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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

2 septembre 2009 3 02 /09 /septembre /2009 21:05

      Et pour reprendre en douceur nos petites habitudes de tenter de mettre un peu de sens à ce monde de oufs voici un article que vous pourvez lire sur le site www.info-palestine.net qui va contredire u  peu la multitude des bien-pensants et des enquiquineurs de tout poil qui vomissent sur Fidel Castro et sur Cuba...
      Eh bien ! non pas de chance le vieux loup n'est pas mort ni gâteux et les articles qu'il écrit sont même carrément passionnants et drôlement intéressants concernant un petit pays par la superficie mais grand par l'âme par le coeur et le combat des gens pour résister à l'influence omniprésente des US. Et sa connaissance excellente du sujet nous offre pas mal de pistes pour résister nous aussi et au moins pour ne pas ignorer que c'est possible ! Alors pas question de s'en priver...

Sept poignards au cœur de notre Amérique latine

Mardi 11 août 2009

 

Fidel Castro Ruz

 

      JE lis et relis des données et des articles élaborés par des personnalités intelligentes, bien connues ou peu connues, qui s’expriment dans divers médias et tirent leurs informations de sources que nul ne conteste.

 

      Les peuples qui habitent la planète courent partout des risques économiques, environnementaux et militaires découlant de la politique des Etats-Unis, mais ceux qui vivent sur ce continent-ci, au sud de ce pays hégémonique, et qui en sont donc les voisins sont menacés par de bien plus graves problèmes.

      La présence d’un Empire si puissant qui a disséminé sur tous les continents et sur tous les océans des bases militaires, des porte-avions et des sous-marins nucléaires, des bâtiments de guerre modernes et des avions de combat perfectionnés emportant toutes sortes d’armes, des centaines de milliers de soldats pour lesquels leur gouvernement réclament l’impunité absolue, constitue le pire des casse-tête pour n’importe quel gouvernement, qu’il soit de gauche, du centre ou de droite, qu’il soit allié des Etats-Unis ou non.

      Le problème pour nous qui en sommes les voisins n’est pas qu’on y parle une autre langue et que ce soit une nation différente. Il y a des Etatsuniens de toutes couleurs et de toutes origines. Ce sont des gens pareils à nous et capables de n’importe quel sentiment, dans un sens ou un autre. Le drame, c’est le système qui s’y est développé et imposé à tous. Ce système n’est pas nouveau quant au recours de la force et aux méthodes de domination, car celles-ci ont prévalu tout au long de l’Histoire. Ce qu’il y a de nouveau, c’est l’époque que nous vivons. Aborder la question à partir de points de vue traditionnels est une erreur qui n’aide personne. Lire et savoir ce que pensent les défenseurs du système est bien plus éclairant, parce qu’il permet de prendre conscience de sa nature qui se fonde sur l’appel constant à l’égoïsme et aux instincts les plus primaires des gens.

      Si l’on n’était pas convaincu de la valeur de la conscience et de sa capacité à primer sur les instincts, on ne pourrait même pas exprimer l’espoir d’un changement à n’importe quelle période de la très brève histoire de l’homme. Pas plus qu’on ne pourrait comprendre les terribles obstacles qui se dressent face aux différents dirigeants politiques des nations latino-américaines ou ibéro-américaines du continent. Tout compte fait, les peuples qui vivaient dans cette partie de la planète voilà des dizaines de milliers d’années jusqu’à la fameuse « découverte » de l’Amérique, n’avaient rien de latins, d’ibériques ou d’européens ; leurs traits étaient bien plus ressemblants à ceux des Asiatiques d’où proviennent leurs ancêtres. Nous le constatons de nos jours sur les visages des autochtones du Mexique, d’Amérique centrale, du Venezuela, de Colombie, d’Equateur, du Brésil, du Pérou, de Bolivie, du Paraguay et du Chili, un pays où les Araucans écrivirent des pages indélébiles. Les habitants de certaines zones du Canada et de l’Alaska conservent leurs racines indigènes avec toute la pureté possible. Mais sur le principal territoire des Etats-Unis, une grande partie des anciens habitants furent exterminés par les conquérants blancs.

      Des millions d’Africains, tout le monde le sait, ont été arrachés de leurs terres pour travailler comme esclaves sur ce continent. Leurs descendants constituent la majorité de la population dans des nations comme Haïti et une grande partie des Antilles, et de vastes secteurs dans d’autres pays. Aux Etats-Unis, ils se comptent par dizaines de millions et constituent en règle générale les citoyens les plus pauvres et les plus discriminés.

      Au fil des siècles, les Etats-Unis ont réclamé des droits privilégiés sur notre continent. A l’époque de Marti, ils tentèrent d’imposer une monnaie unique basée sur l’or, un métal dont la valeur a été la plus constante au long de l’Histoire et sur lequel le commerce international se basait en règle générale. C’est à partir de Nixon que celui-ci s’est fondé sur le papier-monnaie imprimé aux Etats-Unis, sur le dollar, une devise qui vaut aujourd’hui vingt-sept fois moins qu’au début des années 70, ce qui est là une de leurs si nombreuses manières de dominer et d’escroquer le reste du monde. De nos jours, toutefois, d’autres devises se substituent au dollar dans le commerce international et dans les réserves en monnaies convertibles.

Si les devises de l’Empire se dévaluent d’une part, ses réserves en forces militaires augmentent de l’autre.
      La superpuissance, qui a monopolisé la science et la technologie les plus modernes, les a orientées dans une mesure considérable vers la mise au point d’armements. On ne parle plus seulement, désormais, de milliers de projectiles nucléaires ou du pouvoir destructeur des armes classiques ; on parle d’avions sans pilote manœuvrés par des automates. Ce n’est pas là de la fantaisie. Certains avions de ce genre sont déjà utilisés en Afghanistan et ailleurs. Selon des rapports récents, l’Empire se propose dans un avenir relativement proche, en 2020, bien avant que la banquise antarctique n’ait fondu, d’inclure parmi ses deux mille cinq cents avions de combat mille cent F-35 et F-22 de la cinquième génération dans leurs versions chasse et bombardier. Pour avoir une idée de ce potentiel, il suffit de dire que ceux dont ils disposent sur la base de Soto Cano, au Honduras, pour l’entraînement des pilotes de ce pays sont des F-5 ; et que ceux qu’ils ont livrés aux forces aériennes du Venezuela, avant Chavez, au Chili et à d’autres pays sont de petites escadrilles de F-16.

      Mais il y a encore pire : l’Empire projette, d’ici à trente ans, de faire piloter tous ses avions de combat, depuis les chasseurs jusqu’aux bombardiers lourds et aux avions citernes, par des robots.

 

      Ce pouvoir militaire n’est pas une nécessité du monde : c’en est une du système économique que l’Empire impose au monde.

      N’importe qui peut comprendre que si les automates peuvent se substituer aux pilotes de combat, ils peuvent aussi se substituer aux ouvriers dans de nombreuses usines. Les accords de libre-échange que l’Empire tente d’imposer aux pays de ce continent impliquent que les travailleurs devront faire concurrence à la technologie de pointe et aux robots de l’industrie yankee.

      Les robots ne font pas grève, ils sont obéissants et disciplinés. Il existe maintenant des machines pour cueillir les pommes et d’autres fruits. On pourrait poser la même question aux travailleurs étasuniens : Où passeront les postes de travail ? Quel est l’avenir que le capitalisme sans frontières, à son étape de développement avancée, assignera aux citoyens ?

      A la lumière de ces réalités et d’autres, les dirigeants des pays de l’UNASUR, du MERCOSUR, du Groupe de Rio et d’autres ne peuvent manquer d’analyser la très juste question que pose le Venezuela : à quoi servent les bases militaires et navales que les Etats-Unis veulent établir autour du Venezuela et en plein cœur de Notre Amérique ? Je me rappelle que voilà plusieurs années, quand les relations entre la Colombie et le Venezuela, deux nations sœurs par la géographie et l’histoire, s’étaient dangereusement crispées, Cuba avait promu en silence des mesures de paix importantes entre elles. Comme Cubains, nous ne stimulerons jamais la guerre entre des pays frères.

      L’expérience historique, la destinée manifeste proclamée et appliquée par les Etats-Unis et la faiblesse des accusations lancées par la Colombie contre le Venezuela : fournir des armes aux FARC, de pair avec les négociations en cours par la première en vue de céder sept points de son territoire aux forces aériennes et navales des Etats-Unis, contraignent forcément le Venezuela à dépenser dans des armes des moyens qu’il pourrait utiliser pour impulser l’économie, les programmes sociaux et la coopération avec d’autres pays de la région moins développés et possédant moins de ressources. Le Venezuela ne s’arme pas contre le peuple frère colombien : il s’arme contre l’Empire qui a déjà tenté de liquider sa révolution et qui prétend aujourd’hui installer ses armes de pointe aux abords de sa frontière.

 

      Ce serait une grave erreur de penser que la menace est braquée uniquement contre le Venezuela : elle vise tous les pays du Sud du continent. Aucun d’entre eux ne pourra éluder cette question et plusieurs d’entre eux se sont déjà déclarés dans ce sens.

      Les générations présentes et futures jugeront leurs dirigeants à la conduite qu’ils adopteront aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement des Etats-Unis, mais des Etats-Unis et du système. Qu’offre-t-il ? Que cherche-t-il ?

      Il offre le Traité de libre-échange des Amériques (ALCA), autrement dit la ruine anticipée de tous nos pays, la libre circulation des biens et capitaux, mais non celui des personnes. Les USA ont maintenant peur que leur société opulente et surconsommatrice ne soit inondée de Latinos pauvres, d’Indiens, de Noirs et de métis, ou de Blancs sans emploi dans leurs propres pays. Ils expulsent tous ceux qui font des fautes ou sont de trop. Ils les tuent bien souvent avant qu’ils ne puissent entrer, ou les renvoient comme des troupeaux, quand ils n’en ont plus besoin. On compte douze millions d’immigrants latino-américains et caribéens illégaux aux Etats-Unis. Une nouvelle économie vient de voir le jour dans nos pays, surtout parmi les plus petits : les envois de fonds familiaux.
      Quand elle éclate, la crise frappe surtout les immigrants et leurs familles. Parents et enfants sont cruellement séparés, parfois pour toujours. Si l’immigrant a l’âge du service militaire, on lui propose de s’engager pour combattre, à des milliers de kilomètres de distance, « au nom de la liberté et de la démocratie ». Au retour, s’il ne meurt pas, on lui concède le droit de devenir citoyen des Etats-Unis. Comme il est maintenant bien entraîné, on lui offre la possibilité de s’enrôler non comme soldat de métier, mais bel et bien comme soldat civil des compagnies privées qui prêtent service dans les guerres de conquête impériales.

 

      Il existe d’autres très graves périls. Les dépêches n’arrêtent pas de nous parler des émigrants mexicains et d’autres pays de la région qui meurent en tentant de franchir la frontière actuelle entre le Mexique et les Etats-Unis. En fait, bien plus de personnes meurent tous les ans sur ce mur-là que sur le fameux mur de Berlin en presque vingt-huit ans !

      Le plus incroyable, c’est qu’on parle à peine dans le monde d’une autre guerre qui fauche des milliers de vies tous les ans : en 2009, elle a déjà tué plus de Mexicains que la guerre menée par Bush contre l’Irak durant toute son administration n’a tué de soldats étasuniens !

      Cette guerre-là au Mexique a éclaté parce que les Etats-Unis constituent le plus gros marché de drogues au monde. Et pourtant, il n’existe pas de guerre aux USA entre la police et l’armée, d’une part, les trafiquants de drogues, de l’autre : cette guerre a été exportée au Mexique et en Amérique centrale, mais surtout au Mexique, le plus proche des USA ! Les images de cadavres entassés que nous transmet la télévision et les nouvelles de personnes assassinées dans les salles d’opération mêmes où on tentait de leur sauver la vie sont horrifiantes. Mais aucune ne provient des Etats-Unis...

      Cette vague de violence et de sang s’étend peu ou prou dans les pays sud-américains. D’où provient l’argent sinon de cette source infinie que constitue le marché étasunien ? Parallèlement, la consommation tend à s’étendre aux autres pays de la région, causant encore plus de victimes et de dommages, directs ou indirects, que le sida, le paludisme et d’autres maladies réunies.

      L’Empire, dans ses plans de domination, alloue d’énormes sommes aux organes dont la mission est de mentir à l’opinion publique et de l’intoxiquer. Il peut compter pour cela sur la complicité absolue de l’oligarchie, de la bourgeoisie, de la droite intellectuelle et des médias.

      Ces organes sont des experts quand il s’agit de faire connaître les erreurs et les contradictions des hommes politiques.

      Le sort de l’humanité ne saurait rester aux mains de robots convertis en personnes ni de personnes converties en robots.

 

      En 2010, l’administration étasunienne dépensera 2,2 milliards de dollars, par département d’Etat et US/AID interposés, pour promouvoir sa politique, soit 12% de plus que Bush dans sa dernière année à la présidence, dont 450 millions seront destinés à prouver que la tyrannie imposée au monde signifie démocratie et respect des droits de l’Homme.

      L’Empire ne cesse de faire appel aux instincts et à l’égoïsme des êtres humains ; ils méprisent la valeur de l’éducation et de la conscience. Le peuple cubain a fait preuve de sa capacité de résistance durant cinquante ans. La résistance est l’arme à laquelle les peuples ne peuvent jamais renoncer : les Portoricains sont parvenus à stopper les manœuvres militaires à Vieques en s’installant sur les champs de tir.

      La patrie de Bolivar, dont on sait le rôle historique qu’elle a joué dans les guerres d’indépendance des peuples américains, est aujourd’hui le pays qui inquiète le plus l’Empire. Les Cubains qui y prêtent service comme spécialistes de la santé, éducateurs, professeurs d’éducation physique et de sport, informaticiens, techniciens agricoles et dans d’autres domaines, doivent tout donner dans l’exercice de leurs devoirs internationalistes pour prouver que les peuples peuvent résister et être les tenants des principes les plus sacrés de la société humaine. Sinon, l’Empire détruira la civilisation et jusqu’à notre espèce.

 

Du même auteur :

 

Honduras : une erreur suicidaire - 30 juin 2009

Elle n’est pas aisée, la tâche d’Obama - 19 juin 2009

Percer à jour la pensée du nouveau président des États-Unis - 1° février 2009

G20 : Quand la montagne accouche d’une souris - 19 novembre 2008

La loi de la jungle - 14 octobre 2008

Bush, les millionnaires, la surconsommation et la sous-consommation - 18 juin 2008

La machine à tuer - 11 juillet 2007

 

5 août 2009 - Granma - Vous pouvez consulter cet article à :

http://www.granma.cu

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1 septembre 2009 2 01 /09 /septembre /2009 23:01

      Eh bien nous revoici après un petit mois de repos et de soleil qui a été au rendez-vous de notre été...
      On recommence un nouvelle année solaire qui coïncide pile avec l'anniversaire de mézigue et donc pour l'occasion voici un p'tit poème diabolique concocté à votre intention dedans notre cité d'Orgemont à Epinay que vous commencez à bien connaître désormais et qui m'a été inspiré par l'intuition que notre retour au quotidien ne va pas être triste...
       On espère vous retrouver tous car on a plein de choses à vous raconter et de projets nouveaux pour bientôt... Alors à tout d'suite !    
 
Le dos tourné
Epinay, dimanche, 23 août 2009


Il est assis dessus une chaise devant

Le banc en béton rond

Où plus personne ne s’assoit sauf les marchands

De perles à lumière et de mouron

Les papiers et les boîtes de coca

Traînent par là y’a pas un chat vivant

C’est comme ça ici ailleurs c’est comme ça

Aussi la guerre est loin on a la baraka

Il tourne son dos las à ceux qui passent

Sur la meule du silence on aiguise

De gros rires tranchants

Au feu on scelle les fers des forçats

Mais à part des histoires de courses à faire

Rien sauf des tessons que l’angoisse casse

Partout quand il a le dos tourné aucun doute

La trouille se déguise

En honte l’indifférence préfère

La brioche au pain des pauvres rassis

Et l’Afrique en bagage dans la soute

Sombre ici on mange à sa faim merci

Du riz premier prix et des corn-flakes trempés

Dans du lait UHT

 

A deux heures après midi il est assis

Ilote muet du temple en béton

Gris on lui a mis au cou un collier

De perles à lumière

Que les pêcheurs remontent par paliers

Des épaves englouties nos maisons de pierres

Au milieu de la ville une fille qui passe

En jeans et talons hauts

Tiens ! sur la plaque d’égout elle a dérapé

Devant la boucherie musulmane elle tombe

Ça va bien Madame ? il a chuchoté

Discret pas de bidoche pas de bombe

Le décor qui l’entoure est en carton

Le dos tourné pendant qu’elle ramasse

Surprise son sac dans le caniveau

 

A trois heures après midi rien sauf la bière

Sur sa chaise la clope au bec il est assis

Milieu des carcasses de poulet qui pourrissent

L’odeur on s’habitue

C’est comme ça ici ailleurs aussi

Et la chaleur dévore le vieux qui trottine

Vers la pharmacie personne voit ses varices

Bientôt il bougera plus suintent les rombières

A minuit un avion F16 qui tourne en rond

Pour repérer sa proie

Et empêche cinq cent gamins de s’endormir

Dans le dortoir du camp où la terreur butine

Ses fleurs et puis les tue

Sur la cité du Sud une odeur de café

Et de cardamome plane au ras des charognes

C’est midi la dépêche AFP interrompt

La musique à fond sur le parking juste trois

Minutes le dos tourné il digère

Son cheeseburger le désert en point de mire

Le Liban c’est par où ? encore une bouffée

Dessous le foulard noir des mouches plein la trogne

 

A quatre heures après midi il est assis

Face de la boucherie chevaline

Tiens ! il a fait cent mètres 

Trop long son tee‑shirt qui pue la sueur

Grasse des quartiers où on se dépêtre

Avec les doigts malpropres des tueurs

Quand une femme en djellaba qui passe

Glisse sur la plaque d’égout et perd

Ses babouches et son couffin à la renverse

Ça va bien Madame ? il a grimacé

Sans bouger le dos tourné pendant qu’elle court

Après les grenades qui se débinent

Allons faut pas s’en faire

Ici pas de guerre pas de famine

Et les diamants rouges du Katanga docile

N’achèteront pas les reins des peuples chassés

De chez eux au grand jour

Personne qui regarde leurs grands yeux fossiles

 

A six heures après midi il est assis

Toujours au même endroit le vacarme l’amuse

Ici c’est le dégoût avec le bruit qu’on berce

Et les portes bouclées devant le monde

Qui trottine avide d’un petit verre d’eau

C’est comme ça ici ailleurs aussi

On a le choix des armes et le choix des ruses

La paluche des chefs ne fait pas de cadeaux

Les travailleurs qu’on jette dehors des usines

Babylone en ruines l’enfance porte‑flingue

Les caves les poètes crevés les mineurs

Les terriers sans issue les hommes sans mémoires

Le sang au fil des fleuves l’Afrique en bagage

De soute les corps aliénés le déshonneur

Des armées les peuples privés de nom

Les stades la gloire honteuse Nagasaki

Les cellules silence rien dans les grimoires

Qui témoigne de notre présence dressée

Les livres mis au pilon les amis immondes

Les arbres brûlés les trous dans les fringues

Des vieux les abattoirs les check points sans visage

Les pauvres gens les transformateurs la jeunesse

L’océan couleur mazout la chair à canon

Du fric pour dénoncer n’importe qui

Rien non rien de tout ça qui l’intéresse

 

A minuit il est assis sur sa chaise

Le dos tourné personne ne sait depuis quand

Il n’a pas bougé de son trône hagard

Pas un chat vivant et même pas un marchand

De perles à lumière

Et voilà l’heure où les héros repus se taisent

Où les rois les bourreaux les prêtres sans remords

Le plantent dedans son tee‑shirt de clown ringard

Qui flotte partout drapeau et suaire

C’est écrit dessus Le respect est mort.

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31 juillet 2009 5 31 /07 /juillet /2009 22:57

       Comme promis à Quichottine il y a quelques jours lors de la publication d'un extrait du "Block Trois l'Afrique" voici une des suites de cette histoire qui lui rappellera encore des souvenirs je suppose...  Et si vous êtes sages c'est possible que malgré les vacances bien méritées je fasse une petite incursion sur notre blog durant le mois d'août pour vous refiler un autre passage de ce bouquin à venir...
      Alors bonnes vacances à toutes et à tous... profitez-en et faites les oufs il sera toujours bien temps de revenir à la raison... A bientôt
parmi les Cahiers des Diables bleus...

Zoulika la négresse

La Cité aux ordures… années 1960-70…

 

      Ecoute… écoute… je voudrais te raconter une histoire…

 

      A peine débarqués il a fallu s'enfoncer dans les boyaux des rues zig-zag des enfilades de tôle ondulée qui délimitaient une zone industrielle abandonnée genre décor de théâtre mais c’est vraiment là que tu vis… De plus en plus ils marchaient et de plus en plus la poussière grise un peu partout… Des tas pas très gros comme des taupinières si on veut… Et puis d'un seul coup après la dernière tôle qui délivrait un immense désert blanc de craie l'odeur a fondu sur eu…. A angle droit… Avec ses griffes longues et tenaces qui mordent partout et des petits champignons de fumée noire à l'autre bout d'où ça semblait venir… Apparemment y fallait encore traverser tout c't'espace vide pour découvrir entre un gros tas de poussière et un champignon d'odeur moite la Cité d'urgence…
      La Medina des Arabes réservée à ceux qui arrivent direct pour s'embaucher dans l'usine des copeaux ou des choux… Zoulika en tête de la tribu elle cherche sans le trouver le regard de Yahya qui fixe le sol tout blanc… Doucement comme il est Yahya il s'est baissé pour toucher avec ses mains…
      Et il a remué la tête de droite et de gauche à la manière de celui qui n'comprend pas… Alors Zoulika dont le cœur battait comme une grenade très mûre a pigé pourquoi sa vieille négresse arabe de mère lui répétait souvent que ses orteils étaient des racines sans terre et que ça voulait bien dire quelque chose…
      - Notre royaume… elle a songé à tous les rêves qu'ils avaient faits en partant de là‑bas…Et puis en caressant son ventre rond elle a imaginé le môme qui allait grandir entre une cimenterie désaffectée aux taupinières de cailloux blancs et la décharge des ordures… Plus tout c'qu'on n'sait pas !…
      Et alors fallait pas venir… qu'elle s'est dit en haussant les épaules… Mektub !…
      Elle a été une des premières Zoulika à gravir le petit sentier où sont plantés comme des bananiers sans feuilles des sortes de bidules en bois avec tout au bout des godasses usagées… des vêtements grignotés par le vent et des lambeaux d’affiches où on voit des jambes de femmes nues et des chaussures rouges à talons aiguilles…
      Un peu étonnée d’abord par ce chemin qui semblait balisé pour eux  par les choses que le vent du Sud qui soufflait du ventre des voitures sur la voie express emportait… les choses des poubelles…
      M’mâ Zoulika… on l'appelait pas encore M’mâ… a emmené la tribu vers son destin… A l'arrière plan du vilain décor des baraquements badigeonnés de tags et d’inscriptions géantes sous les échelles métalliques qui les parcourent de haut en bas… Alors comme c'était dur d'y croire elle a demandé en arabe à un type sorti du blanc… un qui avait le faciès et qui portait le sac de ciment sur l’épaule… si c’est bien par là la Cité des Arabes…
      - Tu viens d'où ? qu'il a répondu pareil avec le salut pour tous et dans la langue qui a les sonorités du Sud… Le Sud de là-bas… Rauque… sèche comme le sable dans la bouche et les grand palmiers…
      Mais Zoulika elle ne venait de nulle part… Elle a compris en quelques secondes qui glissent entre les doigts qu'il ne fallait plus se retourner… Jamais plus… Ici il y aura les fils… Et les fils des fils… Et en posant sa main sur le cœur-grenade pour saluer elle est repartie vers l'odeur du monde nouveau… Mektub !

      Ecoute… écoute… je voudrais te raconter une histoire…

       - Tout ça c’est l’affaire de M’mâ Zoulika !…

      C’est ce qu’elle dit Zoulika en se tapant les cuisses en cadence entortillée des mamelles jusqu’au nombril dans le fichu rouge qui a porté ses sept fils et ses sept filles… Sur n’importe quelle autre femme il ferait guenille mais pas sur Zoulika…

      Non pas sur elle… Zoulika malgré ses rondeurs et pas mal de soucis en plus elle possède une aisance naturelle que l’Afrique a déposée sur elle comme la rosée.

      Les pieds nus à l'intérieur des sandales… les pans de tissu orange de sa jupe où courent des éléphants relevés un peu au-dessus des genoux laissent voir des scarifications plus claires à la manière de cailloux polis en creux… elle balance ses lourdes hanches sur le rythme d’un tambour que personne n’entend… Sauf elle.

      C’est sûr qu’elle l’entend sinon elle pourrait pas tenir comme ça à se dandiner aussi longtemps dans la puanteur des cageots de tomates trop mûres… des tas d’oranges… des mangues ouvertes et des citrouilles éclatées comme des ventres qui sèment leurs graines de sous blancs…

      A chaque fin de marché quand ça commence à sentir Zoulika… la reine des baraquements de la Cité-ghetto… la Medina arabe… Zoulika entre dans la danse…

      Contrairement à ce qu’on croit à la voir marcher en sautillant sur ses replis de peau noire que les éléphants du boubou ont du mal à contenir les pieds de Zoulika lorsqu’il le faut sont plus légers que les pattes de la pluie…

      Elle dirige de main de maîtresse la récupération des fruits jamais assez avariés… des légumes tout épluchés et même parfois de la viande comestible parfaite que les marchands de l’outre à mangeaille laissent sur place…

      Et qui doivent être détruits… L’outre à mangeaille un des gigantesques entrepôts où viennent se fournir en nourriture les habitants de la Cité aux ordures étire ses pattes en tous sens à la manière d'une grosse araignée

      Dans la partie la plus proche de la Medina ça ressemble à un vrai souk d'odeurs et de couleurs trop fortes avec les langues qui s’emmêlent… C'est là que M’mâ Zoulika elle a établi son commerce si on peut dire… Ça a pas été sans mal si on y pense bien… Et d’abord il a fallu avoir l’idée…

      Et puis heureusement que M’mâ dispose d’une famille nombreuse et des tas d’amis pour procéder au ramassage… Sans parler bien sûr de son rôle à elle M’mâ… à l’intérieur de la Medina… son rôle de mère nourricière et de prêtresse des cérémonies du passage d'un côté à l'autre…

      Y a pas vraiment de lien entre ceux du dehors qui habitent les Blocks béton frais qu'on vient de planter là comme des arbres chauves et ceux du dedans de la réserve entourée de barrières en bois poisseuses de résine encore et habitées d'insectes… Ils se retrouvent à l'usine et ensuite leurs chemins se hérissent à nouveau d'indifférence.

      C’est sur les reins et le dos généreux de négresse de M’mâ aussi solide que l’arbre qui donne les enfants dans le pays de son père que repose l’alimentation d’une bonne part des familles blacks et arabes de la Medina…

      Sur ses reins et sur son dos qui ont porté dans le fichu rouge ses sept garçons et ses sept filles contre le boubou aux éléphants… Parce qu'il ne faut pas croire que de faire l'ouvrier dans les quartiers de pauvreté… dits les faubourgs… ça nourrit le monde…

      Ça permet tout juste d'obtenir une baraque d'urgence dans l'enceinte de la Medina… encore un nom qui contourne celui moins compliqué de Bidon-City… mais sans le petit jardin autour ni les lapins que possèdent les habitants des maisons ouvrières… 

      - Ça c’est l’affaire de M’ma Zoulika !… Ouallah !…

 

      Zoulika se tape de plus en plus vite sur les cuisses en faisant basculer son derrière contre les sacs en plastique super marché bourrés de trouvailles… Zohra une gamine de quinze ans au front tatoué d'une étincelle bleue les empile avec un va-et-vient lent comme une petite vague… Une petite vague chaude sur trottoir dégoûtant…

      Dans la chaleur de fines gouttes de sueur viennent se charger d'ombre sur ses paupières… Délicates elles ressemblent à des ailes de papillons les mains passées au henné de Zohra qui plongent à l'intérieur des déchets poisseux et grouillants d'un tas de bestioles concurrentes pour faire le tri… Y a pas de temps à perdre… à côté d'elle M’mâ a déjà dressé une pile énorme de cageots où elle va entasser les choses qu'on mange débarrassées de leurs habitants avec la précision d'un désordre organisé…

      C'est comme ça que les fonctionnaires de la Cité qui passent à l'heure où ça cuit au point qu'il monte au-dessus des collines de déchets une vapeur orange pointillée de grésillements qui chevauchent les bennes dévoreuses évitent de toucher à la citadelle anarchique des cageots de Zoulika la sorcière…

      On n'sait jamais ! Vaut mieux se méfier de cette négresse arabe qui a peur de personne et qui a déjà à plusieurs reprises ridiculisé et maudit le directeur de l'outre à mangeailles… Ta fille et la fille de ta fille… quelles aient le ventre pourri par toute la nourriture que tu t'empiffres !

       Malgré ses gardes-chiens au museau aiguisé le type s'est réfugié au milieu des soutiens gorges en soie rouge pour contrer la débine qui lui tombait dessus devant tout le monde. C'est le premier rayon près de la porte qui attire les mômes du bidonville qui viennent se scotcher comme des fourmis volantes sur le verre…

      - Ouallah !… Ça va pas… mais ça va pas di tout !…

      -  Zohra ma fille… pourquoi vous allez pas plus vite à ramasser li légumes ? Y a les autres qui vont emporter tout dans les estomacs de la mémère Ordures…

      - Zohra ma fille ou elle est encore passée ta sœur ? Kenza… Kenza… Ah ça va pas… ça va pas di tout !…



A suivre...

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27 juillet 2009 1 27 /07 /juillet /2009 23:10

Jeff Halper : “ Alors, un Etat commun ” suite

Cet article est publié sur le site : www.info-palestine.net

Dimanche 26 juillet 2009

Jeff Halper, fondateur du Comité israélien contre la destruction de maisons ( ICAHD )

 

Interview de Jürgen Rose

 

Tournons-nous vers la politique actuelle d’Israël. Comment jugez-vous la volonté et la capacité du gouvernement israélien actuel de parvenir à une solution de paix durable respectivement avec les Palestiniens et les arabes ?

 

      Il n’y a pas le moindre intérêt au sein du gouvernement Netanyahou pour conclure la paix avec les Palestiniens. Israël est un Etat militaire. En réalité, l’armée détermine depuis toujours la politique, et les dirigeants militaires sont devenus des politiciens. Et ils vivent dans l’idée de pouvoir vaincre les Palestiniens - ou “ les Arabes ”, puisqu’en Israël on ne se sert pas du mot “ Palestiniens ”.

      C’est dans ce but que l’Holocauste est instrumentalisé, que les relations avec les USA et la communauté juive très influente d’Europe sont utilisées. Israël dispose de ces ressources et de ses forces de combat si puissantes. Il exerce ainsi un contrôle sur l’ensemble du pays et ce, à tout jamais. C’est pourquoi Israël peut faire traîner le processus de paix jusqu’à la Saint‑Glinglin, en isolant les Palestiniens et en concluant des accords de paix séparés avec chaque pays arabe. Le calcul est le suivant : si nous pouvons vaincre, pourquoi nous préoccuper d’un compromis de paix ?

      Pour nous, en tant qu’organisation pacifiste, il s’ensuit que nous devons aller vers le monde et dire clairement que ce conflit possède une signification globale et qu’il est de l’intérêt de la communauté internationale de s’en préoccuper. Le résultat devrait être que les Etats exercent une pression sur Israël afin qu’il conclue une paix véritable avec les Palestiniens. Mais cela ne peut se faire en Israël même, il faut que ce soit imposé du dehors. Israël n’y sera jamais disposé volontairement, il faut qu’il y soit poussé et contraint. C’est seulement en exerçant ces pressions qu’on pourra aider Israël, autrement, le conflit perdurera éternellement.

 

Comment décririez-vous les protagonistes du gouvernement de coalition actuel, Netanyahou, Lieberman et Barak ?

 

      Tous les partis politiques israéliens d’Israël partagent la même idéologie. Leur doctrine fondamentale est que les Arabes sont nos ennemis héréditaires. Ce n’est pas Netanyahou mais Barak qui le proclame presque chaque jour : “ Il n’y a pas de solution politique, les Arabes ne font rien d’autre qu’essayer de nous jeter à la mer, il n’existe pas de partenaire pour la paix, on ne peut faire confiance aux Arabes ” - toutes ces paroles, la population israélienne les a intériorisées et c’est de cette manière qu’on réussit à contrôler l’ensemble du pays. En revanche, le peuple israélien veut absolument la paix. Le peuple israélien est contre l’occupation et la politique de colonies de peuplement. Mais les militaires, que représente Barak, et la droite, que représente Netanyahou, croient devoir contrôler tout le pays pour une durée illimitée. Que ce soit pour des motifs nationaux - c’est “ notre ” pays - ou de sécurité. Comment dès lors produit-on le soutien à l’occupation, si la population en réalité n’en veut pas ?

      Eh bien, cela se fait en lui expliquant qu’elle est encerclée par des ennemis et qu’elle ne peut donc renoncer au contrôle. Car même si l’ennemi disait qu’il est disposé à la paix, on ne pourrait et on ne devrait pas lui faire confiance, puisque la seule chose qui l’intéresse est de tendre un guet-apens à Israël. Cette propagande a rendu complètement impuissante la population israélienne, car si tous les partis politiques ont ces arguments, qui donc doit-elle élire ? En fait, Israël a cinq partis Likoud : le vrai de Netanyahou, celui de Lieberman, le Kadima de Sharon, puis le Shaz religieux et enfin le parti travailliste.

 

C’est pour cela qu’il n’a pas été difficile de conclure la coalition actuelle ?

 

      Oui, il s’agit de facto d’un gouvernement d’unité nationale, dont les participants sont heureux ensemble. Mais cela ne laisse aucune alternative de choix au public israélien, puisqu’aucun des partis ne se lève pour dire : “ Nous pouvons conclure la paix, il y a une solution politique, les arabes ne sont pas nos ennemis, etc... ”.

 

Comment décririez-vous les rapports entre la population israélienne et les Palestiniens ? Quels sont les sentiments et les représentations, compte tenu du sionisme politique auquel vous faites allusion ? Existe-t-il quelque chose comme un racisme sublime ?

 

        C’est bien plus grave encore. Les Israéliens n’utilisent pas le concept de “ Palestiniens ”, et les “ Arabes ” sont tout simplement un non-sujet. Ici, c’est comme si vous demandiez en Allemagne : “ Comment décririez-vous les montagnards de Birmanie ? ”. Pour la société israélienne, les Arabes sont tout aussi lointains. Nous ne pensons pas à eux et nous ne voulons rien savoir d’eux - c’est vraiment un non-sujet. Et c’est ce qui rend les choses si difficiles. Si les Israéliens haïssaient simplement les Arabes, OK, ce serait au moins une émotion. Mais quand ils ne s’occupent de personne, quand personne ne pense à eux, personne ne les craint, personne ne les aime, quand ils sont vraiment à l’arrière-plan, alors il devient impossible d’intervenir.

 

Pensez-vous vraiment que les Arabes sont traités comme des êtres non humains ?

 

      Non, ils sont tout simplement invisibles, totalement insignifiants. Vous savez, nous avons une plaisanterie dans le mouvement pour la paix, qui dit que les Arabes, les Palestiniens et la Cisjordanie sont tout aussi proches d’Israël que la Thaïlande. Mais en fait ils sont encore plus loin d’Israël que la Thaïlande, parce que beaucoup d’Israéliens peuvent prendre l’avion pour la Thaïlande, alors que personne ne voyage jamais en Cisjordanie ou dans les pays arabes, parce que ça n’intéresse pas le moins du monde les Israéliens. Les Arabes représentent un peu des neutres complets. Et cela empêche tout engagement. Ils sont tout simplement totalement insignifiants. Et on ne peut obliger personne à s’intéresser à eux. C’est pour cette raison que l’ICADH s’adresse à l’étranger.

 

Pour conclure tournons-nous vers les militaires israéliens, qu’on désigne toujours comme “ Forces de [ auto ] Défense ” - ou faudrait-il dire plus exactement “ forces d’occupation ” voire “  forces d’agression ” ?

 

      Tout le conflit tourne autour du choix des mots. La langue est donc extrêmement importante. Par exemple, nous n’utilisons jamais la notion d’occupation. Nous ne parlons jamais de “ Palestiniens ”. Au lieu de “  Cisjordanie ”, nous nommons ce territoire “ Judée et Samarie ”. Nous ne nous servons jamais du mot “  colonie ” - nous parlons de “ communautés ”. Nous ne disons jamais non plus “ colon ”. Deux générations d’Israéliens ou plus sont habituées à entendre parler des “ communautés juives de Judée et de Samarie qui sont attaquées par des Arabes ”, sans contexte politique, sans qu’il soit question d’occupation.

 

      Sur le même modèle on dit de Gaza : “ Ces criminels tirent des roquettes sur nous ”. Quand les choses sont présentées ainsi, alors l’armée est bien évidemment une armée de défense. Car tout ce que fait Israël est de la défense. Et cela paraît plausible aux Israéliens. Si Israël qualifiait ses forces de combat “ d’armée d’occupation ”, ce serait la fin de l’argument de la défense, et il cesserait d’être la victime. Et c’est le point crucial. Etre victime, en effet, c’est un rôle très puissant, car une victime ne peut jamais être tenue pour responsable de ce qu’elle fait. Alors quand on réussit à combiner force militaire écrasante et statut de force d’occupation sans devoir en porter aucune responsabilité, c’est formidable.

      Pendant sa dernière invasion, Israël a détruit Gaza et causé aux infrastructures des dommages évalués à un milliard et demi de $US. Après quoi il y a eu une conférence internationale de donateurs à Charm-el-Cheik. L’Arabie Saoudite y a promis un milliard de $US d’aide, les USA, 900 millions, l’Allemagne a sans doute aussi participé - mais quelqu’un a-t-il exigé d’Israël qu’il contribue ne serait-ce que pour un € ? Non, Israël est resté tout à fait en dehors, car Israël est la victime. Bon, il y a bien sûr aussi les autres victimes, à savoir les Palestiniens, c’est bien triste, mais personne n’a seulement eu l’idée d’imputer la responsabilité à Israël. Et c’est sur ce point qu’Israël l’emporte.

 

      Notre désir est précisément de changer cela, c’est ce que nous nommons “ recadrage ”. Cela signifie provoquer un changement tel qu’Israël soit perçu comme la force supérieure, la puissance d’occupation dotée d’une armée forte, et qui n’est aucunement la victime, mais qui agit pro-activement. Et si nous réussissons à modifier la manière dont Israël est perçu, on pourra aussi demander des comptes à Israël. Et c’est exactement ce que j’attends de l’Allemagne. Nous ne voulons pas être anti-israéliens, nous ne voulons pas diaboliser Israël, je ne veux pas que l’Allemagne soit l’ennemi d’Israël, mais je veux que l’Allemagne rende Israël responsable de ses actes, tout comme l’Allemagne doit porter la responsabilité internationale de ses activités.

      C’est ce que signifie “ normalisation ” et c’est bien ainsi. Car si la communauté internationale ne pose pas de limites à Israël, je crains qu’il ne finisse par se suicider, puisque personne ne l’arrêtera. Personne ne dit à Israël : “ C’est totalement inacceptable ”, par exemple en ce qui concerne Gaza. Un jour, le pays pourrait se retrouver isolé, au lieu d’être ramené dans le droit chemin. Un jour Israël pourrait perdre tout bon sens, d’une manière intolérable, et foncer droit dans le mur, et ce ne serait pas un bon scénario.

 

Pensez-vous que la paix a la moindre chance, aussi longtemps qu’Israël est la force militaire la plus puissante dans la région et représente la troisième puissance nucléaire du monde, avec environ 500 ogives nucléaires. Ne serait-il pas sensé d’entamer des négociations sur le contrôle de l’armement et le désarmement ?

 

      Il me semble vraiment difficile de lancer un tel processus avant qu’il existe une solution de paix politique. En Israël c’est certainement hors sujet. Israël argue qu’il a besoin de sa puissance militaire parce qu’il est entouré d’ennemis - par exemple l’Iran. Dans le sillage d’une solution de paix politique il faudrait évidemment travailler à une démilitarisation, mais ce ne peut se faire au début.

 

      Je suis justement en train d’écrire un livre sur ce que j’appelle le “ système global de la pacification ”, et Israël y joue un rôle important. Ainsi Israël est notamment le cinquième exportateur mondial d’armement. Il exporte plus d’armes que la Chine ou la Grande‑Bretagne. C’est donc un pays d’une puissance écrasante, et le problème est qu’il ne fait pas du tout bon usage de ces armes. Par exemple, en Afrique de l’Ouest avec l’industrie diamantaire, les diamants sanglants. En Colombie et aussi en Birmanie, Israël intervient, en Chine également, et de manière néfaste en ce qui concerne le commerce des armes. Cela représente une forme particulière de politique sécuritaire, dans la mesure où Israël utilise sa puissance dans le secteur de l’armement pour obtenir l’appui d’autres pays. Cela ne constitue vraiment pas un apport bénéfique au système sécuritaire global.

 

Et que signifie le fait qu’Israël possède le monopole de l’armement nucléaire dans la région ?

 

      C’est toujours le cas, mais l’Iran y travaille, le Pakistan a déjà des armes nucléaires, l’Egypte est sur la voie. Néanmoins les armes nucléaires représentent un problème global. Il s’agit d’un conflit mondial, pas simplement d’un conflit local. Et c’est pourquoi ce problème doit se résoudre dans le cadre d’une paix globale.

 

Permettez-moi de vous poser une question qui vous tiendra peut-être plus à coeur, en tant que membre du mouvement pour la paix. Il y a maintenant des dizaines de pilotes de l’armée de l’air, jusqu’à un général de brigade, qui ont refusé de mener des attaques aériennes dans les territoires occupés, et en outre des centaines de soldats et de soldates qui refusent de servir. Quel rôle jouent selon vous ces déserteurs et objecteurs de conscience dans les rangs des forces de combat israéliennes ?

 

      Tous mes enfants sont objecteurs de conscience, chacun d’eux a refusé de servir dans les forces de combat. Mes deux fils ont été incarcérés. Le sujet est très important, pas tant en Israël même, parce que le pourcentage de refuzniks est infime. En général les jeunes gens veulent faire leur service. Ils veulent servir dans toutes ces unités où il se passe quelque chose. En Israël, les objecteurs ne sont pas si importants. Leur véritable signification réside dans le fait qu’ils maintiennent vivante l’humanité d’Israël. Si nous entamons le processus de réconciliation, nous aurons besoin de ces jeunes gens qui se sentent vraiment un devoir de paix et qui ont payé le prix fort pour cela. Cela aura une grande importance dans le futur. Mais aujourd’hui, étant donné la prédominance des positions guerrières et militantes en Israël, ils ne sont pas encore tellement importants. Hors d’Israël cette problématique est beaucoup plus influente.

 

N’empêche que le droit au refus du service militaire représente un droit humain fondamental, ce pourquoi il est quand même reconnu en Israël même, n’est-il pas vrai ?

 

      En effet, car conformément au droit international le droit au refus du service militaire doit être ancré dans la constitution de tout état. Il s’agit donc d’un droit humain, mais pas en Israël. Bien au contraire, ces dernières semaines en Israël quelques activistes du mouvement “ New Profile ” ont été arrêtés, un mouvement qui encourage les jeunes gens à refuser le service militaire, ou les aide à quitter les forces de combat. Ces faits illustrent le militarisme régnant en Israël. Cela montre à nouveau que les changements sont impossibles, qu’il est sans issue de pousser Israël à une attitude normale vis-à-vis des droits de l’homme aussi longtemps que dure le conflit israélo-palestinien.

 

Pour conclure : comment jugez-vous le traitement actuel de Mordechaï Vanunu, qui a révélé au monde, il y a déjà trente ans, l’existence de l’armement nucléaire israélien ?

 

      Oh, c’est horrible. Je connais Mordechaï, il est assigné à résidence. Je ne comprends pas pourquoi Israël ne le laisse pas partir. Je présume qu’il s’agit d’une simple vengeance, car après toutes ses années de prison il ne peut plus connaître aucun secret nucléaire. Là aussi se reflète la bassesse et la cruauté d’un régime d’occupation, qui dépassent largement la satisfaction d’un besoin de sécurité normal.

 

Site web de l’ICAHD : http://www.icahd.org/eng/

 

Autres articles sur Jeff Halper :

 

Jeff Halper, lauréat 2009 du Prix “ Citoyen du monde ”, par l’équipe de l’ICAHD

Jeff Halper entame son tour d’Australie, de Sonja Karkar

Un Israélien dans Gaza : tour d’horizon avec Jeff Halper, interview par Franck Barat

Jeff Halper à Gaza : “ Nous sommes l’oppresseur ”, interview par Rami Almeghari

 

Articles de Jeff Halper :

 

Cible : l’Université islamique ( avec Neve Gordon )

La Palestine est un os en travers de la gorge d’Obama

Palestiniens : le stockage d’un “ peuple en trop ”

 

15 juillet 2009 - Article : Dann eben ein gemeinsamer Staat, source : Generaldelegation Palaestinas –

Traduction de l’allemand : Marie Meert

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26 juillet 2009 7 26 /07 /juillet /2009 22:06

Comme tous les articles de Jeff Halper celui-ci est si juste, intuitif, humain et généreux que j'ai eu envie de vous le faire partager. Il s'agit là de la première partie et vous aurez la suite demain...
Cet article est publié sur le site : www.info-palestine.net

Jeff Halper : “ Alors, un Etat commun ”

Dimanche 26 juillet 2009

Jeff Halper, fondateur du Comité israélien contre la destruction de maisons ( ICAHD )

 

Interview de Jürgen Rose

 

Si la communauté internationale ne pose pas de limites à Israël, je crains qu’il ne finisse par se suicider... Un jour Israël pourrait perdre tout bon sens, d’une manière intolérable, et foncer droit dans le mur, et ce ne serait pas un bon scénario.

 

       Le “ Comité israélien contre la destruction de maisons ” ( ICADH ) est un groupe citoyen israélien à Jérusalem qui se mobilise pour les droits des Palestiniens dans les Territoires occupés. Les préoccupations principales des manifestations et des actions non violentes de ce groupe sont la dénonciation d’atteintes aux droits humains, la prévention de destructions de maisons et leur reconstruction ainsi qu’un Etat palestinien autonome et équitable. L’organisation a été fondée par Jeff Halper, ancien professeur d’anthropologie à l’Université Ben-Gourion. Son comité est financé par des dons et soutenu par la Commission européenne.

 

Pourquoi avez-vous fondé le “ Comité israélien contre la destruction de maisons ” - y a-t-il eu un événement à la clé ?

 

      Oui et non. D’abord, j’ai grandi dans les années 60 - nous étions alors les “ enfants‑fleurs ”. Et les années soixante étaient très politisées. Moi-même, j’ai toujours été de gauche, dans le mouvement contre la guerre du Vietnam ou le mouvement pour les droits civils. Et ensuite quand je suis parti pour Israël, je n’avais pas de représentations romantiques, mais j’étais conscient qu’il existait là-bas un régime d’occupation. Aussi la première chose que j’ai faite en arrivant en Israël, c’est de m’affilier au mouvement israélien pour la paix. C’est d’ailleurs là que j’ai rencontré ma femme - dès la première semaine nous nous sommes croisés dans une réunion politique.

      Donc j’étais politiquement actif depuis bien des années pour la paix. Le déclencheur concret pour la fondation de notre Comité fut l’élection de Benjamin Netanyahou en 1996. Celle-ci a eu lieu sur la base d’un programme clairement anti-paix et a mis un terme définitif au processus de paix israélo-palestinien. L’occupation s’est alors très brutalement renforcée : destructions de maisons, occupations militaires, refus d’Israël de se retirer malgré les accords d’Oslo. Moins d’un an plus tard, un groupe de gens “ de gauche ” se sont rassemblés pour résister à l’occupation, parce que celle-ci allait manifestement demeurer et qu’Israël refusait une solution biétatique. Netanyahou a donc été le facteur décisif. Nous avons décidé de mettre la destruction de maisons au coeur de nos activités.

      Il a fallu presque une année pour que nous puissions être témoins oculaires d’une destruction de maison, puisque cela se passe habituellement à l’aube, en silence et en toute discrétion. Et à cette occasion, je me suis décidé tout à fait spontanément à me confronter au bulldozer. C’est là qu’a commencé ma résistance physique avec l’engagement de mon corps. C’est ce qui a caractérisé ensuite notre mode d’action, à savoir toujours occuper le terrain, de concert avec les Palestiniens.

 

Comment avez-vous réagi quand la militante pacifiste Rachel Corrie a été écrasée par un bulldozer israélien au cours d’une telle action ?

      Rachel Corrie, militante ISM états-unienne, écrasée le 16 mars 2003 sous un bulldozer israélien, à Rafah. Jusqu’alors je ne la connaissais pas. Elle faisait partie d’un mouvement de solidarité international et avait été à Gaza. Nous avons tous été extrêmement indignés par cet acte, d’autant plus qu’il n’y a même pas eu d’enquête. Même les Etats-Unis ont refusé d’enquêter. Depuis, nous connaissons bien la famille de Rachel et nous collaborons avec la Fondation Rachel-Corrie. C’était une personnalité très engagée et sa mort est vraiment une grande perte. Aujourd’hui elle représente un symbole très puissant.

 

Sa mort n’a fait que vous renforcer dans votre conviction que vous étiez et que vous êtes sur la bonne voie avec votre engagement ?

 

      Bien sûr nous l’avons toujours su. Mais il faut se dire la chose suivante : des Palestiniens meurent sans arrêt, souvent sans même qu’on en parle et pour des motifs futiles. Parfois c’est l’un qui n’a pas entendu les indications à un poste de contrôle et qui est abattu, ou l’autre qui a résisté à la destruction de sa maison. En revanche, les Israéliens et les activistes internationaux bénéficient d’une certaine protection. Nous sommes en quelque sorte privilégiés, en particulier quand nous sommes juifs. Ils ne peuvent pas simplement nous frapper ou nous abattre. Il est vrai que la mort de Rachel Corrie nous a démontré que nous aussi sommes vulnérables, que la protection n’est pas absolue. Nous avons compris qu’il faut vraiment être déterminé et qu’il ne s’agit pas du tout d’un jeu. Il s’agit d’une affaire de vie ou de mort et chacun doit vraiment bien se demander s’il est prêt à payer le prix.

 

Quel est l’objectif de vos activités et comment voyez-vous les perspectives de succès ?

 

      Je pense que notre travail est déjà très effectif. En Israël même, il est vrai qu’on nous ignore - personne ne nous connaît, personne ne vient nous parler, parce que nous ne sommes pas sionistes. Mais nous sommes israéliens et en tant que tels nous pouvons par exemple, au cas où la solution biétatique ne fonctionne pas - et elle ne fonctionnera pas parce qu’Israël lui-même l’a éliminée - proposer la solution monoétatique. Cela ne nous pose aucun problème de vivre avec les Palestiniens et d’essayer de construire une société multiculturelle. Cette seule idée nous met totalement hors-jeu en Israël.

      Par contre au niveau international, nous travaillons littéralement avec des milliers d’organisations sociales, religieuses et politiques. Et je pense que ces dernières années nous avons réussi à faire de notre objectif un thème central et global significatif, exactement comme cela avait été le cas de la politique anti-apartheid de l’Afrique du Sud. Du reste, nous ne collaborons pas seulement avec des organisations de la société civile mais aussi avec des gouvernements. Et peu à peu, les gens commencent à comprendre - le gouvernement des Etats-Unis également. Notre voix est entendue, nos informations sont prises en compte, nos analyses sont lues et les politiques aussi nous écoutent. Même si en Israël on ne nous écoute pas, nous essayons de mobiliser l’intérêt de la communauté internationale.

 

Une sorte de processus dialectique alors, de telle sorte que votre préoccupation trouve finalement le chemin d’Israël par le détour international ?

 

      Exactement, et en fin de compte, Netanyahou, la synthèse lui tombera dessus.

 

Avez-vous une perspective à court terme pour le processus de paix d’une part, et quelle est votre vision à long terme d’une solution de paix durable d’autre part ?

 

      Non, car à mon avis il faut dès le début une véritable solution de paix. Celle-ci doit être juste et praticable. Et si ce n’est pas la solution biétatique, il faut bien que ce soit celle d’un Etat commun. Et si ce n’est pas non plus celle-là, il y a encore toujours l’option d’une “ Middle East Economic Confederation ” ( confédération économique du Moyen-Orient ).

 

      Une confédération économique du Moyen-Orient qui devrait englober

Israël, la Palestine, la Jordanie, la Syrie et le Liban.

 

Sur le modèle européen ?...

 

      ...pas sous la forme de l’Union politique d’aujourd’hui, mais plutôt à la manière dont l’Europe se dessinait il y a trente ans, donc plutôt comme une communauté économique. Celle-ci devrait englober Israël, la Palestine, la Jordanie, la Syrie et le Liban. Cela restaurerait d’ailleurs l’unité historique antérieure de cette région du monde. Sans cela Israël-Palestine, ce serait trop petit pour pouvoir vraiment maîtriser les problèmes. Car ceux-ci sont régionaux, qu’il s’agisse du problème des réfugiés ou de la question de la répartition de l’eau, du développement économique ou de la sécurité internationale.

      Nous ne nous contentons pas de résister et de protester, bien au contraire. Nous pensons créativement, plus loin que le bout de notre nez, et nous essayons de développer des approches pour une résolution constructive des problèmes. Ainsi, il nous paraît tout à fait imaginable que la communauté internationale dise à Israël et à la Palestine qu’il faudra dix ans pour trouver une solution politique, parce qu’il faut d’abord construire la confiance et créer des structures solides. Ce qui est déterminant, c’est sans doute la garantie qu’en fin de parcours il y a une solution pacifique. Les Palestiniens ne peuvent être laissés seuls avec le sentiment que le résultat reste ouvert et que, comme après Oslo, ils pourraient rester les mains vides.

      Il faut donc un certain laps de temps et un objectif sans équivoque. Et ce n’est qu’alors, quand une solution politique aura finalement été trouvée, qu’on pourra réellement entamer la réconciliation - il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Bien sûr nous collaborons amicalement avec des groupes palestiniens pour faire cesser l’occupation, et cela crée de nombreuses amitiés, mais nous veillons à ce que la distance soit maintenue. Nous ne voulons pas vraiment normaliser notre relation avant qu’une paix équitable ne soit atteinte.

 

Votre travail pratique de militant pacifiste se base sur une approche théorique que vous avez formulée en tant que professeur et scientifique et que vous appelez “ reframing ” ( recadrage ). Comment devons-nous nous représenter ce “ remaniement stratégique ” ?

 

      Avant toute chose il faut expliquer pourquoi la communauté internationale devrait s’intéresser au conflit israélo-palestinien, qui n’est après tout qu’un conflit parmi des milliers d’autres. Il nous faut pour cela une accroche, comme par exemple la question des droits de l’homme. Les juifs y sont très réceptifs en raison de leurs traditions. Aussi le conflit israélo‑palestinien est-il bien thématisable dans cette perspective. Notre “ recadrage ” dans ce contexte repose sur trois points : premièrement le conflit est de nature politique et peut donc être résolu si - en s’appuyant sur les droits humains - les deux populations sont protégées et leurs besoins satisfaits. En revanche la mystification du conflit comme “ choc des civilisations ” rend toute solution impossible. Deuxièmement il existe un régime d’occupation qui représente une politique de contrôle non défensif de l’ensemble du territoire entre la Méditerranée et la vallée du Jourdain. Et troisièmement Israël est le plus fort et en tant que tel il est responsable de sa politique et de ses actions.

 

Et comment se pose votre approche de “ recadrage ” par rapport à l’Allemagne ?

 

      En Allemagne les gens, en particulier les jeunes, se sentent de plus en plus obligés de veiller au respect des droits humains. La politique étrangère allemande, par contre, balance entre la culpabilité pour l’holocauste et la poursuite de ses intérêts en tant que puissance mondiale ressuscitée. Ce qui manque à mes yeux, c’est la traduction des leçons de l’holocauste - en particulier la priorité absolue des droits de l’homme et du droit international - dans la politique étrangère allemande. C’est d’une importance décisive, car aussi longtemps que l’Allemagne confond le soutien à la politique d’occupation avec l’expiation pour l’Holocauste, elle crée un obstacle dans le processus de résolution du conflit moyen-oriental.

      L’Allemagne est devenue un acteur responsable dans la politique internationale et a fourni une aide importante à Israël dès le début, même si elle a parfois poussé l’aide trop loin, en livrant des sous-marins nucléaires. L’acte de repentir et de réconciliation le plus sincère et le plus significatif consisterait à aider Israël à se libérer d’un conflit funeste qui entrave de plus en plus sa sécurité et à conclure la paix avec les Palestiniens. Mais cela exige que l’Allemagne aborde, de façon résolue mais constructive, les violations par Israël des droits humains des Palestiniens. Car Israël doit encore entamer son processus de réconciliation, en assumant la responsabilité de l’effroyable destruction de la société palestinienne et de l’occupation permanente, au cours de laquelle 24 000 maisons de personnes innocentes ont été rasées. Tout à l’opposé, Israël tente de manière démagogique d’instaurer un Etat juif dans toute la Palestine, et ce faisant il commet constamment des crimes de nettoyage ethnique, d’occupation, de guerre et de répression, pour lesquels un jour nous devrons nous-mêmes rechercher le pardon.

 

      Si l’Allemagne a vraiment une relation particulière à Israël, en raison de son propre passé, elle est singulièrement disposée pour détourner Israël de son idéologie démagogique et de l’occupation. Ou bien l’Allemagne prend cette responsabilité à l’égard d’Israël, ou bien elle commet une trahison vis à vis de ses obligations résultant de l’Holocauste, si elle continue à soutenir la politique d’occupation israélienne au détriment en particulier des juifs israéliens.

      Israël lui-même doit tirer un trait sous l’Holocauste. Entre les mains de politiciens cyniques qui l’utilisent pour justifier la propre politique répressive d’Israël et pour étouffer dans l’œuf toute critique, l’héritage de l’Holocauste lui-même risque d’être minimisé, profané et détourné. Comme le formulait Avraham Burg, ancien Président de la Knesset et de l’Agence Juive dans son dernier livre : “ L’Holocauste est passé : nous devons nous élever hors de ses cendres”.

 

Que voulez-vous dire quand vous demandez qu’un trait soit tiré sous l’Holocauste ?

 

      Ce que cela veut dire, tirer un trait final ? Je veux dire que nous devons développer une relation tout à fait normale entre nous. Cela ne veut pas dire que nous devions oublier ce qui s’est passé.

 

Normalisation, cela signifierait-il donc que l’Allemagne devrait traiter Israël comme un Etat tout à fait normal, comme tout autre Etat dans le monde ?

 

      Aider Israël à obtenir un statut dans lequel il entretient des relations normales avec les Etats arabes, les Palestiniens et tous les autres. Nous, en Israël, devons comprendre que nous devons faire partie de la communauté internationale. Et l’Allemagne doit dire à Israël qu’il doit le comprendre et ne pas être le tyran et celui qui est toujours hors-jeu et exige un traitement particulier. Car cela ne suscite que haine et ressentiment chez tous les autres. Cela, l’Allemagne peut le dire à Israël : regardez, nous avons tout fait pour reconnaître et solder notre dette, à présent la dernière chose que nous puissions faire, c’est vous aider à faire la paix avec les Palestiniens. Et ensuite, quand vous aurez des relations normales avec les Palestiniens et le monde arabe, alors vous pourrez aussi entretenir des relations normales avec nous les Allemands et avec tous les autres. Et alors cela sera vraiment un trait final : maintenant nous sommes amis, maintenant l’Allemagne et Israël peuvent établir toutes les relations possibles et en ce sens il n’existe plus de relation spéciale.

 

Finalement reste-t-il encore de la place pour une relation particulière entre l’Allemagne et Israël ?

 

      Je ne le crois pas. Naturellement l’Holocauste reste une partie de notre histoire. Mais ce dernier ne concerne pas seulement les juifs. La normalisation comme élément du processus de réconciliation veut dire aussi : laisser ce qui est arrivé comme étant arrivé et ne pas sans cesse le jeter à la figure de l’autre. Sans cela on finit par régresser. La jeune génération y est particulièrement hostile. Se réconcilier ne veut pas dire oublier, mais normaliser.

 
               Jeff Halper arrêtén par des militaires israéliens

Texte traduit de l'allemand par Marie Meert

Site web de l’ICAHD : http://www.icahd.org/eng/


A suivre...

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23 juillet 2009 4 23 /07 /juillet /2009 23:38

      Cet été vous aurez droit à des extraits de récits qui sont de futurs bouquins mais le diable sait quand je les achèverai... Alors profitez-en car d'ordinaire les scribouillards ne montrent pas ce qu'ils écrivent avant de le publier par superstition... moi c'est le contraire...
      Voici donc un extrait de mon prochain livre que j'ai commencé à écrire il y a pas loin de cinq piges...

Le block trois l’Afrique

 

La Cité des Blocks… années 1970…

 

      Ecoute… écoute…

      Les enfants des Blocks qui fracassent de bas en haut leur course le long des escaliers où la spirale ne s’en va pas vers le ciel sont pris dans les tas de pneus brûlés et de caddies remplis de chiffons gras qui s'égouttent sur eux. Ça c’est Morgane moi qui le sais…
      Les enfants d'out ne s'en sortiront pas. Ils ont aucune chance que ça prenne ici une tournure de quelque chose qui ressemble à quelque chose. A n'importe quoi ça serait mieux que le goudron séché où on n'peut même pas mettre des tortues sur la ligne de départ. Parce que d'abord il y a pas de ligne pour eux… rien que des points de suspension… et pas de départ non plus…
      Celui qui dépare dans la ronde café des petits négros… rastas et arab' de la Cité des angles droits c'est celui qui escalade pas matinal dans les neuf heures de chien la branlante ferraille de cage qui nous rampe dessus. C'est pour tout ça que je les aime tant… leur frimousse cacao me dévore le rictus des vieux de la marche à suivre.
      Les enfants du mois d'out ne sortiront pas du décor qui colmate leur brouillon de vie… c'est pour ça qu'ils font cramer les boîtes aux lettres. Et pas que les boîtes aux lettres d'ailleurs… S'ils reformaient la ronde de la place du village... quel village ?… en  chipant les feuilles de papier blanc timbrées de là d’où leurs vieux ne parlent pas. Leurs vieux courbés et pas à la hauteur leur parlent de rien…
      Le courrier que le facteur jette sur les marches ils en font des aéroplanes. Le décor c'est comme ça qu'il se bricole bien plus vrai que l'autre. Celui qu'ils connaissent pas… Il retourne d'où il vient et eux ils partent avec lui sur le dos des avions de papier… Si un matin les halls étaient remplis de sable on pourrait croire que le décor s'est décidé à s'installer sa demeure ici avec un soleil factice au bout d'une ficelle. Kee-Bock le boiteux est là au milieu de leurs jeux mais ils ne le voient pas. Ils le voient pas et Morgane moi je le vois…
      Moi je suis comme eux depuis que je suis arrivée falsifiée et sans notice. Au sorcier du mois d'out on ne lui a rien demandé du tout. Ni les mômes black-café ni moi non plus… Il a fourré son nez dans nos bassines de confiture… il a léché l'écume du sucre de l'été et il m'a faite avec ses doigts poisseux. Pour pouvoir exister encore un peu avec ses parfums d'arrogances mûres qui coulent le long de ma gorge il m'a faite. Il m'a faite à l'image de leurs défaites… le sorcier… Morgane est une fille black… Je suis son désir de ne pas se rendre… sa corde au cou détachée juste… sa goutte de sperme volée aux pendus… sa mandragore… Je suis sa dernière carte… son gant jeté en pleine figure des rois… son affront.
      Y'avait un jour de trop sur le cadran solaire qui garde les portes… les portes autour desquelles y a pas de maison. Je me suis contentée de ça… autant de portes que de vent alors je me suis installée à l'intérieur de la maison des songes. Est-ce que je suis bien née ?… demande l'escargot de ma langue à la coquille de mon corps.
      De la Cité des Blocks on n's'en va pas facile. Y a des ordres et des contre-ordres intimement vidés dans le sac à puces de nos vieux survivants de la tour trois… bâtiment des fourmis… couloir… entre-pont… ascenseur… porte… tout pêle-mêle… alors comment s'y retrouver ? Au secours… au secours… monsieur Antonin… P'tit nègre ne surveille plus le bourdonnement des aéroplanes.

 

      En attendant la ronde des mômes café amer s’est munie d'une clef à molette. Ils frappent en cadence la colonne vertébrale du Block qui se déhanche. Au son du rythme des enfants d'Afrique les immeubles sont saisis d'un tangage auquel on n’peut pas résister… Sur leurs pieds béton les immeubles dansent…

      Ils tambourinent contre les portes de métal soudées au corps de l'animal. La bestiole aux écailles se redresse dans un spasme comme si elle allait accoucher de nous. Tous les ascenseurs entrent dans la panne et suspendent leur volte-face au niveau ciel. Ça se réveille au creux de mes reins la cadence qui va et qui vient… une envie de me plonger dans le sexe de la mer. Tout en bas le sax qui gémit les accompagne.

      Comme monsieur Antonin à chacun de ses pas avec sa canne sur la rampe ils frappent… frappent... boum… boum… rataboum !... Boum… boum… rataboum !... sur moi ils frappent et tout s'écarlate en brins d'enfer. Je ne dormirai plus. Il est trop tard pour l'ours blanc qui me compte les roses de mes déconvenues. Mais seulement jusqu'à dix parce qu'après... boum… boum… boum !... on peut entrer chez toi ?

      Ils ont le privilège des roule-ta-boule… ils sont chez eux partout même si c'est un bocal avec une fille-poisson à moitié nue. Je nage entre deux eaux douces. Je glisse lisse sous leurs doigts qui jouent à me toucher… entre leurs cils qui me défont les coutures. Recroquevillée sur la chaise à l'abri du sol détergent qui suce les pieds jusqu'au lèvres j'avale le café d'un jour de plus bouilli sans le goût si loin de la cardamome que Zahra m'a volé. Bouillie de jours qu'on voulait explosifs comme les marmites d'étoiles de mer. Elles s'accrochaient dans les filets quand mon grand-père les raportait sur la plage il y a longtemps. Mon sable à moi… ma marée haute… Mon grand-père il parlait au cheval pour l'arrêter… il ne s'arrêtait pas. C'était un cheval d'anarchie.

      Ils touchent mes chevilles et ils les encerclent. Touchent mes épaules s'ils peuvent en se hissant à mes voilures… mon cou dans la foulée de mes cheveux. Sami le plus grand sert le café dans des assiettes qu'ils lapent comme des chats. Je ne cherche pas à surprendre les dessous du rituel qui consiste aussi à semer des flocons de gâteau par-dessus pour le manger tout pareil. Ça me regarde pas. C'est leur monde d'enfance qui me tourne le dos. Leurs yeux me retirent sans hésiter le peu qu'il me reste de fringues. Sami observe gravement le bout de mes seins. C'est la première fois qu'il ne rit pas en conduisant la marmaille à l'attaque des portes métalliques qui protègent les armoires à nourriture.

      Depuis le temps que ça dure les bonnes femmes à double tour ont pris l'habitude de n'ouvrir à personne. Miaou... miaaaou... les gamins chocolat s'en donnent à cœur gros devant les portes closes. C'est le mois des chats toute la nuit ils écoutent et puis ils imitent. Rien de plus facile. Miaouou... miaou... Ça atteint le seuil du non-retour dans les espaces à haute tension où la chaleur les suspend sur sa corde à linge. C'est plus insupportable pour les habitants-sardines qui font corps avec le squelette calciné des chars toujours en guerre sous leur camouflage qu'un orchestre de violons qui joue faux par le conduit du vide-ordures. Ils tiennent bon dans la transe importée des gestes qu'ils inventent. Ils frappent sur des gamelles munis des cuillères qui ont visité tous les étages avant qu'on se décide à manger aussi avec les doigts. Boum… boum... rataboum !... Sous son paillasson Kee-Bock le crapaud attend que la voie soit libre.

      Qu'est-ce qui nous reste de la vie en dehors d'eux ? Est-ce qu'on n’pourrait pas plonger nos mains au fond de nos ventres et en sortir tout ce qui brûle ?
        Des pleines poignées de braise pour le kanoun qui reviendrait de loin… des pleines poignées de rire dans la figure de cire des aveugles.
         Des pleines poignées d'enfants qui cassent les garde-fous de nos étreintes-vertiges. De pleines poignées de mains que j'aimerais… qui arrachent le panneau planté entre nous : défense d'entrer dans notre royaume !
A suivre...

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21 juillet 2009 2 21 /07 /juillet /2009 23:24

D'Aden à Alger Petites chroniques vagabondes

      Voici pour l'été un extrait du dernier livre de mes chroniques algériennes que mon amie Marie Virolle a bien voulu publier dans son édition que vous connaissez si vous suivez les articles de notre blog des Cahiers.
      D'Aden à Alger Petites chroniques vagabondes a donc été publué aux Editions Marsa en 2009 et vous avez pu en lire déjà quelques extraits ici... Cet extrait se situe au commencement du bouquin histoire de vous donner envie de lire la suite...

      Toutes les illustrations en couleur et en noir ont été réalisées par Louis Fleury.

      De tous les écrivains dont les livres participent à ces petites chroniques vagabondes Alain Vircondelet est le seul que je n’ai jamais rencontré et que je ne connais pas autrement qu’à travers son récit La terreur des chiens.    
      Et néanmoins c’est ce livre qui m’a inspiré et donné envie de mettre ensemble ces différents articles écrits sur dix ans de travail en commun avec les écrivains d’Algérie.
      Le récit d’A. Vircondelet s’inscrit dans les six derniers mois de la vie de Rimbaud entre Harar et Aden et l’extrait des Correspondances de Rimbaud aux siens et à ses proches collaborateurs à Aden cité pour introduire ce voyage d’un poète l’autre se situe dans le cours de l’année 1883, donc huit ans avant son retour en France. On y découvre la magie toujours vivante de son écriture et sa passion aventureuse pour l’ailleurs et les mondes nouveaux ‑ là où il se rend en Abyssinie aucun Européen souvent n’a encore pénétré et ce qui le pousse à aller plus avant encore c’est sa curiosité et son imagination du réel ‑ qu’il ne cessera jamais de faire entrer en poésie… 

  

Correspondance Arthur Rimbaud

      “ Rapport sur l’Ogadine par M. Arthur Rimbaud, agent de MM. Mazeran, Viannay et Barbey, à Harar ( Afrique orientale ).

 

Harar, 10 décembre 1883

 

      Voici les renseignements rapportés par notre première expédition dans l’Ogadine.

      Ogadine est le nom d’une réunion de tribus somalies d’origine et de la contrée qu’elles occupent et qui se trouve délimitée généralement sur les cartes entre les tribus somalies des Habt‑Gerhadjis, Doulbohantes, Midjertines et Hawïa au nord, à l’est et au sud. A l’ouest, l’Ogadine confine aux Gallas, pasteurs Ennyas, jusqu’au Wabi, et ensuite la rivière Wabi la sépare de la grande tribu Oromo des Oroussis. ( … )

      L’Ogadine est un plateau de steppes presque sans ondulations, incliné généralement au sud‑est : sa hauteur doit être à peine la moitié de celle ( 1800 m ) du massif du Harar. ( … )

      Les bêtes féroces sont assez rares en Ogadine. Les indigènes parlent cependant de serpents, dont une espèce à cornes, et dont le souffle même est mortel. Les bêtes sauvages les plus communes sont les gazelles, les antilopes, les girafes, les rhinocéros, dont la peau sert à la confection des boucliers. Le Wabi a tous les animaux des grands fleuves : éléphants, hippopotames, crocodiles, etc.

      Il existe chez les Ogadines une race d’hommes regardée comme inférieure et assez nombreuse, les Mitganes ( Tsiganes ) ; ils semblent tout à fait appartenir à la race somalie dont ils parlent la langue. Ils ne se marient qu’entre eux. Ce sont eux surtout qui s’occupent de la chasse des éléphants, des autruches, etc.

Ils sont répartis entre les tribus, et, en temps de guerre réquisitionnés comme espions et alliés. L’Ogadine mange l’éléphant, le chameau et l’autruche, et le Mitgane mange l’âne et les animaux morts, ce qui est un péché. ” ( … ) 

 

D’Aden à Alger Rimbaud et Sénac

Alain Vircondelet La Terreur des Chiens Ed. du Rocher, 1999

Jean Sénac Ebauche du Père, Ed. Gallimard, 1989

 

“ Un poète qui meurt n’est pas seulement un homme qui meurt. Sa mort libère des mondes inconnus, laisse béants des espaces inconnus, révèle ce qu’on croit possible, irréel. ”

La Terreur des Chiens

 

      D’Ebauche du Père écrit de 1959 à 1962 par Jean Sénac et publié en 1989, à La Terreur des Chiens, texte d’A.Vircondelet relatant les six derniers mois de Rimbaud, dix années se sont écoulées. Dix années pendant lesquelles ceux qui restent une fois que les poètes sont morts ont dû s’acharner à poursuivre la fiévreuse exaltation des mots. Ne pas laisser la langue de ces sortes d’anges devenir la seule proie des discutailleurs.
      De Rimbaud à Sénac, il y a un lien évident de beauté, d’outrance et de grandeur. “ Au fait, Dieu a-t-il jamais pardonné à ceux qui ont cru pouvoir s’arroger ses signes de puissance ? ” se demande Rabah Belamri dans la préface d’Ebauche du Père.
      Rapprocher ces deux ouvrages, les faire miroiter ensemble c’est se placer au centre exact de deux soleils. A la brûlure tangente. Dans le creuset où naît un verbe qui a pris chair pour matrice et qui bout comme un sang brutal.

      Ebauche du Père tel que le précise R.Belamri était dans l’idée de Jean Sénac le Livre de la Vie. Un livre somme qui aurait été constitué de sept ou huit volumes dont le premier s’intitulait Pour en finir avec l’Enfance. S’il ne se déroule réellement que sur quelques moments de sa vie d’enfant puisqu’il ne peut y être question d’une écriture chronologique, ce livre explore pourtant par fragments multiples assemblés comme un vaste puzzle tout ce qu’a incarné l’homme que l’enfant suggère. A la lecture on y voyage avec enchantement du Sénac des Désordres à celui de Matinale de mon peuple, ou bien du Mythe du sperme‑Méditerranée. Le Sénac qui écrivait dans la préface de dérisions et Vertige.

      “ Avec Avant-corps, Diwan du Noûn et A, des poèmes illiaques au corpoème, je tentais un Journal qui fût un Corps écrit. ” Ne peut-on nommer de même ce dialogue fictif entre Rimbaud rentrant en France pour y mourir et son narrateur ? Car si ces deux textes se situent à l’opposé du temps d’une vie, leur similitude est d’élaborer le poème charnellement à même la vie.

      Pour l’un comme pour l’autre l’écriture naît au point de fusion entre ce qu’on peut aller jusqu’à vivre et ce qui va faire basculer dans le danger, la folie, la mort. Elle est à la fois le garde-fou et le cœur du vertige. Elle est le fruit du déséquilibre et de “ l’amour sans objet ” poussé à son comble. Elle est l’expérimentation ultime de la démesure.

      Comment d’ailleurs ne pas sentir dans l’écriture des deux hommes pris à la gorge par ce Sud une semblable exaspération, une mise en jeu du corps total dans la sarabande des excès et des vides mêlés que les mots engloutissent. Pour Alain Vircondelet happé par la houle de Rimb’ et sa passion à gravir jusqu’au bout le chemin des mots qu’il se représente comme une montée incertaine vers un Golgotha noir quel enjeu que d’entrer dans le crâne du “ Voyant ” ! Et quel autre enjeu pour moi tout aussi irrésistible, de repérer les rimes jumelles entre la défaite du corps de Rimb’ poète des désordres, et la quête de l’absolu du corps incarné dans chaque mot du long poème de Jean Sénac… Long poème qu’a été sa vie balancée telle pure et lucide dans la foudre jaune des paroles.

 

      “ Le feu de Rimbaud parcourt l’exil. Sa vigueur rend compte de la violence, de l’âpre réalité, de la révolte. Pas d’autre lieu d’écriture. Vivre sur cette lame, dans la vibration intime, furieuse. Dans l’état Rimbaud. ( … )

      Que crèvent les chiens qui aboient tout autour. Que crèvent les chiens qui ignorent le chant obscur et flamboyant. Qu’ils crèvent les châtrés de la langue, les mafieux impuissants qui ligotent les rêveurs et aussi les hyènes furieuses et les chacals qui jappent aux pieds des poètes caravaniers. Qu’ils crèvent et crèvent encore les chiens qui craignent la fureur de ton feu.

       Donne-moi de nourrir les rêves inouïs des zébus. D’écrire depuis les jungles de toutes les Afriques. ”

 

      Lorsque Sénac écrit dans Ebauche du Père, en parlant de ce texte qu’il vient de commencer : “ C’est mon strip-tease. ”, on attend l’émergence d’une histoire sans artifices, celle d’un corps ayant pris en charge cœur, esprit, âme, comme c’est parfois le cas dans Journal Alger1954. On attend ce qui peut naître de la mémoire d’une telle enfance. Une enfance marquée par du vide. Le trou de l’absence du père, Sénac en a fait son soleil. Le corps d’un garçon sans père rayonne autour du trou. Il s’y reconstitue et cerne cette imposture d’un “ balancement de phrases ”.
      C’est ce qu’est parvenu à faire A.Vircondelet dans une parole à vif portant à bout du sens. Nous rendre Rimb’ “ intact ”. Pas de justification,rien à faire. A peine ces quelques mots pour sortir de son trou honteux celui qui est “ allé chercher de l’or ailleurs ” que dans les mots, justement. “ Car plus que les mots, c’est le feu Rimbaud qui compte, le trou Rimbaud. ”

      Et quoi d’autre que ce balancement dans la tête de Rimb’ quand il accepte le monologue qui se fragmente par secousses ‑ là aussi le temps est démesuré ‑ à partir de l’embarquement à Aden le 9 mai 1891 à bord de “ l’Amazone ”. Lui qui dans ses notes “ Itinéraire de Harar à Warambot ” un mois avant de pouvoir embarquer écrivait : “ Mardi 7 avril 1891. Départ du Harar à 6h. du matin. Arrivée à Degadallal à 9 1/2  du matin. Marécage à Egon. Haut-Egon, 12 h. Egon à Ballaoua-fort, 3 h. Descente d’Egon à Ballaoua très pénible pour les porteurs, qui s’écrasent [ ? ] à chaque caillou, et pour moi, qui manque de chavirer à chaque minute. La civière est déjà à moitié disloquée et les gens complètement rendus. J’essaie de monter à mulet, la jambe malade attachée au cou ; je suis obligé de descendre au bout de quelques minutes et de me remettre en la civière qui était déjà restée un kilomètre en arrière. ( … ) ”

      Rimb’ le mangeur de soleil… le voici pris dans l’oscillation d’un pendule devenu fou… contraint d’écrire à la Mother et de raconter l’histoire d’une défaite en train de s’accomplir… Un boitillement d’une bordée à l’autre. D’une virgule à l’autre comme une transe, des phrases qui tanguent lentes et s’écroulent tout en bas. “ Aden, le 30 avril 1891. Ma chère Maman, ( … ) Depuis déjà une vingtaine de jours, j’étais couché au Harar et dans l’impossibilité de faire un seul mouvement, souffrant des douleurs atroces et ne dormant jamais. Je louai seize nègres porteurs, ( … ) je fis fabriquer une civière recouverte d’une toile, et c’est là-dessus que je viens de faire en douze jours, les 300 kilomètres de désert qui séparent les monts du Harar au port de Zeila. Inutile de vous dire quelles horribles souffrances j’ai subies en route. ”

      Une houle. Un élan puis soudain tout juste deux mots comme une pierre. Qui pèsent lourd. La chute. Rimb’ est en train de chuter à l’intérieur de la mer. Et pourtant tout est là de son désir ancien : arriver “ à l’Inconnu ”. Et puis encore “ Trouver une langue ”. “ Je créerai la mienne et si je n’arrive pas à me faire entendre, alors je préférerai me taire ”. Et il s’est tu. Pour ne pas dire tué. Car c’est peut-être à cause de ce mutisme que le corps dans une sorte de surréalité à la Artaud a décidé de restituer morceau par morceau son âme au diable. “ Tuer la mort, c’était le pacte, en échange je te donne Saran, mon enfance et tout ce que tu veux. ”

      Embarquer. Tailler la route… l’aiguiser. La surprendre comme il a toujours fait, Rimb’. Car ce qui s’écrit entre A.Vircondelet et lui enfoncé dans sa civière maritime, c’est la suite du poème, là où il l’a laissé, camouflé dans la maison bourgeoise de Verlaine avant de partir vars son Sud. Il a tout écrit Rimb’ dans ce déhanchement de la marche sur les chemins des Ardennes… Tout pour le vivre après. Oui, tout déjà comme un grand projet d’enfance ébauché. Tout sauf la fin. A “ Aden qui sue sous la canicule ”. Aden avec ses chiens jaunes qui dévoreraient sa carcasse. Et il les aurait peut-être laissé faire s’il n’avait pas encore ce contrat à remplir… Non pas un testament mais une possibilité au contraire de reprendre la trace, d’emboîter le pas et d’inventer d’autres images qui n’existent que dans la démesure du désir et dans la force des poignets à écarter les chiens.

 

      “ Avec sa canne de bois fin, avant d’embarquer, il leur avait donné des coups à la volée, mais eux revenaient sans cesse autour de lui, renifler son corps. Ce squelette.

La nuit est tout à fait tombée quand le bateau a rejoint la pleine mer. La douleur augmente avec elle. Et le silence. ”

 

A suivre...

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19 juillet 2009 7 19 /07 /juillet /2009 22:01

Espère la pluie

Epinay, samedi, 18 juillet 2009

 

Espère la pluie

Viens danseur d’eau petit nain des villes

Dresseur d’orages broyeur de cartons perdu

Dans le ventre du supermarché avide

Tu frappes sur la peau de ton crâne tambour

Au milieu d’un peuple épuisé vagabond vide

Voleur d’asphalte monteur d’échafaudages

Aux spectacles des rois qui leur coupent la tête

Appelle au creux des chairs de grands labours

Là ta silhouette en boubou bleu se dresse

Parmi les spectres d’un peuple qui n’a pas pu

Tuer ses héros repus fonceurs fossiles

A bord de leurs vaisseaux de métal bolides

Qui écrasent la tribu des crapauds chanteurs

Loin d’eux l’ivresse de l’eau la bonté fertile

 

Espère la pluie

Viens petit nain nomade fils de griots

Tresseur d’images ton chant charme la peur

Que le peuple prie sur ses autels d’or

Au long des routes de terre brute la tribu

A entamé la migration elle se presse

Ici pour les crapauds chanteurs c’est foutu

Au fond des sous‑sols le bruit broie ta tête

Les cartons crient mais rien ne gomme les mots

Sacrés comme les fruits au marché du village

Que ta bouche gourmande refile aux rappeurs

Gamins des villes traqueurs de pistes sauvages

Où la bruine rouge guide les voyageurs

Ta silhouette en boubou bleu grandit encore

Et les crapauds guettent ton bâton sauveur

 

Espère la pluie

Viens petit danseur d’eau maître des transhumances

T’asseoir auprès des friches des matins arides

La broyeuse ne saura rien de ton histoire

A la nuit elle cesse et ta ronde commence

Berger des troupeaux de lucioles tu veilles

Qu’on ne nous tonde pas la peine sur le dos

Parmi les piles de cartons ton boubou bleu

Tire l’azur à sa suite promesse immense

Du retour proche de la tribu des crapauds

Chanteurs quand le bitume embrouillé de sang

Attend que tu lui dessines la silhouette

Des arbres à pluie qui lui donnent à boire

Et lavent en lui l’empreinte des enfants morts

 

Espère la pluie

Viens petit nain qui nargue les gardes du corps

Des géants arme ta fronde de tempêtes

Cruelles polisseur de tessons d’arcs-en-ciel

Offre aux peuples sourds des bouts de vitres gros

Comme un ongle de guitariste écaille rousse

Des grands lézards lunaires guetteurs des puits

Qui feront la peau aux ravisseurs de sources

La broyeuse a coulé son sel dans tes oreilles

Tes savanes crépitent tes bushman s’enfuient

Mais ils n’empêcheront pas ton crâne tambour

De battre aux portes des cités le rythme clair

Des gouttes dessus les feuilles des fromagers

Espère la pluie debout dans ton boubou bleu

 

Espère la pluie

Espère tes rêves en douce roulés en boule

Au creux du limon frais du fleuve Casamance

Comme de petites mangoustes frangines

Des voyageurs vieux ouvriers

Sur les machines broyeuses de cartons

Qui mastiquent nos histoires muettes

Au long des routes il y a foule

Devine où ils vont

Ta silhouette en boubou bleu s’arrête

Ton crâne tambour bat que le retour

De la tribu des crapauds chanteurs s’annonce

Que l’été blessé résiste entier

Et met le feu aux poudres de nos os

D’Indiens brasiers garance

Aux lances d’agaves aux lavandes aux ronces

Notre sol est partout autour

De l’ombre de ton bâton d’eau qui danse


A suivre...

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16 juillet 2009 4 16 /07 /juillet /2009 00:12

Jean Pélégri Louis Bénisti L'Algérie l'enfance et le beau pays des images
Publié par Marsa éditions en 2008

Extrait...
La mer c’est un miroir qui ne faisait que réfléchir mes désirs.
Non daté

 

Algérie, terre adultère
Texte non daté reconstitué à partir d’éléments écrits au brouillon.


            Depuis un siècle, entre moi et mon passé, entre moi et mon avenir, il y eut toujours la mer.

            Et aussi entre moi et Dieu, car si le ciel est une vitre transparente, derrière laquelle il m’est arrivé quelquefois d’entrevoir des paysages innocents, primitifs, et neufs comme le seraient ceux du Paradis, la mer, elle, est un mur et un miroir où tout au long de sa vie l’homme butte contre les limites de son visage.
               Il y eut toujours la mer, pour moi et pour ceux de ma race, cette obscure conscience bleue, profonde et animale, ô compagne sans âme agitée des houles phosphorescentes de l’insomnie, et pourtant, certaines aubes je t’ai connue, calme, propre, pure, paisible, comme le bonheur que tu me donnais, et sablonneuse comme l’amour.

        Il y eut toujours la mer. Et c’est toujours dans l’écran de ce miroir que j’ai suivi mes changements. Et maintenant il y a encore la mer entre mon fils et moi.

 

        A l’origine de tout, il y a un événement lointain, très lointain qui ne me concerne pas directement, et que pendant ma jeunesse, j’ai négligé car, jeune, mon œil était si avide qu’à ce grand repas de l’univers, il fondait sur les plats, dévorant tout, et ne laissant, pendant le jour, rien à l’oreille ni à l’intelligence. J’étais sans cesse braqué sur le présent, en arrêt devant les couleurs, avec le pouvoir trompeur de n’accorder d’existence qu’à la lumière et d’ignorer l’ombre qui la côtoyait.

         Mais, quand au crépuscule le soleil s’enfonçait dans la mer, effaçant les couleurs du monde et donc la présence du monde, je coulais avec lui, descendant dans les profondeurs de la houle nocturne, croisant toutes les ombres que j’avais noyées pendant le jour…

 

         Cela a commencé il y a plus de cent ans, mais l’histoire est inscrite au cœur de chacun de nous comme un secret d’enfance, à la fois héroïque et terrible.

         Le secret de toute une race.

         Un secret qu’il faut aujourd’hui trahir, car c’est quand il devient adulte que l’homme a le courage d’affronter les fonds de sa conscience et les épaves de son histoire.


Jean à six ans

          Il y a plus d’un siècle des hommes et des femmes dont je porte le sang, abandonnaient l’Europe la forteresse ancestrale pour un départ sans retour…

         Ils fuyaient l’Europe comme on quitte une forteresse où l’on connaît la misère, le froid, l’oppression des médiocres… mais aussi la sécurité des murs, les douces habitudes de toujours, la chaise le soir devant la porte, les chemins paisibles de la campagne natale, et la forêt de l’enfance.

          Ils sortaient de cette injuste et familière forteresse, ils franchissaient le fossé d’eau qui la protégeait, et par un mince matin, ils débarquaient dans cette campagne musulmane où depuis cent ans nous ne cessons de bivouaquer…, toujours sur le qui-vive de notre ambition.

 

         Ils étalèrent cette large mer entre eux et leur histoire comme deux frères qui se fâchent et qui édifient la barrière définitive de la mer au milieu du domaine paternel.

        Et les voilà, ayant perdu pour longtemps leur souvenir, errant, amnésiques et étrangers, sans lois et sans coutumes, au milieu d’un pays hostile, absent le jour, mais qui la nuit s’anime des hurlements d’un chacal ou de la mélopée de la flûte qui éveille une peur exotique.

          Et au centre de cette plaine, dans le ventre de cette terre malsaine, ils plantent la paix, leur paix.

Comme on plante une lame dans le cœur d’un ennemi, ou dans le corps d’un malade, avec la même indifférence, la même cruauté.

 

           Et cette lame sanglante plantée dans ce ventre de cailloux devient, comme le bâton de Moïse, un cep, puis une vigne vigoureuse, prolifique, conquérante, qui lance ses vrilles avides partout, déloge les vieilles cultures, étale le luxe de ses pampres et bientôt couvre de ses fruits lourds toute la plaine… Elle nous aime cette terre adultère, cette femme stérile que nous avons fécondée.

         Et nous voilà attachés à elle, car nous sommes fiers de ce bel enfant qu’elle nous donne, si fiers que nous voudrions tout lui donner, qu’elle va nous cacher les cailloux et les herbes folles, qu’elle va déferler, avec ses millions de feuilles, comme un flot, et qu’elle va culbuter, noyer tous les hommes qui jusque là s’accrochaient aux cailloux de cette terre nue. Et les chasser de la plaine natale.

 

          C’est cela notre secret d’enfance. Nous avons eu un fils d’une femme stérile, un fils qui nous étonne et que nous admirons. Mais comment oublier la honte originelle de cet amour adultère, et ce reniement sur lequel nous le faisons vivre ?

 


Photo prise à Alger en 1926
Jean à six ans
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13 juillet 2009 1 13 /07 /juillet /2009 21:29

Par la queue des diables suite...

     Il y a quelques jours notre amie des Cahiers Françoise Bezombes m'a demandé s'il me restait des exemplaires de mon premier récit-conte Par la queue des diables que mon amie Marie Virolle qui anime la revue Algérie Littérature Action avait publié en épisodes avant que les Ed L'harmattan ne le reprennent car elle l'avait lu il y a douze ans et ça lui aurait fait plaisir de le relire...
     Comme chez L'Harmattan même au bout de douze ans les auteurs paient leurs bouquins très cher ça fait un bout que je ne suis pas allée me réaprovisionner... Alors voici de p'tits extraits de ce conte qui reste pour moi mon préféré vu que c'est avec lui que tout a commencé... 
      Celles et ceux qui ne le connaissent pas vont entrer dans le monde complètement ouf de Neïla une petite gamine des banlieues dans les années 60 qui rêve d'aller vivre dans le bidonville des Arabes et de s'envoler avec les oiseaux-grues vers le pays d'où ils sont venus un jour... Bonne lecture ! 

        
Chapitre 1 Roc
  
        Sûrement. il avait dû mal comprendre. Une belle bouillie, simplement,une chute de combien ? Il suffit de s'habituer à la folie des autres. On ne sait rien d'eux, on s'en fout, c'est comme ça qu'on vit, on se rassure, j'ai ma femme, mes gosses, juste un peu d'amertume sur les lèvres, une vague qui ne se déciderait pas...

Il a voulu revoir l'endroit où j'étais tombée, l'après-midi, il y avait que les poutrelles de béton et puis les grues. Ils ont apporté les sacs de ciment avant la nuit. Rétrospectivement, je le savais pas. je me suis mise à mort dans du matériau de construction, c'est absurde. J'ai traversé toutes les couches du temps d'un coup, c'était très poussiéreux... Je me suis enfermée vivante dans de futures murailles, pas nées, je te raconte ma mort parce que je me suis loupée...

Le tuyau me débite des tronçons de demains, sectionnés, des bretelles d'autoroute qui cisaillaient les dunes, jusqu'au bout de l'oasis taché d'encre que le grutier algérien me dessinait sur mes cahiers, hier. Batna, Touggourt, ou bien... je ne vois plus que le djin du feu qui me lapide... il faut que je retrouve comment ça a commencé pour écarter Neïla de la torture des lances des soldats de mon ventre.

Ça a commencé quand ils ont voulu me réparer, dans les débuts de ma vie, c'était déjà un sixième étage qu'on avait piqué aux nuages juste contre le bidonville des arabes. Moi, je faisais  es échaffaudages pour la voir, la grue, son incision étroite sur le vide. Je te parle de la grue car c'est le seul personnage avec lequel j'ai pu entretenir une conversation à l'époque. Des heures, des journées que je passais en haut de mes installations de chaises à la caresser dans l'intérieur de son petit habitacle, à imaginer comment je m'enroulerai dans la couverture pour m'endormir au creux du souffle du vent et de tous les tambours. Je m'oubliais et ça m'occupait bien.

En fait, ça a commencé par la faute de mon père et de cette idée qu'il a eue, sûrement que le diable l'avait tiré par la queue, cette idée de m'appeler Neïla. Les autres avaient essayé de l'arrêter dans cette voie de la malfaçon, ils lui avaient proposé des compromis, des noms qui engageaient à rien, qui laissaient des issues. Mais il avait rien cédé du tout, et ça avait fait moi, la

catastrophe, et mon histoire avec la grue.

Au départ, ils avaient pas mesuré l'ampleur, combien ils manigançaient n'importe quoi avec leurs mots. Je les entendais parler derrière mon dos, qu'il y avait bien de l'inquiétude à se faire, et que c'était pas normal que je cause avec une grue, alors qu'avec eux, pas un mot, rien. Comme je pensais encore à leur faire plaisir, je faisais des efforts pour m'intéresser à leurs préoccupations, leurs soucis domestiques. Pour prouver que j'étais pas si étrangère, que je comprenais leur langue, je demandais l'explication du mot “ grue ”, à ma mère dès que je pouvais la coincer contre la planche à repasser.

- Laisse-moi, tu me fatigues, tu me fais perdre le sens...

Je la laissais pas, elle voulait que je m'assimile, que je lui ressemble, alors elle pouvait pas me cacher une chose aussi importante, un mot clé, un mot de passe, puisqu'ils le répétaient tout le temps.

Un jour qu'il n'y avait plus de place entre le mur et la planche à repasser, elle m'envoya en riant fouiller dans le dictionnaire. Elle voulait que j'aie honte, alors je lui apportai le livre, comme ça on était vraiment pareilles, elle et moi, au pied du mur. Elle tourna les pages et elle me lut :

- La grue, c'est un oiseau de métal qui part en immigration à l'approche des froidures.

Et puis, comme ça suffisait pas à son imposture, elle ajouta :

-Voilà, t'es au courant, le livre il le dit, un matin, y aura plus rien du tout. Elle sera envolée, partie chez les Arabes, ta grue, allez hop ! tu me fais assez de soucis d'être pas comme les autres...

Pas comme les autres... pas comme les autres... et la grue qui est un oiseau arabe... et le liquide goutte à goutte de mon temps dans mes veines... le vent soufflait beaucoup trop fort, c'est un accident du travail... pas comme les autres, il est retourné en Arabie...


           C'est une main chaude et apaisante qui me secoue, et en même temps, une humidité de rosée et de miel m'humecte les lèvres. Ils ont dû augmenter la dose du produit qui cimente les déchirures du mal, parce que je suis partie dans mes délires. Le type qui est presque un ange travesti me raconte, c'est son tour, que je voulais arracher le tuyau pour m'envoler, et que j'arrêtais pas de crier que c'était à cause de la mauvaise conscience, là il est vraiment dans le coup, ça le concerne pas qu'un peu, lui non plus, il veut pas qu'elle s'envole avec les grues, Neïla...

La mauvaise conscience, je peux en parler, y a que ça qui fait marcher le monde.Ils peuvent pas se diriger sans elle. Dès le départ, j'y ai eu droit. A quoi il avait pensé mon père, en me donnant un prénom comme ça, sans me refiler avec, le minimum des racines et du mode d'emploi ?

Il avait pas réfléchi que par sa fantaisie, on allait me reprocher ce que j'étais, et puis ce que j'étais pas, que j'avais trop de personnalité, que c'était Interdit de me prendre pour un oiseau, Interdit de hurler devant le miroir, que ça leur faisait la mauvaise conscience qu'ils me récupèrent chez les Arabes du bidonville où j'écoutais le mandore avec mon sac pour partir. Faut toujours qu'on aie la mauvaise conscience de nos pères sur le dos, c'est parce qu'on expie pour eux, qu'ils veulent pas qu'on crève la peau des étoiles. Qui est-ce qui ferait le sale boulot, après...

Je l'ai entendu mille fois ensuite le discours, le même, quels que soient les hommes, il m'a suivi comme une litanie. Il a fallu qu'ils me réparent à tout prix. Ils se trimballent dans le constant va-et-vient qui les conduit à faire ça sur tous ceux qu'ils n'ont pas réussi à encarter. Ceux dont ils n'ont pas empoisonné l'intérieur de la tête à l'aide de quelque parti, de petites révoltes programmées à l'avance, dont il a été prévu par les responsables figurant la Xième génération des clowns, qu'elles cesseront à un certain moment, lorsque les autres se seront assez vidés de leur colère. Après qu'ils auront grouillé en tas d'un point à un autre, toujours cette oscillation du chat perdu qui mesure le temps de leur mise à mort. Après qu'ils auront grouillé du vide rouge de leur vie à la plénitude noire des lendemains qui désenchantent l'appel du renard pris au piège.

Après, ils les gaveront de pilules à pas souffrir, eux à l'ardeur inquiète, eux qui se sont conçus plus fragiles que le jade de la vague. Enfin, ils les amèneront délicatement sur le rebord d'un dérapage inéluctable, mais juste sur le bord tendu de la solitude de soie inavouable des fous. Sur le bord où ils auront la joie impeccable et la grandeur d'âme de les retenir, gigotant, éperdus, dérisoires.

C'est pour pas qu'ils se moquent, c'est pour pas leur ressembler, jamais, que j'ai coincé la porte de l'ascenseur... quand mon ami le grutier algérien il a été victime aussi du vent de sable, et que tous les mots se sont mis à tourbillonner dans la crinière de pluie du cheval noir. Pas comme les autres... cardamone et basilic... Interdit de parler arabe... u es une fille... Interdit... ton corps‑oiseau...

Alors, le sac de temps est devenu beaucoup trop lourd à porter en remontant les ruelles pourries de petites lueurs mauves. J'en avais tant et tant capturé pour que tu n'aies plus à le chercher. C'était du temps volé à l'ignorance des cerisiers en fleurs, et tu n'en n'as pas voulu parce que tu as eu peur d'une plaie ouverte...


A suivre...
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