en juin 2008. Comme si un Prix Nobel de la Paix palestinien constituait une monstruosité infamante, comme si le porte-étendard de la revendication nationale palestinienne était pestiféré même au delà de la mort.
       Qu’il est dérisoire de contourner sa conscience par un chemin de traverse. Pathétique de se voiler la face devant ses propres forfaitures : George Bush et Condoleeza Rice ont rejoint depuis belle lurette les oubliettes de l’histoire et leur compère Ariel Sharon a déserté depuis longtemps la mémoire des hommes, mais le mausolée de Yasser Arafat trône, lui, toujours devant le siège de l’autorité palestinienne, objet de l’hommage régulier de tout un peuple, comme une marque de gratitude indélébile à l’égard de son combat pour la renaissance de la nation palestinienne. ( … )

       L’Etat palestinien qui se profile désormais inéluctablement à l’horizon, compensation au rabais des turpitudes occidentales à l’égard du peuple palestinien innocent, retentit aussi rétrospectivement comme le triomphe posthume de Yasser Arafat, un hommage rétroactif au combat du chef historique du mouvement national palestinien, un hommage au porteur du keffieh palestinien, le symbole de l’identité palestinienne, promu désormais au rang de symbole universel du combat contre l’oppression.


Pour aller plus loin

Gilbert Achkar : Les Arabes et la Shoah, La guerre israélo-arabe des récits - Sindbadoctobre 2009/528 pages ISBN 978-2-7427-8242-0
Gilbert Achkar, professeur à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de l’université de Londres, est l’auteur, conjointement avec Noam Chomsky, de La Poudrière du Moyen-Orient (2007).


René Naba : Ancien responsable du monde arabo-musulman au service diplomatique de l’Agence France Presse, ancien conseiller du Directeur Général de RMC/Moyen orient, chargé de l’information, est l’auteur notamment des ouvrages suivants :

 Liban : chroniques d’un pays en sursis, (Éditions du Cygne) ;
 Aux origines de la tragédie arabe, (Editions Bachari 2006) ;
 Du bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire français, (Harmattan 2002) ;
 Rafic Hariri, un homme d’affaires, Premier ministre, (Harmattan 2000) ;
 Guerre des ondes, guerre de religion, la bataille hertzienne dans le ciel méditerranéen, (Harmattan 1998) ;
 De notre envoyé spécial, un correspondant sur le théâtre du monde, (Editions l’Harmattan mai 2009).

7 novembre 2009 - Blog de René Naba - publié par Mondialisation

 

 

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10 novembre 2009 2 10 /11 /novembre /2009 23:18

Le pacte de l'oranger suite...

“ A la ferme chez le grand‑père ” les ouvriers saisonniers ne sont pas traités comme des étrangers malgré leur difficulté à parler  “ la langue du patron ”. Leurs silhouettes en contre jour comme celles de tous les ouvriers immigrés ont un visage dont on peut voir les yeux.

Marguerite. L’été à la ferme elle a pris l’habitude de servie les saisonniers qui ressemblent sans doute à ce qu’elle imagine des hommes d’ailleurs. Ces hommes, les livres les entourent du prestige appartenant aux personnages imaginaires. Les pays d’où ils viennent sont parés de la beauté troublante de l’inconnu qui a attiré tant d’Occidentaux. Ses rêves se dessinent telle une aquarelle. Ces verts qu’on dirait d’eau où remuent vaguement des formes ocre rouge et blanches – ce sont peut-être des femmes – dans une des toiles de Louis Bénisti… L’un des ouvriers marocain regarde Marguerite. “ Il a les yeux clairs 

Quartier réservé… Bénisti avait intitulé sa toile comme ça. Ici de l’autre côté de la Méditerranée c’est le regard de Marguerite qui se faufile à travers la barrière de roseaux afin d’observer les “ hommes seuls ”. “ …leurs rires entre eux, leur pudeur, les gestes d’hommes qui mangent comme des enfants voraces et heureux de manger… ”  Quartier réservé… 

De l’autre côté des murs du harem les femmes jouent entre elles à danser et à chanter en chassant les colombes trop familières tout en haut des terrasses. Et Marguerite imagine pour elles des amours passionnées et tragiques à l’intérieur des jardins tracés comme ceux de Cordoue ou de Grenade. Des amours se reflétant dans les bassins de nénuphars roses.

 

L.S. : Marguerite aime lire, grâce à sa curiosité littéraire, romanesque ( propre à beaucoup de femmes, quelle que soit leur situation sociale ), elle s’intéresse presque “ naturellement ” aux saisonniers étrangers maghrébins ( dans le roman, ils sont marocains, je voulais inscrire la Corse et ses ouvriers agricoles marocains, souvent maltraités par les nationalistes extrémistes corses, dans ce roman ).

Je me suis toujours demandé ce qui pouvait se passer entre une femme, des femmes françaises travaillant dans une ferme où vivent, pour quelques semaines, des hommes étrangers, jeunes, vigoureux, pour certains séduisants. Les saisonniers de Marguerite sont des étrangers, ce qui les rend pour elle, qui a rencontré des étrangers dans ses lectures, plus intéressants, et ils viennent d’un pays exotique. Marguerite aime l’exotisme, c’est‑à‑dire, comme le définit Victor Segalen : le divers et pas seulement l’exotisme colonial dégradé par le racisme et la pornographie.

Les saisonniers sont discrets et attentifs, comme Marguerite, contrairement à Simon dont la sensibilité et les affects ont été bouleversés par la guerre d’Algérie.

 

Guerre, amour et mort. Le deuxième coup de dé que le comptoir du bistrot répercute est celui de la guerre ou des guerres coloniales qui ont été les racines de l’arbre – on imagine un palmier au centre d’une oasis désertée que l’eau a fui – dont les feuilles sont les guerres civiles aujourd’hui et demain persistant. Bleu lapis‑lazuli d’un ciel éperdu et veillant sur un monde qui a toujours des comptes à régler avec une haine ancienne, voire antique. Le chiffre sorti au jeu mène à un moment où à un autre devant une case dans laquelle il convient de ne surtout pas s’arrêter. Les Fantasia et leurs féeries de poudre ne sont plus à l’ordre du jour…Et si Simon avait pu rencontrer le jeune cavalier peint par Etienne Dinet saisi dans l’élan de la folle chevauchée, il aurait peut‑être choisi de sortir du jeu.

 

“ ( … ) Ça s’appelle les Aurès, Bjord Okhriss… C’est un beau nom, tu ne trouves pas ? ”

“ Alors là, je m’en fous pas mal, dit Simon, en tournant le dos à la carte de l’Algérie. Je m’en fous complètement. ”

 

L.S. : Comme beaucoup de jeunes appelés du contingent, Simon a participé à une guerre qui n’était pas la sienne. Il ne considère pas l’Algérie comme la France, son combat n’est pas patriotique, il ne défend pas sa Patrie comme ses pères, oncles, grands‑pères… ont défendu la France… Il est soumis à la propagande militaire raciste, des copains se font tuer, Simon souffre à cause des “ Arabes ”, ses ennemis, les ennemis de la France.

On ne sait pas, il n’en parle pas, semblable à de nombreux appelés ( qui se mettent à raconter 40 ans plus tard ), ce qu’il a fait pendant ses années d’Algérie, s’il a participé ou non à la torture, s’il brûlé des villages de civils, s’il a violé des femmes. Il revient malheureux, irascible, il ne supporte pas la vue des Arabes ni leur langue… Il a perdu son âme, sa sensibilité, ses sentiments pour Marguerite. Il est perdu pour lui‑même, sa femme qu’il a aimée, qu’il ne sait plus aimer, ses enfants, son père… Marguerite lui sera fidèle jusqu’à sa mort.

 

A la campagne auprès de l’oued entre les anciens ksour de terre rouge et les maisons plus récentes régulièrement repeintes en blanc, d’un des “ côtés ” de la barrière de roseaux qui protège les femmes dans la cour où piaillent les enfants avec les poulets, d’autres rituels ont eu lieu que ceux qu’on imagine être les pratiques mystérieuses des harem. Rituels venus d’Afrique pour donner à voir, à ressentir, pour “ faire sortir ” ce qui se tient à l’intérieur du corps, à l’intérieur des maisons. Rites d’ouvertures et de naissance, moments d’alliance et de frénésie.

Au cœur du harem au contraire tous les rituels sont destinés à gerder le secret. Que ce soit pour les toiles de Delacroix ou pour celles de Chassériaux, le terme de volupté ou celui d’intimité joyeuse s’estompe afin de laisser place, si on regarde au‑delà d’un décor qui n’est souvent qu’un artifice, à une interrogation face à l’expression de fuite de ces femmes à l’intérieur d’elles‑mêmes.

Cette campagne‑là et ces maisons, ces lieux où les femmes songent entre elles à des amours passionnées, Marguerite ne les connaît pas. En Occident depuis longtemps les rituels et les rêveries ont été remplacés par des pratiques et des occupations plus rationnelles. Marguerite se lève à l’aube pour tuer les poulets.

“ … elle longe une haie, les mûres sont gonflées, violettes encore mouillées, elle en mange et arrive au bout du pré, derrière les hangars où elle ne va jamais. Elle sort si peu de la ferme… ” Grâce à ce geste qu’elle ne sait pas faire : celui de tuer, elle se plonge dans le rituel du réveil de la campagne, puis dans celui de “ la prière du matin ” qu’effectue l’ouvrier marocain. “ L’homme est debout dans le soleil. Il est seul, immobile, un moment. ” C’est lui qui va égorger les poulets d’un simple geste qui relie la vie à la mort.


L.S. : C’était une tradition dans le Maghreb rural ( peut‑être ce rite existe‑t‑il encore, il faudrait interroger des ethnologues contemporains ) d’égorger un coq et d’enduire le seuil d’une maison neuve de son sang, un rite propitiatoire. Dans Marguerite, c’est le hasard de l’histoire qui veut que Marguerite rencontre le saisonnier marocain à l’aube, dans la ferme et qu’il l’aide à tuer ces poulets pour le repas de midi. Marguerite ne sait pas le faire, elle a oublié les gestes ancestraux.*Mais bien sûr, l’égorgement des poulets suivant le rite musulman n’intervient pas à ce moment du récit par hasard. Marguerite permet ce geste à l’ouvrier agricole parce qu’elle a confiance, parce qu’elle pense qu’il “ sait ” et que ce moment est “ sacré ” en quelque sorte : il marque un lien fort, une connivence entre l’étranger et Marguerite, le Marocain est le bienvenu dans la maison étrangère. On peut penser que ce geste sacrificiel annonce l’histoire d’amour avec Selim qui sera lui‑même bienvenu dans la maison de Marguerite et dans sa chambre.

 

L’étranger est le bienvenu dans la ferme du beau‑père et dans l’histoire de Marguerite tout comme elle est la bienvenue au cœur de l’existence de ces hommes, de leur mystère, de leur culture, de leurs rituels. A cet instant de l’échange, toute forme de domination et de pouvoir semble voler en éclats, même si l’aliénation sociale demeure. Par ces actes de reconnaissance mutuelle, l’ouvrier marocain, le beau‑père et Marguerite renouent d’autres liens qui ont à voir avec une forme d’humanité où l’amour et le sentiment de proximité peuvent pour un temps déjouer les rites guerriers.

Le troisième coup de dé met en jeu l’amour et les actes d’alliance tel le “ pacte de l’oranger ”.

 

“ Et voilà, dit‑il, en buvant la dernière goutte de café avec un sifflement discret, je suis ici chez vous, et dans une semaine, chez un autre… ( … ) ’

Le beau‑père, qui plumait les poulets sur la table, lui dit qu’il pouvait revenir à la ferme à la même époque, tant que lui serait vivant. Il le prendrait, il le lui promettait.

‘ Mais ’, ajoute le beau‑père, ‘ je n’ai pas d’orangeraie… Ici, les orangers ne poussent pas… D’ailleurs, j’ai jamais vu d’oranger. ’

L’homme, incrédule s’exclame en riant :

‘ Quoi ! vous, vous n’avez jamais vu d’oranger ? C’est pas possible… ’

‘ Où j’en aurais vu ? Je suis jamais sorti du pays, de la région… J’ai pas visité les jardins exotiques des villes, je sais que ça existe. J’en ai vu à la télé, mais de mes yeux, non jamais. ’

‘ Quand je reviendrai du Maroc, je vous rapporterai un plan d’oranger, je le planterai chez vous, je sais où, bien exposé, et si vous voulez, on lui construira une petite serre et il deviendra grand et beau, vous verrez… ’

‘ Si je suis encore en vie ’, dit le beau‑père, en arrachant, avec la pointe du couteau, le bout gris des plumes, enfoncé dans la chair du poulet. ‘ Oui, je suis d’accord, si je suis de ce monde à ton retour… ’ Il tend sa paume ouverte à l’ouvrier qui la frappe du plat de la main, pour signer le pacte de l’oranger. ”

A suivre...


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9 novembre 2009 1 09 /11 /novembre /2009 23:02

Il y a quelques temps que j'ai lu le très beau livre de Leïla Sebbar Marguerite et que j'ai réalisé cet entretien avec elle et comme je prépare actuellement un bouquin dialogue à deux voix j'ai repris ce texte et j'ai pensé que ça vous plairait d'y jeter un coup d'oeil... alors voilà !


Marguerite, Leïla Sebbar, Ed. Eden, 2002

Le pacte de l’oranger

 

 Marguerite. Est‑ce un prénom comme Fatima ou Shérazade ? Un prénom qui ferait rêver juste à l’écouter sans rien en savoir… Non. Marguerite n’a rien d’exotique. Rien qui lui permette de figurer sur une peinture de Delacroix ou de Dinet. Son prénom comme le mien comme celui des filles nées de ce côté‑ci de la Méditerranée dans une famille enracinée ne suggère aucune étrangeté. Pourtant c’est un nom de fleur mais on a tout oublié cde ce que ça signifie au‑delà d’une simple image d’un bouquet des champs…

Un bouquet comme les peignait Renoir à la fois sauvage et échevelé.Un bouquet où se mêlent le rouge sang des coquelicots et le clair un peu bleuté des pétales qu’on effeuille pour se souvenir. Marguerite aime le rouge. Le rouge de la vie.

Renoir aussi est allé se mesurer au soleil algérien à sa façon avec la générosité créatrice qui vaut bien l’exotisme de ses prédécesseurs. Si Marguerite pouvait marcher au creux du Ravin de la Femme Sauvage ainsi qu’il l’a peint à cette époque elle qui “ aime savoir comment vivent les autres dans les pays lointains où elle n’ira jamais ” elle aurait eu envie de nouer un pacte avec cette terre d’ocre et de feu où


Photo Jacques Du Mont Salon des Revues 2009


des cachettes de roseaux dissimulent les enfants et les femmes aux regards. Les regards des hommes d’Algérie jouent à cache‑cache avec l’ombre et avec la lumière en ces temps où on ne sait plus très bien ce qui est licité ou pas… Elle aurait aimé découvrir les femmes qu’a peintes Dinet et ses couleurs pastels aux tons trop doux des fois. Laisser se faufiler ses prunelles entre le mauve de leur peau et le scintillement fauve de leurs bijoux.

Au moment où commence son histoire Marguerite ne sait rien de la réalité algérienne coloniale. Elle ne sait certainement pas non plus où se trouve l’Algérie. C’est l’instituteur du village “ le même depuis des années, il mourra dans son école, c’est ce qu’il dit ” qui “ a sorti la carte de l’Afrique du Nord ” afin de leur montrer à elle et à Simon son fiancé “ les trois pays du nord de l’Afrique avec le Sahara ” parce qu’il va y avoir la guerre. Et parce que Simon va partir. Je n’ai pas rencontré Marguerite, mais je crois qu’elle n’aime pas la guerre. Et pourtant la guerre, l’amour et la mort sont les trois mots à partir desquels elle peut raconter sa vie à une autre femme au hasard d’un bistrot de gare. C’est à l’intérieur de ce triangle‑là que le jeu du récit va les relier l’une à l’autre mystérieusement.

 

L.S. : L’exil, le déplacement, les exodes liés à la guerre, aux guerres coloniales et aux guerres civiles, ces situations extrêmes, constituent la trame de mes livres et la trame de mes jours depuis que je suis enfant, adolescente dans la guerre d’Algérie. Par ailleurs l’amour déplacé, insolite, est aussi en lien avec l’histoire coloniale, et les effets souvent tragiques de cette histoire. La mort dans l’exil est l’un des effets de l’histoire contemporaine des migrations du Sud vers le Nord. C’est cet ensemble d’éléments qui m’intéresse et m’inspire parce que je suis profondément “ fabriquée ” par cette histoire, ces histoires.

 

Marguerite. Un prénom qui ne porte pas à imaginer des palais aux tapis d’azur et tentures tissées de fils d’or… Des jardins ouverts sur des coupoles de marbre grenat… Des fontaines à l’intérieur des patios où se découpent des moucharabieh de pierre. Non rien de tout cela ne résonne dans ces syllabes. Et pourtant Marguerite appartient dès le début de l’histoire à un univers en décalage avec celui des autres qui semblent jouer leurs rôles respectifs suspendus à la manière de marionnettes au‑dessus de la vie. La vie Marguerite est en plein dedans comme un arbre dans sa terre. Cet arbre c’est l’oranger que va lui offrir Sélim son ami et amant algérien afin de signer le pacte d’un amour infini.


“ J’au eu un chagrin… Un chagrin immense. J’ai compris ce jour‑là qu’on peut mourir de chagrin. Mourir d’amour… Mais je ne suis pas morte. ”

 

Marguerite ne meurt pas parce qu’il faut quelqu’un pour raconter l’histoire. Il faut toujours quelqu’un pour raconter sinon rien n’existerait. L’histoire existe quand elle passe de l’une à l’autre dans un souffle de mots. Entre celle qui raconte sa vie quelque part sur un quai de gare, dans une salle d’attente où le vent balaie les mégots gris froids et où le bruit des pas déchiquette les phrases commencées et celle qui s’en souviendra un jour afin de la passer à d’autres, un jeu de mots complice a lieu. Un jeu sans règles et sans en‑jeu. Comme lors de la répétition d’un pièce déjà jouée pour soi‑même et qu’on va désormais offrir à des regards étrangers qui en échange lui prêteront leur solitude et leur bienveillance.

Les bistrots sont des lieux d’errance semblables aux gares car les tabourets de bar ne retiennent personne longtemps. Des endroits où les portes battent sur des histoires qui sont de passage parmi les soucoupes tâchées de brun, les morceaux de sucre et les cendriers trop pleins. Des histoires aux odeurs de café froid et de fumée amère qu’on oubliera. Mais qui reviendront un jour avec leurs bruits familiers, leurs couleurs encore vives et leurs crissements d’ongles contre les tables. La mort de Sélim par laquelle débute le roman n’est en fait qu’un coup de dé sans lequel… 

 

L.S. C’est parce que Sélim meurt que j’ai écrit ce roman. S’il n’était pas mort, je n’aurais pas rencontré celle qui m’a inspiré Marguerite : c’était dans les années 80, à Paris. Je collaborais au journal Sans frontières où je tenais une chronique régulière : “ Mémoire de l’immigration ”, des entretiens avec diverses personnes en exil pour des raisons différentes, hommes, femmes, jeunes gens, jeunes filles, ( nés de parents étrangers ).

J’ai reçu un jour au journal une lettre de lectrice française qui vivait dans un village de l’est de la France et qui lisait Sans frontières… J’ai voulu la rencontrer.

On s’est donné rendez‑vous dans un Café de la Gare de l’Est. Je souhaitais faire un entretien avec elle, elle non. On a bavardé un moment, elle a repris le train et je ne l’ai plus revue. Elle m’a dit peu de choses de sa vie : elle avait été ouvrière, elle était d’origine rurale, elle avait épousé un ouvrier, elle avait eu des enfants, son mari était mort. Plusieurs années plus tard, elle avait rencontré un Algérien colporteur ( comme il y en a encore dans les villages isolés où les commerçants passent une fois par semaine ), ils s’étaient aimés et il était mort dans un accident de voiture.

J’ai écrit un premier texte à partir de ces éléments, une longue nouvelle, puis je l’ai oubliée… je l’ai retrouvée et j’ai écrit ce roman à partir des mêmes éléments mais sans tenir compte du premier texte. Sélim meurt parce qu’il doit mourir, c’est dans la vie de Marguerite, comme un destin.

 

“ Simon prend le livre ouvert sur le revers du drap :

‘ C’est quoi ce livre ? Tu peux me le dire ( … ) ’

‘ Tu m’as perdu la page… ’

‘ Tu la retrouveras ta page. Qu’es‑ce qu’il raconte, ce bouquin ? ’

‘ Ça t’intéresse ? Vraiment ? demande Marguerite qui ne sait pas si elle doit répondre. C’est l’histoire d’une Française qui est née dans les îles, aux Antilles, et qui est enlevée par des pirates… ’

Marguerite s’arrête à cause du sourire de Simon.

‘ Continue, continue… ’

Marguerite poursuit :

‘ Ça se passe à la fin du XVIIIe SIÈCLE, c’est une histoire vraie, tu sais, même si c’est un roman… Donc, cette femme s’appelle Aimée. Capturée par les corsaires barbaresques, elle se retrouve dans le harem du sultan de Constantinople. Elle a quinze ans, elle est belle et intelligente. Elle devient la favorite et j’en suis au moment où le siccesseur du vieux sultan tombe amoureux d’elle… ”

Simon se met à rire :

‘ Alors c’est ça ce que tu lis ? Et ça te plaît ? C’est bien les femmes… Une Française qui va devenir sultane et qui vit dans des palais magnifiques, le luxe, la richesse, l’amour… Toujours des reines, des princesses, d’orient… Des sultans raffinés et cruels… C’est beau et c’est triste, naturellement, enfin, j’espère… Il faut des malheurs pour y croire… Pour que les femmes comme toi y croient…’

Simon se penche vers Marguerite assise dans le lit :

‘ Tu oublies que tu es une ouvrière, que ton mari travaille en usine, que tu habites un petit pavillon acheté à tempérament… C’est ça ? Si ça te fait plaisir… Si ça t’aide à supporter la misère, parce que nous, à côté de tes sultanes, on est des misérables, des moins que rien, des minables… ’

 

A suivre...

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